Chapitre 7 - Le chien et le renard

— Attends une seconde… Tu es vraiment le fils de Lucifer, le Roi des démons ?

En rentrant de la réunion, Cain avait pris la décision de tout raconter à ses amis. Il n’en avait pas vraiment l’envie, mais il préférait le faire plutôt que de laisser ce plaisir à Samaël. Cependant, assis dans un fauteuil du canapé, ce dernier semblait s’amuser de ce nouveau spectacle. Après avoir expliqué qui il était, le blond devait faire face à une avalanche de questions de la part de ses amies. Heureusement, elles ne l’assommèrent pas avec le classique « mais pourkwa tu m’as rien diieuh ? ».

— Oui, je suis vraiment son fils, répondit-il en soupirant.

— Trop cool, murmura Cléo. Mais du coup, tu as grandi au Paradis ?

— Oui.

— Mais du coup, tu as quel âge, là ?

— Euh… je dois approcher des deux-cent-cinquante ans, je pense…

— J’ai du mal à suivre, intervint Tara en se massant les tempes. Si ton père est un ange déchu, comment t’as pu vivre au Paradis pendant des années ?

— T’es pas sérieuse ! protesta Cain en se frappant le front. Je peux pas l’expliquer plus simplement que ce que j’ai fait il y a même pas cinq minutes !

— Alors fais la version compliquée, proposa Oscar qui semblait trouver plus intéressant de l’écouter que de lire son livre.

— Bon, je suis né il y a deux-cent-cinquante piges et des poussières, ça c’est clair ! soupira le jeune homme en se frottant le visage à deux mains. De ce qu’on m’a raconté, je ne sais pas si c’est vrai, ma mère était un ange du Paradis. Mon père est Lucifer, un ange déchu, ce que tout le monde sait. Je n’ai aucune foutre idée de la manière dont ces deux-là se sont rencontrés, mon oncle ne me l’a jamais raconté.

— Ah, parce que tu as un oncle, maintenant ? interrogea Cléo.

— J’en ai plus d’un. Bah oui, tu crois que Dieu, il a créé un seul ange ? Eh non ! Il en fait toute une chiée qui sont frères et sœurs. Mais celui dont je parle est mon oncle Michael, le jumeau et le pire ennemi de mon père. Il avait peur de ce que je deviendrais en Enfer, alors quand j’avais six ans, il est venu me chercher et il a décidé de m’élever au Paradis. Vous suivez, jusque-là ?

— Oooouuuuaaais, bredouilla sa meilleure amie sans grande conviction.

— Je n’ai jamais revu mon père depuis, et il était interdit de le mentionner au Paradis. J’ai fait avec et j’ai grandi parmi les anges. Il y a environ cinq ans, j’ai commencé à m’intéresser aux démons et aux Enfers. Je me demandais à quoi ça pouvait ressembler, le royaume de mon père. Tout le monde m’avait dit que c’était le pire endroit imaginable, rempli de créatures immondes et sans foi ni loi. Quand j’ai émis l’hypothèse que, peut-être, certains démons pourraient changer et devenir meilleurs, j’ai eu quelques problèmes. Mon oncle a cru que je proposais que l’Enfer se révolte contre le Paradis, ce que je n’avais jamais dit du tout ! Il l’a tourné à toutes les sauces et a réussi à faire croire à tout le monde que j’étais un traître. Résultats, ils m’ont foutu dehors et je suis devenu un ange déchu !

— Eh ben, la version compliquée était plus simple que la version simple, commenta Cléo avec un sourire. Du coup, le plan des Saigneurs est que tu demandes à ton père que t’as pas vu depuis plus de deux siècles un coup de main ?

— Je suppooose que c’est ça, oui…

Samaël ne put s’empêcher de lâcher un petit ricanement amusé, même s’il était clair qu’il se retenait difficilement d’éclater de rire !

— Vas-y, rigole ! grimaça le blond en roulant des yeux. On sait même pas si son plan foireux à la moindre chance de fonctionner ! Mais j’ai moi aussi une petite surprise pour toi, Samaël !

— Je suis curieux de savoir de quoi il retourne, répondit le démon renard en haussant les épaules.

Au même moment, quelqu’un frappa à la porte, et Cain bondit presque du canapé pour aller l’ouvrir. Lorsqu’il revint dans le salon, il était accompagné par une invitée surprise qu’il avait convié.

— Je vous présente Charlie, et à partir de maintenant, elle vivra avec nous ici !

