Le rêve de Yule.
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Le rêve de Yule.
Chapitre 1. La chute aux enfers
"Et merde !" Alice aurait juré avoir entendu sa cheville craquer au moment où elle s’effondra sur le trottoir glacé. Une douleur fulgurante lui coupa le souffle tandis qu’elle fixait le bout de verglas traître à ses pieds. "C’est con ! Glisser sur un truc aussi petit, juste devant l’entrée du boulot… C’est tout moi, ça !" Marmonner des reproches à elle-même lui donnait l’illusion de reprendre un peu de contrôle, mais quand elle tenta de bouger, la douleur la transperça comme un éclair. Elle aurait crié, si elle avait encore de l’air dans les poumons.
Derrière la vitrine de l’opticien, Nadège, sa collègue, faillit renverser son café en l’apercevant. Les deux femmes étaient les premières à arriver, fidèles à leur routine matinale, prêtes à affronter les dossiers en retard avant l’ouverture au public.
— Ne bouge surtout pas ! hurla Nadège en s’acharnant sur les portes automatiques encore verrouillées.
— Y a pas de risque, répondit Alice en grimaçant, tentant de se débarrasser des étincelles dans les yeux après la première tentative.
Les trois heures qui suivirent furent un tourbillon de bruits, de visages et de formulaires. Nadège paniquant, les pompiers avec leur humour de circonstance, les urgences avec leurs néons aveuglants et les questions répétées en boucle — nom, prénom, date de naissance, circonstances de l’accident - Alice n’était plus qu’un flou dans un brouillard saturé de douleur.
Et des douleurs, il y en avait: cinquante nuances. Toutes plus inventives les unes que les autres. De la brûlure sourde qui pulsait à chaque battement de son cœur, jusqu’à la pointe glaciale qui remontait le long de sa jambe dès qu’elle osait bouger ne serait-ce qu’un orteil. C’était un festival, une symphonie discordante où chaque note jouait à lui rappeler combien le moindre mouvement lui coûterait.
Le verdict tomba comme un couperet : fracture de la malléole, rupture de ligaments.
Sur le chemin du retour, Nadège conduisait Alice chez elle. Le silence régnait dans l’habitacle jusqu’à ce que l’effet des antalgiques dissipe légèrement la douleur, laissant Alice reprendre ses esprits. Et avec eux, sa parole.
Les jurons et les gros mots se déversèrent de sa bouche telle une cascade après le dégel. Si quelqu’un avait tenté de masquer les plus gratinés avec un “piiiip” pour épargner les oreilles sensibles, il aurait fallu une bande-son d’au moins deux minutes. À bout de souffle, mais visiblement un peu soulagée, Alice s’affala contre le siège.
— Contente de te retrouver enfin, lança Nadège, un sourire en coin, sans quitter la route des yeux.
— Non, mais qui va clôturer les dossiers de mes clients ? Qui ira chercher les cadeaux pour les fêtes ? Qui s’occupera des repas ? Qui va organiser le voyage des enfants chez leur père ? QUI ?!
— En tout cas, pas toi, ma cocotte. Et je vais m’en assurer, déclara Nadège d’un ton mi-sévère mi-amusé.
Sans laisser le temps à Alice de protester, Nadège la fit boitiller clopin clopant jusqu’à sa chambre, la posa sur le lit avec la délicatesse d’un déménageur et décréta qu’elle ne bougerait plus d’un pouce. Ensuite, elle s’activa dans l’appartement comme une tornade bienveillante, préparant à manger, prévenant la famille et la boutique, et installant un semblant d’ordre dans le chaos ambiant. Alice, paralysée par l’inconfort et la culpabilité, restait allongée, incapable de chasser l’idée qu’elle venait d’abandonner tout un pan de sa vie.
Et, comme pour remuer le couteau dans la plaie, le carton des décorations de Noël gisait au milieu du salon, témoin silencieux de ses ambitions avortées.
Cela faisait déjà plusieurs années qu’Alice avait perdu toute joie à l’approche des fêtes. La magie de Noël ? Une légende pour enfants, désormais remplacée par des listes interminables et une pression écrasante. À chaque fin décembre, elle courait d’une tâche à l’autre : les cadeaux à choisir, les repas à planifier, les vacances des enfants à organiser… Et chaque année, elle terminait vidée, sans aucune étincelle de féérie. Cette fois, la minuscule plaque de verglas avait anéanti ses plans.
Quelques jours avant Noël, pendant la période la plus chargée de l’année.
