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Chapitre 5 - Accusation

Chapitre 5 - Accusation

Pubblicato 20 gen 2025 Aggiornato 20 gen 2025 Absurd
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Chapitre 5 - Accusation

— Et le big bang?

— Quoi le big bang?

— C'est vrai ou ce n'est pas vrai?

— Et, cela changerait quoi?

— Rien, peut-être. Mais, quand même. C'est précieux de le savoir, non? Inestimable! Ne pensez-vous pas? Alors?

— Je n'en sais rien. Et, à vrai dire, je m'en fous.

— Mais c'est ce que vous répondez à chaque fois!

— Peut-être parce que...je m'en fous. A chaque fois.


Tout est dans la dissonance. L'anorexie cérébrale de Cupilcolo. Huileuse, grasse, molle. Et l'appétit intellectuel de Robert. Pétillant, acidulé, raide. Priapique. Turgescences opposées qui ne s'accordent ici que dans l'unicité de l'impulsion primaire de leurs mises en mouvement: l'attente.


— J'avoue, très humblement, ne pas vous comprendre. Vous avez accès à toutes les réponses, n'est-ce pas? Pourtant, vous ne posez jamais aucune question. Vous n'avez donc strictement aucune curiosité?


Cupilcolo reste silencieux. Assis sur un nuage fraichement formé, paumes des mains enfoncées dans sa neige duveteuse, bras tendus, épaules et haut du corps penchés vers l'avant, ailes repliées, ses deux jambes rondouillardes et velues suspendues dans le vide, il fixe du regard un point inutilement matériel du canevas cosmique. Un silence embarrassant s'installe que Robert ne tarde pas à rompre.


— Je vous ai vexé. J'en suis désolé.


Après un interminable court instant, Cupilcolo répond.


— Pas toutes.

— Pardon?

— Toutes les réponses ne sont pas accessibles, Robert, dit Cupilcolo en souriant.

*****

Allongés en aisance sur leur nuage maintenant réchauffé mais toujours éclatant de blancheur, les pieds enfouis dans la mie tendre, douce et tiède du monumental banh bao qui leur sert de couchage, Cupilcolo et Robert attendent. Toujours.


— Vous pensez qu'il y en a encore pour longtemps?

— Je ne comprends pas la question, Robert.

— C'est long. C'est très long. Je m'ennuis. Terriblement. Donc, je demande: à votre avis, je risque de m'ennuyer encore combien de temps?

— Ah. Eh bien, Jusqu'à la fin.

— La fin de quoi?

— Je n'en sais rien.

...

— Et je m'en fous.

*****

L'attente. Toujours. Interminable, insupportable. Abrasive. Grain après grain, poussière après poussière, l'attente use, soustrait, érode, réduit, jusqu'à se sentir petit. Si petit. En tout cas, c'est ce que Robert ressent. Sur leur nuage un peu plus gris, un peu plus sale, un peu moins doux, animé de spasmes légers, humide maintenant, Cupilcolo et Robert...devinez quoi...attendent.


— Non, mais sérieusement Cupilcolo! Nous attendons depuis combien de temps!


Cupilcolo se réjouit que Robert s'autorise à l'appeler par son nom d'usage, ce surnom si peu gratifiant. Il ne voit dans cette familiarité qu'un nouveau pas vers sa totale et définitive acceptation de la situation.


— Question stupide, je vous l'ai déjà dit, Bob. Le temps ne s'écoule pas ici.

— Cela n'a aucun sens! Dit Robert avec en colère. S'il ne s'écoulait pas, tout devrait être figé, inerte, anentro...

— Et voilà, vous recommencez! Comment vous faire comprendre...attendez...je réfléchis...Ça y'est, je l'ai: on s'en fout.