Bien évidemment, la présence d’une démone qui avait essayé de les attaquer il y a quelques jours sembla scotcher tout le monde sur place. De son côté, le jeune prince des Enfers guetta la réaction du Saigneur avec un sourire machiavélique. Ce dernier arborait son rictus indélébile, mais ses yeux étaient plissés avec méfiance. Pourtant, il semblait déjà comprendre pourquoi la jeune femme était ici.

— T’as pété un câble ? interrogea Cléo en haussant un sourcil. C’est pas la meuf qui était avec Raphaël ?

— Dis donc, toi, lança Tara en se tournant vers Samaël. T’es pas censé gérer la sécurité ici ? Qu’est-ce que t’attends ?

— Je suis navré ma chère, mais ce n’est pas si simple, murmura le démon renard d’un ton grinçant.

— Conformément à notre accord, tu dois m’accorder une faveur : je veux que Charlie puisse vivre tranquillement avec tout ce dont elle a besoin sous ton toit !

— Ugh, je le savais… soupira le rouquin en posant une main son visage avec désespoir.

— Comment ça, un accord ?! intervint Oscar avec surprise. Tu as fait un marché avec ce taré ?

— Cain, sans déconner, qu’est-ce que tu as pas pigé dans « il ne faut JAMAIS faire de pacte avec un démon comme lui » ? s’insurgea Tara.

— Calme-toi, recommanda Samaël en balayant le sous-entendu d’un geste de la main, il a gardé son âme ! Je serais idiot de prendre l’âme du fils de Lucifer ! Soit, mon ami, j’avoue que tu m’as bien eu ! Je ne suis pas en position de refuser, alors elle peut rester. Cependant, si sa présence nous met en danger…

Ses iris prirent une couleur rouge vif, et son sourire crispé se fit plus malveillant.

— Je n’aurais pas de remords à en faire mon dîner !

— Ce n’est pas mon intention ! intervint Charlie avec précipitation. Je sais que vous n’aimez pas Axon, et ça tombe bien, moi non plus ! Je veux m’éloigner de lui, rien de plus !

— Cain, tu peux m’expliquer un truc ? interrogea Cléo en se massant les tempes pour essayer de se calmer. Si j’ai bien compris, Mister Smiley…

— Suis-je censé comprendre que ce surnom me désigne ? grimaça le renard

— … était prêt à t’accorder n’importe quoi, continua la démone sans faire attention à lui. Et toi, tout ce que tu fais avec ça, c’est lui demander d’accepter une personne de plus dans sa maison ? T’es sûr que tu réfléchis, parfois ?

— Oui, je suis sûr, confirma le blond avec un hochement de tête. Qu’est-ce que tu voulais que je lui demande d’autre ? En plus, si ça peut aider quelqu’un, moi ça me va. Mon but, c’est quand même d’accorder une seconde chance à ceux qui veulent la saisir.

— Bon, si tu le dis, soupira Tara en levant les mains en signe d’abandon. Je veux bien lui accorder quelques jours d’essais.

— Je suppose que j’ai pas vraiment mon mot à dire, devina Cléo. Elle peut rester…

— Et toi, Oscar ? interrogea Cain en se tournant vers l’ex-barman.

— J’m’en fous, marmonna l’intéressé sans même le regarder.

— Génial ! sourit le blond avec satisfaction. Tu as tes affaires, Charlie ? Je vais te montrer ta chambre.

— Merci, bredouilla la démone d’un air gêné. Par contre, je dois vous dire que j’ai un animal de compagnie, ça ne vous dérange pas si je le garde avec moi ?

— C’est quoi comme animal ? questionna Tara avec un intérêt soudain pour leur nouvelle camarade. Il est chou ? Je peux le voir ?

— Si… tu veux. Amy ! Viens ma belle !

Le bruit des pattes animales se fit entendre dans le hall, et quelques secondes plus tard, une magnifique chienne de la taille d’un berger allemand entrait dans le salon en battant joyeusement de la queue. Elle courut vers sa maîtresse, lui lécha gentiment la main avant de renifler le pantalon de Cain.

— Tu peux la caresser, elle ne te fera rien, précisa Charlie en le voyant hésiter.

Il passa ses doigts dans sa fourrure noire et douce alors qu’elle commençait tourner autour de lui. Amy s’approcha ensuite de Tara qui ne se priva pas de la caresser.

— Elle est tellement mignonne ! s’extasia-t-elle avec une presque hystérie. Bien sûr qu’elle peut rester ici ! Pas vrai, Cain ?