Les émotions débordèrent, mêlant colère, impuissance et fatigue accumulée. Les larmes vinrent sans prévenir, silencieuses, pour ne pas inquiéter davantage Nadège qui régnait dans la cuisine. Alice détourna les yeux, honteuse de pleurer devant un carton de guirlandes.
Dans un geste machinal, elle attrapa le premier livre posé sur sa table de chevet. Il appartenait à sa fille, mais qu’importe. Elle l’ouvrit au hasard et tomba sur un chapitre intitulé : “Célébration de Yule”.
Chapitre 2 : Le livre de Yule
“Yule, le sabbat de solstice d’hiver, est le second sabbat de la roue de l’année. Son mystère, dont les échos ont survécu dans les traditions de Noël et du Nouvel An, est une magie qui réveille la lumière solaire et achève tous les processus de l'année écoulée. Yule est une libération, une remise à zéro, un commencement. Mais c'est aussi une épreuve de force.”
Alice s'arrêta un instant. Elle avait entendu parler des festivités liées au solstice d'hiver, mais jamais de cette manière. Cette magie, cette remise à zéro… Tout cela semblait à la fois ancien et curieusement pertinent. Elle reprit sa lecture, intriguée.
“Jusqu'au prochain tournant de la Roue, jusqu'à Imbolc, l’homme n’a pas de soutien. Toutes les forces, tous les mondes, toutes les énergies sont en sommeil, et personne ne peut compter sur l'appui des dieux. Yule libère l’homme du poids du passé, des liens anciens, des chaînes et de la servitude. Mais il rappelle aussi : désormais, tu dois prendre soin de toi seul. Si tu veux construire un nouveau monde, traverser le prochain cycle et passer à un niveau supérieur, tu dois te libérer des attentes et des attaches – aux gens, à l'aide, à ce sur quoi tu avais l'habitude de t'appuyer. Commence ton chemin seul pour découvrir ta propre force et ton essence.”
Alice s’arrêta, pensive. L’idée d’être seule dans la noirceur de l’hiver semblait, à ce moment précis, plus un fardeau qu’une libération. "C’est exactement ce que je ressens en ce moment, pensa-t-elle. Seule, abandonnée, devant tout porter sur mes épaules…" Elle secoua la tête, tentant de chasser ses pensées, et reprit sa lecture.
“Les traditions de Yule.
De nombreuses légendes et traditions sont associées à Yule. Les peuples païens d’Occident possèdent tous des signes et des rituels pour cette période :
Le Chat de Yule : immense félin noir, gardien des traditions et rituels.
L’Arbre de Yule : symbole de vie et de renaissance, il est décoré pour célébrer la lumière dans l’obscurité.
La Bûche de Yule : brûlée dans l’âtre, elle éloigne les mauvais esprits et attire la chance pour l’année à venir.”
Alice sourit à l’idée du Chat de Yule. Elle imagina une créature imposante, aux yeux perçants, surveillant silencieusement les foyers… mais l’image disparut à l’instant où elle tourna la page.
“Yule, avant tout, est une célébration du clan, du foyer, et de la famille. Il n’était pas concevable de traverser cette période en solitaire.
Dans les anciennes traditions nordiques, après le festin de Yule, les membres de la famille se rassemblaient, se tenant la main en cercle. Ensemble, ils énonçaient ce qu'ils souhaitaient laisser derrière eux avec l’année écoulée, puis ils adressaient leurs vœux aux esprits et aux dieux, implorant leur soutien pour ce qui allait suivre.
Ce moment n’était pas seulement une prière, mais une promesse. On croyait que le clan passait un accord sacré avec les forces invisibles : respecter les rituels nécessaires en échange de leur protection et de leur bénédiction pour les projets à venir."
Alice fixa les mots un instant. Demander aux dieux et aux esprits de bénir leur chemin... Ces anciennes pratiques semblaient si lointaines. “J’aurais bien aimé qu’un dieu ou une autre force m’aide en cette période! Mais j’ai l’impression qu’ils nous ont tous oubliés” pensa-t-elle et poursuivit la lecture.
“La légende des deux rois.
Parmi toutes ces traditions, une légende en particulier semblait capturer l'essence de Yule : celle du Roi du Houx et du Roi du Chêne.
Dans les temps anciens, au cœur de la forêt, régnait une rivalité ancestrale entre deux rois légendaires : le Roi du Houx et le Roi du Chêne. Chaque année, lors du solstice d'été et celui de l’hiver, ces deux puissants souverains se livraient un combat symbolique pour déterminer la destinée des saisons à venir.