Robert garde le silence. Quelques secondes. Courtes, longues, c’est secondaire. Puis pleure. De sanglots délicats en larmes décomplexées. Des larmes rondes et régulières. Simples, brulantes. Une détresse véritable, honnête, assumée. Tout son esprit se heurte à l'après, à l'avant, aux causes et aux effets orphelins du mouvement, de la durée, du temps. Des rivières sans débit, des fleuves sans écoulement. Une abstraction inaccessible pour lui. Une frustration primaire. Comme un amour contrarié, en quelque sorte. Conscient de son désarroi, Cupilcolo s'adoucit.


— Nous attendons qu'un juge sois nommé. A partir de là, tout devrait s'enchainer. Le greffier, le procureur, les témoins, les experts, le jury, aussi. Et les chefs d'inculpation, bien sûr.


Robert retrouve un support, un point d'ancrage auquel s'amarrer: la tenue d'un procès. Tout cela, il le connait.


— Qui nomme le juge?

— Personne en particulier. Tout le monde en général. Disons, pour simplifier, qu'il s'autodésigne.

— Les autres aussi?

— Oui.

— Je ne pourrais pas appeler de témoins?

— Vous voudriez appeler qui?

— Je ne sais pas moi…Saint Pierre, Artémis, vos pères, votre mère,...

— Ma mère et pourquoi ma...? Non, laissez tomber. Admettons. Eh bien ils seront là. Tous.

— Comme cela? c'est tout?

— Oui, c'est tout.

— Et les jurés? Combien seront-ils? pourrai-je en récuser?

— Nous verrons. Comprenez simplement une chose: tous ceux qui doivent être là, ont envie d'être là, ont intérêt à être là ou je ne sais quoi d'autre, seront là. Dès lors, tout s'enchainera.

— Cela peut faire du monde je suppose.

— Oui, effectivement.

— Ce sera long.

— Oui, probablement.

— Ma foi nous ne sommes pas pressés, puisqu'il n'y a pas de temps, n'est-ce pas? dit Robert dans un demi-sourire résigné adressé à Cupilcolo.


Il se surprend à lui rendre son sourire. Il aime beaucoup cet homme qui n'en est plus un. Cet avocat brillant privé de son avenir, devenu le défenseur d'un nabot cynique, désabusé, pervers et crasseux, d'une fraction de divinité égarée en plein mythe. Il se dit qu'avec lui il y a, peut-être, quelques facéties nouvelles à manigancer.

*****

Fuuuut. Spoup. Fuuuut. Spoup.


Un bruit d'aspiration aqueux, suintant, étriqué suivi d'un relâchement massif, monolithique, aride, comme une baudruche trop sèche qui s'expand sans écho.


— Oh merde.

— Quoi Mr Cupidon?

— Je sais qui a été désigné juge.

*****

Fuuuut. Spoup. Fuuuut. Spoup.


Implosion, explosion, Big Bang, Big Bounce. La cadence primaire du cosmos résumée en un nom: Janus. Le dieu aux deux visages. Jean qui rit, Jean qui pleure, c'est selon. Si l'un cri, l'autre chuchote. L'haleine de l'un est fraiche comme le parfum du chèvrefeuille émoustillé par un soleil amant d'une ou deux gouttes perlées d'une rosée envoutante, l'autre schlingue, tout simplement. Picon bière pour l'autre, thé matcha pour l'un. Le premier t'informe qu'il ne veut plus voir te gueule de soudart dégénéré et t'ordonne de rompre le rang. Le second t'invite a reconsidérer ton niveau de hype clairement downsizé et te demande d'unstack quickly. Treillis kaki, béret vissé, ceinturon doubles œilletons et rangers laçage commando ou chemisette étriquée, bretelles, pantalon ultra slim et mocassins sans chaussettes. La droite contrebasse, la gauche contralto. Que des oppositions, des contraires absolus à chaque itération. Deux tronches en conflit, boursoufflées et tendues, cul tourné au côté à la moindre occasion sur les bords d'une tête vide sans aucune concrétion. Et lorsque l'affrontement atteint son paroxysme, que, d'horripilant, le stéréodialogue en devient inaudible, ils se retournent en creux tous les deux comme des gants au dedans d'un crane libre mais bien peu accueillant. Et, dans cette intimité, ils s'ébattent: ils s'engagent sans témoin, sans obstacle, dans l'expression sensuelle d'un partage intérieur, libre et débridé, sans sujétion, brutal parfois, violent jamais. Puis, dans l'inégal équilibre d'un orgasme négocié, le débat est tranché. Les visages se regonflent, ressurgissent du néant,reprennent toutes leurs formes. Dès lors, c'est d'un même élan, d'un même tempo, des mêmes mots que les deux voix s'expriment. Pour un temps en tout cas.