La chienne partit renifler Oscar, et le blond resta volontairement silencieux pour voir sa meilleure amie lui faire les yeux doux.

— Elle est très propre et sage, elle ne vous causera pas de soucis, assura Charlie.

— Euuuh… patron ?

Cain et ses camarades tournèrent la tête vers l’ex-barman. Ce dernier semblait fixer quelque chose au plafond, tout comme l’animal qui s’était assis et regardait vers le haut en frétillant de la queue.

Mais en jetant un coup d’œil à ce qui pouvait bien y avoir, il se demanda comment Amy pouvait être si joyeuse face à ça.

Samaël semblait flotter dans les airs, à seulement quelques centimètres du plafond qui était à près de trois de mètres. Ses yeux rouge vif fixaient le sol avec un mélange de panique et de haine. Son sourire n’avait plus rien de naturel et était tout ce qu’il y avait de plus forcé. Ses oreilles habituellement bien droites étaient abaissées, se confondant presque avec ses cheveux. Et tout autour de lui se trouvait un nuage d’ombre menaçant.

Au moment où Amy se redressait sur ses pattes arrière pour essayer de toucher une volute de fumée, la tête du démon pencha sur le côté dans un craquement sonore.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? interrogea Cléo qui le fixait avec des yeux ronds comme des soucoupes.

— Éloignez… cette chose… de moi…

La voix du démon renard n’aurait pas pu être plus menaçante : volontairement grinçante et sèche. Il donnait presque l’impression d’être possédé ! Insensible à l’épée de Damoclès qu’elle avait littéralement au-dessus de la tête, la chienne tenta de sauter pour attraper ce curieux personnage volant. En réponse, Samaël laissa échapper un étrange son aigu et crissant qui donna des frissons à Cain.

— Amy, laisse-le tranquille, ordonna Charlie, faisait revenir son animal à côté d’elle. Reste ici.

— Hors de question ! s’exclama le Saigneur. Je refuse la présence de cette créature ici !

— Tu as peur des beaux toutous ? se moqua Tara avec un sourire satisfait.

— Elle est très gentille, promit la démone aux cheveux blancs. Elle ne vous dérangera pas, je le jure !

— J’ai dit NON !

— Samaël, on a un accord ! lui rappela Cain en dissimulant péniblement l’amusement dans sa voix. Charlie doit pouvoir vivre ici avec tout ce dont elle a besoin, et si elle a besoin de sa chienne, alors elle reste. Allez, descends !

— Pas tant que cet infâme monstre est là ! répliqua le démon renard. Oscar, fais quelque chose !

— Pourquoi ? J’aime bien les animaux, moi ! sourit l’ex-barman que le spectacle semblait vraiment amuser.

À nouveau, le Saigneur émit un son strident, cette fois plus menaçant que le précédent.

— C’est bon, j’ai compris ! l’interrompit son interlocuteur en se levant de son fauteuil. J’vais te protéger contre un chien inoffensif ! Il s’approchera pas de toi à moins de deux mètres, ça te va, boss ?

Après quelques secondes de réflexion, Samaël hocha lentement la tête.

— Tu descends tout seul ou je viens te chercher ? interrogea Oscar avec un rictus moqueur avant que deux yeux rouges ne l’incendient du regard. Ça va, c’était pour rire ! Pour quelqu’un qui sourit tout le temps, t’as vraiment pas de sens de l’humour !

Le rouquin redescendit silencieusement vers le sol alors que les ombres autour de lui disparaissaient doucement. Ses iris reprirent leur couleur dorée et ses pieds touchèrent à nouveau le plancher. Ce ne fut qu’en constatant que l’ex-barman était entre lui et Amy comme un bouclier qu’il redressa ses oreilles.

— Je vais dans ma chambre quelques minutes, soupira le Saigneur, avant de remarquer pour accéder à l’escalier, il devrait passer devant la chienne. Que cette… n’ait pas accès au troisième étage auquel cas je la mangerais crue et sa propriétaire juste après !

Il disparut sous forme d’ombre et se volatilisa dans les étages supérieurs.

— Eh ben, qui aurait cru qu’un démon aussi puissant aurait la trouille d’un petit toutou aussi choupi ! commenta Tara en souriant.

— Je retire ce que j’ai dit tout à l’heure, lança Cléo avec un rictus. Cain, t’as fait un excellent choix pour ta faveur !

