

Le Paradoxe de Bethsabée
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Le Paradoxe de Bethsabée
Plongée jusqu’au épaules dans son bain, la blonde créature se délectait de la caresse du gant de toilette sur sa peau. L’esprit engourdi par l’alcool, Hélène Machin ne savait plus trop ce qui s’était passé dans la cuisine, ce qui relevait de la réalité, ce qui relevait du fantasme. (1)
Hélène abandonna le gant, ferma les yeux et se laissa glisser jusqu’à être complètement submergée. Elle émergea après un temps d’apnée honorable, mais peut-être un peu dangereux dans son état. Quelque chose la dérangeait.
Elle observa la modeste salle de bain carrelée de blanc, à peine éclairée par la lueur des bougies. Puis elle leva les yeux vers son observateur. “L’Auteur” avait cessé de marteler son clavier, comme suspendu au fruit de son inspiration.
— Vous aimez ce que vous voyez ?
L’écrivain à demi-éveillé sursauta. La question s’adressait bien à lui.
— J’ai l’impression d’être David assistant à la toilette de Bethsabée, répondit le façonneur d’histoires.
— Et vous aimez ?
— Je ne vous mentirai pas. Vous êtes fort charmante.
— Je suis telle que vous m’avez écrite, se hasarda-t-elle avec un geste dans les cheveux qui disait “parce que je le vaut bien”.
— Je vous ai écrite telle que vous m’avez été révélée.
La jeune femme sourit plus ou moins et s’accouda au rebord de la baignoire.
— Vraiment ? Vous savez ce qui est arrivé entre David et Bethsabée ?
— Oui, finit-il par répondre après un silence dont les secondes parurent des siècles. J’ai un peu de culture.
— Ça aide ?
— Pardon ?
— Avoir de la culture… Ça aide pour écrire des romans ?
— Oui sûrement.
Hélène avisa le verre et la bouteille de vin presque vide qui l’avaient suivie dans la salle de bain.
— Dites, vous avez assisté à ce qui s’est passé dans la cuisine ?
Silence gêné.
— Vous l’avez écrit, d’ailleurs ?
— Pas tout.
— Comment ça pas tout ?
— J’ai essayé d’éviter la vulgarité.
— ‘Vaut mieux entendre ça que d’être sourde, j’imagine. Et qu’est-ce que vous allez me faire subir maintenant ?
— Rien.
— Mon histoire s’arrête là ? Je fais n’importe quoi devant mon grille-pain et ma bouilloire puis point final ?
— Non.
— Alors si vous me reluquez dans mon bain, c’est que vous avez un truc derrière la tête ?
Le ton était aussi accusateur qu’une femme en est capable. Un point sur lequel elles battent les hommes à plate-couture.
— Ah les bonnes femmes, pesta l’écrivain ! C’est toujours pareil avec vous !
— Même les bonnes femmes en papier ?
Hélène Machin avait lourdement insisté sur “bonnes femmes”, avec une acidité qui ne laissait aucun doute sur ce qu’elle pensait de la formule.
— C’est bien la première fois qu’une héroïne de mes histoires me fait une scène, tiens !
— C’est peut-être que ça fait partie de votre fantasme, lui lança-t-elle sur un air de défi ?
— Comment ça mon fantasme ?
Hélène Machin se redressa.
— Ce physique hitchcockien que vous m’avez donné ! Ce n’est pas pour nourrir vos fantasmes, peut-être ?
— Plus ceux des lecteurs. C’est que la “recette Hitchcock” est plutôt vendeuse. Enfin je crois…
— Je ne suis que de la viande sur un étal, en gros !
L’écrivain soupira et jeta quelque chose qu’il avait en main sur ce qui devait probablement être son bureau. Hélène n’aurait su dire précisément quoi. Mais c’était léger et assez résistant pour supporter ce traitement.
— Et votre Hitchcock… continua-t-elle, il a fait une sacrée hécatombe de blondes dans l’ensemble des ses scripts ! C’est ce que vous allez faire ? Me sacrifier dans votre histoire ?