Hésitant entre la ligne et la courbe, titubant, saoulé de sa propre indécision, Janus se dirige avec maladresse vers Cupilcolo et Robert, assis sur leur cumulo-nimbus devenu orageux, parcouru d'une activité électrique encore contenue. Tous deux se dandinent imperceptiblement à chaque légère décharge circulant dans la masse conductrice du plasma ébène.


« CLraep ss,a ce nàc ofroeu turnee, bujded yl-ef eraetcuornen apiass,s éem aài sc ôlt'éa udtur ep rgouciesgsn odl',o ncb'oeasrtd iqnugi.? »


Tous les mots, les sons prononcés par les deux têtes se confondent, se mélangent, s'annulent.


« Par la houle orgasmique de la sainte matrice sous les assauts robustes du pilonneur divin! Les Janus! » Et Cupilcolo de scander:

« Du taraud légendaire de son glorieux poinçon,

Fort d'une joie pénétrante sans contrainte ni pression,

Il cultive mon sillon de mille et une façon,

Fait germer mes folies, moissonne ma raison »

« Je suis si heureux de vous voir! » dit Cupilcolo, avec un ton enjoué, légèrement (très légèrement) forcé. Si c'est lui le juge, il peut être préférable de ne pas le contrarier immédiatement.

« Je suis, sachez-le, en total accord avec ce que vous venez d'exprimer. Tous ces mots partagés, des sons si mélodieux par vos lèvres déposés sur nos ouïes désinvoltes, sont des bénédictions, des offrandes délicates, sans moindre imperfection. Je les aime tellement que je meurs, à nouveau, de les voir prononcer par vos bouches triomphantes, en espérant, peut-être, que votre mansuétude et votre charité vous donneront l'envie de bien les détacher afin de nous donner les clés de leur seule vérité. »


Dupé ou non par l'obséquiosité de Cupilcolo, Janus, dans un effort significatif d'articulation, répète avec un semblant de clarté:


« CLraep ss,a ce nàc ofroeu turnee, bujded yl-ef eraetcuornen apiass,s éem aài sc ôlt'éa udtur ep rgouciesgsn odl',o ncb'oeasrtd iqnugi.? »


L'harmonie dégueulasse des deux voix en frottement fait frissonner Cupilcolo et Robert.

« Mais que ceci est bon, que ceci est doux, l'empyrée se révèle sous votre verbe fou. Mais mon ami est simple, ses limites sont floues. Son sens du stéréo est parti on ne sait où. Et pourtant il aspire, lui aussi comme nous, à s'enivrer de vous, même par une simple toux. »


Fuuuut

Les deux têtes se rétractent, les visages se creusent. « Un ange passe, à moins que ce ne soit un séraphin » murmure Cupilcolo dans un demi-sourire, assez fière de ce petit mot d'esprit autocentré après cette épouvantable séquence de léchage de cul en vers.

Spoup


« Ta gueule le pisseux. Et toi? Méthode? Classe? Objet? »


C'est moche, c'est lourd, c'est douloureux, mais c'est compréhensible, enfin. En tout cas, sur la forme.


— C'est à vous qu'il s'adresse Robert, vous devriez répondre. Dit Cupilcolo.

— Je veux bien mais...je crois que je n'ai rien compris.

— Il vous demande simplement qui vous êtes. Faites court, de toute façon, cela ne l'intéresse pas.

— Euh...oui. Bonjour, je m'appelle Robert, je viens d'arriver, j'étais un grand avocat avant de...