— Je crois que je vais la laisser un peu sortir, soupira Charlie, ça lui fera du bien. J’ai pas trop envie de me le mettre à dos dès mon arrivée.

Elle laissa Amy se promener autour de la maison pendant que Cain lui montrait une chambre qu’elle pouvait occuper. Il lui fournit les draps pour son lit ainsi que le mot de passe pour la connexion, et lui fit rapidement visiter la maison. Il décida également de l’avertir de ses liens familiaux avec Lucifer.

Cela relança la conversation sur le Roi des Enfers avec les autres habitants. Le jeu était à présent d’essayer de deviner à quoi il ressemblait. Cain, bien qu’il se souvienne encore de l’apparence de son père, refusa de dire quoi que ce soit et s’amusa à entendre les hypothèses les plus farfelues. Il écouta la représentation que chacun se faisait de ce puissant démon, sans aucun doute encore plus impressionnant que n’importe quel Saigneur !

Heureusement, Charlie fut accueillie avec politesse, et elle conquit sans difficulté le cœur de Tara qui semblait adorer Amy. La démone se défendit en disant que les animaux étaient la chose la plus adorable de l’Enfer.

— Si tu aimes tant les caresser, intervint Cléo avec un rictus malicieux, pourquoi tu ne tenterais pas de le faire avec Samaël ?

La vie serait terne sans la scénariste et ses phrases qui pouvaient être interprétées très bizarrement !

— Je peux savoir de quoi tu parles ? questionna la jeune femme aux cheveux châtains avec méfiance.

— Ses oreilles de renard, précisa son interlocutrice. T’as l’esprit tordu ! Tu as déjà pensé à toucher ses oreilles ?

— Non ! protesta Tara en secouant vivement la tête. Je n’aime toujours pas ce type.

— OK, maintenant la vraie version ? insista Cléo avec astuce.

— Bon, d’accord, j’avoue que j’y ai déjà pensé, céda la démone dont les joues commençaient à prendre une teinte rouge. Mais franchement, qui n’aimerait pas les toucher juste pour savoir ce que ça fait ?

En réponse, Cain et Oscar levèrent la main en même temps. Bien qu’il semblait à chaque fois plongé dans sa lecture, l’ex-barman écoutait tout de même les conversations.

— Cain, t’es en train de mentir ! accusèrent immédiatement les deux jeunes femmes alors que Charlie ricanait à côté de lui.

— Je veux bien dire que j’y ai pensé, répondit le blond avec sincérité, mais je n’en ai pas envie, crois-moi !

— Pourquoi ?

— Parce que je tiens à ma vie ! Tu as vu comment il craque sa nuque avant même qu’on le frôle ? J’ai pas envie de finir en kebab !

— Moi, je les ai déjà touchée, déclara Oscar comme s’il annonçait qu’il faisait beau dehors.

— QUUUOOIII ??!! hurlèrent les quatre autres en chœur.

— C’était comment ?! interrogea Tara avec avidité.

— Wow, du calme ! tempéra l’ex-barman en la regardant comme si c’était une folle hystérique. C’était involontaire et ça a même pas duré une seconde ! Par contre, le savon qu’il m’a passé après avait l’air de durer trois heures ! Il était vraiment furax !

— Il faut vraiment qu’on arrête de parler de ça ! gémit Cléo d’un air désespéré. Ça me donne juste envie d’entrer dans sa chambre en douce la nuit pour tester !

— Navré, mais ce n’est pas prêt d’arriver.

— AAAHHH !!

La démone aux cheveux noirs avait fait un bond en arrière en entendant la voix du Saigneur dans son dos. Personne ne savait depuis quand il écoutait la conversation, mais une chose était certaine : l’ambiance était devenue trèèès gênante.

— Désolé d’interrompre cette « agréable » conversation sur ce passionnant sujet, continua Samaël avec son sourire habituel, mais j’ai besoin d’Oscar pour la préparation du repas de ce soir.

— La boniche est de corvée, soupira l’intéressé en se levant de son fauteuil.

Loin de l’animation de la maison, dans une demeure isolée, quelqu’un ouvrait son courrier de la journée. Dans celui-ci se trouvait un compte rendu dont il débuta la lecture sans grand intérêt. Mais au fur et à mesure qu’il avançait dans le document, les informations qu’il y découvrait n’en étaient que plus intéressantes.

— Moi qui pensais qu’il avait disparu pour de bon, le voilà de retour…

Dessin original d'Elysio Anemo