Un silence lourd, gênant, gêné s’installa sur ces mots. Et comme notre blonde héroïne avait une occasion de tenir le crachoir, elle en rajouta une couche :
— La baignoire au lieu de la douche ! Ah c’est d’un créatif en plus !
— Non, Hélène. Ni ce soir, ni dans votre baignoire. Mais vous n’imaginez quand-même pas que je vais vous dévoiler la fin ?
— Ah b’en non ! ‘Faudrait pas gâcher le plaisir des lecteurs tout de même !
— Vous voyez, quand vous voulez.
L’écrivain éteignit son ordinateur sur cette conclusion et se servit un verre d’eau fraîche avant d’aller se coucher. Mais avait-il vraiment eut le dernier mot ?
À en juger par sa mine au lever, nous sommes en mesure d’en douter. Avis que la cafetière partage.
Quoi ? Cela vous étonne qu’une cafetière puisse avoir un avis ? Et même de l’empathie ? Vous connaissez si bien les cafetières pour en juger ?
Nous disions donc que la cafetière trouva une petite mine à notre écrivain ce matin-là. Et dans un élan de sympathie pour cette pauvre âme qui avait visiblement passé une mauvaise nuit, elle pris une décision. Elle allait lui faire le meilleur café qu’elle n’avait jamais fait. Chaque goutte de ce nectar serait une œuvre d’art.
Pari réussi puisque notre écrivain vérifia sur le paquet de café qu’il buvait la même référence depuis plusieurs matins. Déjà là, on sentait que le geste dont il n’avait même pas conscience lui réchauffait le cœur.
— Fayotte !
Quoi ? Qui ? Que ? Qu’est-ce ?
C’était le grille-pain. Sitôt la porte close sur les pas du monsieur qui s’en allait affronter le terrible monde extérieur, ce mufle de grille-pain manifestait sa réprobation ou peut-être sa jalousie.
— Tu disais, l’Artiste ?
— Je disais que tu es une caudataire.
— Et toi, tu n’es qu’un vieil imbécile comptenteur !
— Sérieusement, tu t’es vue ? “Oh, chaque goutte sera une œuvre d’art ! Je suis trop parfaite !” Tu fais juste passer des condensats de vapeur sur du café grossièrement moulu ! Laisse-moi rire !
— À priori, j’apporte plus de bonheur que tes tartines à moitié cramées que tu nous craches à la gueule comme des postillons !
S’ils avaient des bras, les deux appareils se jetteraient probablement la porcelaine de mamie à la tête. Heureusement, ils n’en ont pas. Et nous avons tout loisir de les laisser à leur dispute de blanchisseuses dont il ne naîtra rien de positif. Surtout avec l’intervention véhémente de la bouilloire, dérangée dans son sommeil !
Peut-être aurions nous mieux fait de suivre notre écrivain jusque chez le boulanger, en bas de la rue. Au moins, les croissants ne se disputent pas sur l’étal.
______
“Pour chaque fin, il y a toujours un nouveau départ” (Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupery)
Note en bas de page et Crédits :
(1) Voir “L’Egorgeur de Vallon-Pont-d’Arc, chapitre 12”
Illustration de couverture générée sous Seelab.ai d'après un prompt original. Tous droits réservés.


Jackie H 13 ore fa
Moi j'les aime bien, cette cafetière empathe qui a un avis et ce grille-pain jaloux...
Daniel Muriot 5 ore fa
Il n'est pas exclu de les retrouver dans de nouvelles aventures. ;)
Erwann Avalach 21 ore fa
Décidemment, les pauvres écrivants (je n'ose pas me dire écrivain) que nous sommes vont avoir de plus en plus de mal avec nos propres créations !
Jackie H 13 ore fa
Si on les dote de l'IA (ou de la BA...) en plus...
Daniel Muriot 5 ore fa
Qu'entends-tu par la BA ?
Erwann Avalach 1 ora fa
J'aime penser que l'IA soit simplement l'Imagination de l'Auteur.