— Ta gueule la bleusaille. @Echo off, merci.


« BPoridpeell!i nGer erfefaideyr., TGur epfefuixe rp!o uRsasmeèrn el-et ocio,d es.c rLiebso ujiulrléasr de nd eb amcesk .q uLaetsr et!é mEoti nlse, plreosc uerxepuerr?t sO ùe ne sftr-oinlt .l 'Péecnasretre uàr idnes tfainocni?e rIl lae ipnutbélriêct sàu rf aliar eV Ms adlee .p rLoad bpoeuned,a nct' elset ssporni nnto uevne lc oaumris.. »


La synchronisation fût de courte durée.

« Il faudra s'y habituer, dit Cupilcolo, ils n'aiment pas les exercices de coordination. Lorsque les deux visages se rétractent à l'intérieur de leur putain de crane, leurs langues se mêlent puis s'évitent en se logeant dans leurs cavités nasales respectives, puis se mêlent à nouveau. Je ne suis pas entièrement convaincu qu'ils apprécient. Heureusement, le greffier ne tardera pas. Lorsqu'il aura pris la main, Janus se taira. La plupart du temps. Nous retrouverons de la clarté, faites-moi confiance » acheva Cupilcolo pour rassurer Robert.

*****

— Que disiez-vous déjà? Ah oui, que nous serions inondés de clarté à l'arrivée du greffier.

— Oui, ben, désolé. Mais je ne m'attendais pas à cela.

— A quoi? A un poulpe?

— Non, à un poulpe assis sur une chaise.

— Cela change quoi?

— Vous savez quoi de l'anatomie des poulpes? Peu importe. Asseyez-vous sur la bouche et essayez de parler. Vous verrez bien.

*****

Suspendu par des fils directement rivés sur la trame universelle ceignant (saignant quelque peu également) quatre de ses huit tentacules, Cthulhu, Dieu des Rivages Polluées et des Continents de Polyéthylène Haute Densité, est libre, maintenant, de d'exprimer clairement. Ses appendices mobiles lui permettent de saisir très approximativement sur une antique machine à écrire, une Germania-Jewett N°5 de 1901, toutes les minutes du procès.


— Je ne comprends pas. Une fois encore, me direz-vous. Cthulhu? Chuchote discrètement Robert à l'oreille de Cupilcolo.

— Quoi Cthulhu?

— Eh bien...Il n'existe pas affirme Robert de manière péremptoire, après, cependant, un léger moment d'hésitation. C'est un personnage de fiction.

— Exact. Alors que nous, évidemment, c'est différent, dit Cupilcolo en pouffant.

— D'accord, cela n'a aucun sens, je le reconnais. Les évangiles, les mythes, les contes, les romans quelle différence après tout. Mais quand même, Cthulhu? Il est petit, ridicule, et loin d'être impressionnant.

— C'est ce que l'on dit de moi, souvent. Faites quand même attention dit Cupilcolo contrarié.

— Désolé.

— En fait, maintenant, cela me revient. Ce n'est pas son vrai nom. Il s'appelle Kanaloa, Dieu polynésien des Bas-Fonds et de la Poiscaille un truc comme ça. Tout le monde l'appelle Cthulhu pour se foutre de sa gueule, vu qu'il est petit, ridicule et pas impressionnant du tout, justement. C'est un pote à Shiva. Ils partagent ensemble leur amour du travail mal fait et leur maladresse. En revanche, ils massent tous les deux divinement (logique). Vous devriez essayer à l'occasion, cela vous permettra, peut-être, de vous détendre et d'éviter de penser à ma mère.

— Je ne pense à votre mère qu’en termes professionnels, répond Robert avec aplomb.

— Je le sais Bob. Elle aussi, soyez en assuré.


Atterré, une fois encore, Robert se reconcentre sur la situation. Il s'aperçoit qu'à mesure que le temps, du moins ce qui s'en approche le plus, passe, c'est une authentique scénographie qui se met en place.

Décors, costumes, accessoires, comédiennes et comédiens. Tout est là. Fini les lieux ouverts, lumineux, éthérés, les nuages mouvants comme unique mobilier, les rayonnements saillants, les halos déformés. Place à la salle d'audience. Bois vernis, tentures coquelicot, fauteuils bourgeois, chaises pastorales ou banc plébéien, selon la haute estime que chacune et chacun peut avoir du cul qui s'y étale, plusieurs pupitres pour y poser La Loi, inutiles bien sûr, puisqu'en ce lieu stérile elle n'y existe pas, une potence fière et droite pour suspendre...qui au fait? L'accusé né coupable? L'avocat scélérat? Le public dissipé ? Le greffier maladroit? Des gardes corps trop bas ou parfois trop hauts pour contraindre témoins, experts, même jurés à rester à leurs places et surtout ne jamais, en aucun cas, d'aucune manière, quoiqu'il arrive et même si Dieu le veut (en admettant que Dieu veuille quelque chose) sortir du rôle implacable et plat que la vénérable justice leur assigne en séance, sans prévenance, ou si peu, sans moindre invitation au dépassement de soi, contraignant ses acteurs à ne jamais convoquer la meilleure version d'eux-mêmes. Place, donc, au spectacle. Tragédie, comédie, farce. Pour Robert, c'est sans importance. Tant qu'il ne se retrouve pas au milieu d'une comédie musicale. Il préfèrerait tenir son rôle sans être condamné à chanter.

Il constate, en tout cas, qu'il le tiendra devant un public fourni. Très fourni même. Infiniment (+1) fourni. Des gradins sont disposés à perte de vue. De sa vue, au moins. Des personnages étranges ou communs, bigarrés ou ternes, risiblement infinitésimaux (-1) ou ostensiblement pharagigantitanesques, ou les deux parfois, dans une indétermination qui se joue de ses sens et de sa capacité à interpréter ce qu'il voit, sont assis, non, sont posés, ici, et ailleurs. Partout ailleurs. Un murmure étouffant, ondulant émane en continue de cet aéropage. Il aperçoit aux premiers rangs les quelques visages connus qu'il a déjà rencontré et qu'il est en mesure d'identifier. Le box des jurés, lui, reste vide. Robert suppose qu'ils seront désignés d'ici peu. Le maillet de Janus s'agite frénétiquement sur une épaisse plaque en bois fendillée et creusée fixée sur le bureau massif du juge.


« FGerrmeefzf iveors, stpuh ivnecutxe rksi llelse rg lnaoitrreeu xs!t rGarteéfgfiiee ro, màn ilc'haasnsnaeult?! SItlalritc ol!e Etk iccek no'fefs,t ipla sy uan uandev errboea,d mca'pe sàt ruens poercdtreer!. »


Avec deux de ses tentacules libres, dans une pantomime étrange mais élégante, presque sensuelle, le greffier distord l'espace et fait apparaitre un pseudo-écran.


— J'aimerais beaucoup apprendre à matérialiser cela moi aussi, dit Robert à Cupilcolo.

— Ce n'est peut-être pas la priorité du moment mais, si cela peut vous faire plaisir, je vous apprendrai, promis. Maintenant taisez-vous, c'est ici, probablement, que tout se joue.


Un texte s'affiche et défile, écrit dans un alphabet confus, incohérent que Robert n’a pas la capacité de déchiffrer. Kanaloa débute sa lecture.


« Cette audience, libre et publique, est ouverte. La cour sera présidée par le limpide (rires collectifs à peine étouffés) Janus le Double, Dieu grec de l'Avant et de l'Après. Le ministère public (quelle désignation incongrue se dit Robert) sera représenté par l'inflexible (murmure sourd généralisé, approbateur et empreint de soumission) Shamash des Entrailles, Dieu akkadien du Soleil et de la Justice Divine. »


— Pourquoi Shamash des Entrailles? Demande Robert à Cupilcolo.

— Vous n'avez jamais ouvert le bide d'un veau ou d'un agneau pour y découvrir la vérité cachée et révéler l'innocence ou la culpabilité?

— Pas à ma connaissance. En tout cas pas depuis très longtemps.

— Etrange. J'imaginais qu'ici-bas c'était même un métier. Avec tous les animaux que vous élevez uniquement pour les conduire à l'abattoir, je pensais que vous aviez un sens de la justice particulièrement développé. A croire que vous vous contentez de les bouffer. Bref. Eh bien sachez que c'est efficace: cela donne des résultats globalement identiques à ceux d'un polygraphe. C'est moins technique peut être. C’est notre ami Shamash qui a mis cela au point! Cool, non?

— Euh...non, répond Robert, en essayant de se focaliser sur le discours de Kanaloa afin d’oublier les images malsaines qui défilent dans sa tête.


« La défense sera représentée par...il se tourne vers Robert. C'est quoi votre nom? »

— Il n'apparait pas dans votre liste?

— Si, mais c'est une plaisanterie je crois. Encore un coup de Saint Pierre. Il désigne d'un tentacule la ligne ou s'affiche le nom de Robert.

— C'est bien moi, répond ce dernier après avoir consulté la ligne pointée par l’octopode, sans désir véritable de comprendre ce qu'il vient de lire.

— Vraiment?

— Oui, vraiment insiste Robert, qui trouve la question et l'interruption qui l'accompagne complétement dénuées d'intérêt.

— Soit. Désolé. Sincèrement.


« La défense sera représentée par Bob le Taré (vrombissement d'étonnement, souffle de curiosité, bourdonnement d'indifférence), Résidu des Causes Désespérées » . Cupilcolo se tourne vers Robert, statufié, et lui dit rassurant:


— Ce n’est pas si mal le taré, c'est même flatteur en définitive.

— Et résidu? Répond Robert.

— Vous n'êtes qu'en bas de l'échelle Bob, ne soyez pas orgueilleux.


« Seront appelés à témoigner: Saint-Pierre, dit Simon, Prince des Apôtres et Premier Agent d'Entretien du Plateau Cosmique, Ek-Shua le Marchand, Dieu maya de la Prospérité et du Cacao, Mars le Fécond, Dieu romain de la Guerre et de la Fertilité, Venus la Sal… la Céleste, Déesse romaine de l'Amour et de la Beauté, Soma le Ferment Divin, Dieu védique des Plantes et du Breuvage Sacré. »


— Quoi? Soma? Il témoignera de quoi? De mes beuveries? Tu parles d'un témoin, il est torché en permanence, dit Cupilcolo dans un murmure.

— Je suis surpris qu'il n'ait pas appelé Artémis à témoigner, remarque Robert.

— Exact. Mais ce n'est peut-être pas plus mal. A moins qu'elle ait apprécié la plaisanterie, mais j'en doute.


« Seront sollicités pour leurs expertises: Ilmarinen le Faiseur, Dieu finnois de la Forge Céleste et de la Paix, Ogun l'Enflammé, Dieu haïtien du Fer et de la Guerre, Mnémosyne Je-Sais-Tout, Déesse grecque de la Mémoire et de l'Ultime Chronique, Artémis la Chasseresse, Déesse grecque de la Nature et de la Fertilité. »


— Un sale coup du procureur? Demande Cupilcolo à robert.

— Comment voulez-vous que je le sache?

— C'est vous l'expert, non?


C'est exact, se dit Robert. Il doit bien, c'est vrai, y avoir une raison pour appeler Artémis en qualité d'experte et non de témoin. Dans un procès commun, sous-entendu de son vivant, il lui aurait suffi de contester la partialité de l'expertise. Mais ici, il est peu probable que cela intéresse qui que ce soit.


« Et », reprend Kanaloa le Visqueux, Dieu hawaïen des Abysses Océaniques et de la Faune Aquatique. Il s'interrompt, se fige. Quatre appendices inertes pendus par un cordage argenté, deux autres sur un clavier, comme collés, englués et enfin deux en lévitation, arrêtés, effrayés. Il regarde Janus du coin de l'œil, qui se rétracte aussitôt, par lâcheté.

Fuuuut.


Puis il tourne lentement son regard vers la foule, suspendue à des lèvres qui, ne l'oublions pas, se confondent anatomiquement avec un orifice beaucoup moins bienséant. C'est, en vérité, probablement de ce dernier qu'il finit par lâcher: "LUI".

Le silence n'existe pas. Pas plus que le froid. Pas plus que l'immobilité. Seul le bruit existe. Seule la chaleur existe. Seul le mouvement existe. Seul le désordre existe, donc. Même l'ordre n'existe pas. Tout ceci ne résulte que d'une entropie nulle, en toute chose. C'est ici que se cache la mort, la vraie. Robert a toujours été séduit par ce cliché mal maitrisé dérivé de la thermodynamique. L'idée que nous vivons dans un monde de désordre croissant, fuyant l'état de mort réel simplement en étant mis en marche malgré nous, s'est même parfois substituée à sa foi vacillante. Il a pu, ainsi, adopter une posture spirituelle scientifiquement acceptable, en accord avec le positivisme tristement dominant. Ces derniers heures/jours/mois/années/autre passés en ce lieu ont permis de confirmer ce work in progress du bourbier universel, comme diraient les Janus en état de fusion lexicale. Mais, maintenant, il doute. Car le silence, lui, existe bel et bien. Il vient d'en avoir la démonstration. Entité impartiale, d’âme égale, souveraine et affranchie du vacarme ambiant qui, après cette révélation de Kanaloa, n'a pourtant pas cessé un instant. Tumulte et silence cohabitent même si ce dernier, dans élan d'autorité bienveillante et d'authenticité incontestable, réussi à s'imposer.


Spoup.

Le silence se tait, enfin. Robert demande à Cupilcolo:


— IL viendra, vraiment?

— De la flûte. Je n'y crois pas un instant. Il délèguera, comme d'habitude.

— A qui? A Saint Pierre? Il est déjà appelé comme témoin.

— Non. Pour déléguer les conneries, il a un émissaire tout trouvé.

— Ah oui, qui?

— Un de ses fils.

— Lequel?

— le Percé.


Kanaloa reprend, alors que Cupilcolo commente, en aparté auprès de Robert, chacune de ses interventions.


« Les sept jurés convoqués sont: Qetesh la Protectrice, Déesse égyptienne de l’Amour et de la Sensualité. »

— Une amie de ma mère, c'est bien. Je pense qu'elle vous plaira également, Bob.


Agacé d'être sans cesse titillé sur ce sujet, Robert hausse puérilement les épaules, ce qui n'est pas sans amuser Cupilcolo.


« Istustaya la Stochastique, Déesse hittite du Destin et du Fil de Vie, Belenos l'Aveuglant, Dieu gaulois de la Lumière et de la Santé. »

— Impeccable! Ces deux-là éprouvent souvent des difficultés à s'entendre! Vraiment dommage que je ne puisse pas assister aux délibérations.

« Parjanya le Détrempé, Dieu hindou de la Pluie et des Orages. »

— J'ai deux mots à lui dire celui-là. Je trouve que le confort du mobilier embrumé s'est dégradé ces derniers temps.

« Mayahuel la Sucrée, Déesse aztèque de l’Agave et de l'Ebriété »

— Chouette, ma tata.


A ces mots, Robert devine qu'elle a un lien étroit avec Ek-chuah, le Dieu du Cacao. Il admet, en son for intérieur, que la douceur de l'agave se marie merveilleusement avec l'amertume du cacao. Et conclu avec désespoir qu'il vient, de cette simple pensée, de transformer la préparation d'un bon chocolat chaud en une expérience de chevauchement procréatif divin. Il espère, afin de ne pas sombrer dans la folie, ne jamais croiser la divinité des produits laitiers.


« Mielikki la Velue, Déesse finnoise des Animaux de Compagnie et de la Forêt. »

— Merde, une copine d'Artémis. Je me demande cependant ce qu'elle pensera du coup des corgis.

« Benzaiten la Sagace, Déesse japonaise de la Musique et du Savoir. »

« Momos le Farceur, Dieu grecque du Calembour et de la Contrepèterie. »


Robert, stimulé par la sérénité de Cupilcolo, s'autorise un commentaire, très éculé cependant, sur le jury:


« Voilà qui peut ressembler à notre facteur X, notre grain de sable perturbateur d'une mécanique judiciaire implacable trop huilée, vous ne croyez pas? »


Cupilcolo ne répond pas. Robert s'aperçoit qu'il a le regard enraciné dans celui de Benzaiten, par un acte d'encrage réciproque des plus troublant.


— Vous n'avez fait aucune remarque à propos de l'avant dernier nom…Ben...quelques chose, déesse de la musique il me semble. Vous ne la connaissez pas?

— Benzaiten. Si, je la connais.

— Et?

— Et quoi?

— Qu'en pensez-vous?

— Rien, je ne pense rien. Je ne pense plus à rien.


Sentant Cupilcolo troublé, Robert s'apprête à l'interroger d'avantage, mais est interrompu par Janus qui reprend la parole.


« TMu odoii s qavuoiir apuetannts adei bsi tetso qnue sdeh barpase p omuru platssietr htoruet aced ,te mptsu à tsel barcankle rd. èLess cqheufes d'laecc ubsaaticoknsl. oHgau t eest tfo rct!h aEtr cgeé n.e sGonot paash deeas da,dj ecttuif s,s ccea slodnte dse s tpoutuaitn s ld'ei nsbtruudctgioents!. »


Excédé mais soumis, Kanaola reprend.


« L'accusé, Cupidon le Potelé, Marmouset romain du Désir et du Rapprochement Intime est accusé de… » Là encore, il regarde tour à tour Janus indifférent, le procureur satisfait puis Cupilcolo, attentiste. Il dit enfin, résigné:


« Cupidon est accusé…d'immixtion. »


Un brouhaha âpre, convulsif, s'élève de l'assemblée, en totale opposition avec le silence despotique consécutif à l'annonce de LUI. Robert ne comprend pas l'agitation très particulière qui succède à l'annonce du chef d'inculpation qui lui parait plutôt abstrait. Il s'attendait, il est vrai, à une accusation plus grandiloquente ou, au moins, à une litanie plus explicite et descriptive de ce qui peut être reproché à son client. Il est simultanément déçu, rassuré mais aussi suspicieux. Un seul mot, un simple mot qui semble encapsuler tout le déshonneur de la création, à en croire l'agitation du moment. Il regarde Cupilcolo qui ne semble pas particulièrement inquiet et qui continue à fixer Benzaiten.


« Mr Cupidon, pouvez-vous m'expliquer en quoi consiste la charge d'immixtion? »


Cupidon ne réagit pas. Robert s'inquiète de cette soudaine neurasthénie. Il craint d'avoir perdu son client.


« Cupidon? »


Cupilcolo détourne son regard de Benzaiten et le plonge dans celui de Robert. A sa grande surprise, ses yeux pétillent de malice et de joie. Il dit avec un sourire inattendu.


« Vous allez voir, ça va être marrant. »


Rassuré, Robert s'autorise à relâcher son attention et laisser divaguer son esprit. Il repense furtivement à sa vie qui s'efface, sans regret, sans amertume. Il apprécie ces azurs chatoyants et sidérants qu'il se plait à fixer longuement depuis son arrivée. Il pense à Venus, bien sûr, qu’il s'engage ici même dès la fin du procès à inviter à diner, ou quelque chose d'équivalent dans ce monde stupéfiant.

Et il pense également à Cupilcolo car, après tout, c'est son client. Il s'aperçoit en réalité qu'il a très peu penser à lui jusqu'à présent. Cupilcolo le Marmouset Potelé…Robert se dit que son propre surnom divin, qui lui restera peut-être une éternité, n'est peut-être pas si infament que cela.


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