Le Roi du Houx, avec son apparence sombre et robuste, régnait sur l'hiver. Vêtu de vert et de rouge, il portait une couronne de houx épineux. Il représentait le silence et la tranquillité, mais aussi les épreuves de l’hiver.
Le Roi du Chêne, symbole de la lumière du printemps et de l'été, était majestueux et lumineux. Ses cheveux d’or et sa couronne de chêne étaient des emblèmes de renouveau.
Au solstice d’hiver, lorsque les jours étaient les plus courts, le Roi du Houx atteignait son apogée. Cependant, à mesure que la lumière revenait, le Roi du Chêne reprenait des forces. Leur combat, éternel et équilibré, n’était pas une lutte de haine, mais un échange symbolique entre la lumière et l’obscurité.”
Alice se sentit étrange, comme si ces anciens mythes avaient une pertinence qu’elle n’arrivait pas à saisir. Pourtant, elle sentait qu’il y avait quelque chose d’indéniablement vrai dans ce duel symbolique, quelque chose qui résonnait avec sa propre lutte intérieure.
Le livre tomba doucement sur la couverture d'Alice. Les mots étaient encore vifs dans son esprit, mais ses paupières devenaient lourdes. Elle s'enveloppa dans ses draps, laissant les légendes et les traditions de Yule flotter dans son esprit. La voix de Nadège parlant au téléphone et les bruits des casseroles dans la cuisine semblaient se dissiper à mesure que son esprit se laissait glisser dans le sommeil.
Devant ses yeux, une forêt se dessina. Les branches des arbres étaient couvertes de glace, et au loin, deux silhouettes se rapprochaient. L’une était sombre et imposante, couronnée de houx épineux. L’autre brillait faiblement, comme un feu naissant, ses cheveux d’or scintillant sous un rayon de lune…
Chapitre 3. Le Roi du houx
Un bruit sourd réveilla Alice la faisant sursauter: une porte venait de claquer quelque part. Désorientée, elle cligna des yeux, essayant de dissiper la lourdeur du sommeil. Ses muscles étaient engourdis, mais la douleur à la cheville disparut. Un frisson parcourut sa peau: elle n'était pas dans sa chambre.
Un feu crépitait dans l’âtre, diffusant une lumière vacillante qui dansait sur les murs de bois brut. L’odeur de résine et de fumée s’insinuait dans ses narines, et une pile de couvertures – beaucoup trop lourde pour être honnête – pesait sur elle.
« D’accord, Alice, pas de panique », murmura-t-elle pour elle-même, en scrutant la pièce d’un air soupçonneux. « Si ça se trouve, c’est juste un Airbnb très… immersif. »
En vérité, c’était une hutte, spacieuse mais simple, avec un charme rustique. Le lit où Alice se trouvait était partiellement dissimulé par un rideau épais, comme pour isoler un coin intime du reste de la maisonnée.
Alice tendit l’oreille, il y avait quelqu’un derrière le rideau. Rassemblant son courage, elle l’écarta légèrement et retint son souffle. Devant ses yeux se tenait un dos immense avec, au-dessus, une chevelure blanche et étonnamment soyeuse. Le propriétaire du dos et de la tête, un homme colossal, était accroupi devant l’âtre. En entendant le bruit derrière lui, il se releva lentement, une bûche à la main qui, comparée à sa carrure, avait l’air d’un cure-dents. Il portait une veste rouge et verte ornée de motifs végétaux. Sa barbe mêlée de brindilles et de feuilles épineuses lui donnait un air à la fois sauvage et majestueux.
“Il me rappelle quelqu’un” se dit Alice. “Il ressemble à… à quoi déjà ? Un Père Noël croisé avec un arbre de Noël ? Une hallucination festive ?”
L’homme posa la bûche dans l’âtre, se tourna vers elle et, d’une voix profonde et légèrement agacée, lança :
— Enfin réveillée ! Je commençais à croire que tu hibernais, toi aussi.
Alice resta sans voix, sa bouche s’ouvrant et se refermant comme celle d’un poisson.
— Euh… bonjour ? fit-elle finalement. Désolée pour le dérangement… Où suis-je exactement ? Et... qui êtes-vous ? Parce que si vous êtes un genre de Père Noël alternatif, je dois vous prévenir : je ne fais plus de listes de cadeaux depuis que j’ai sept ans.
Le géant haussa un sourcil touffu, l’air vaguement amusé.
— T’es rigolote, toi. Mais, apparemment, as une mémoire courte. Tu as tout lu sur moi il y a tout juste quelques minutes. Je suis le Roi du Houx, et ceci est ma demeure.
Alice cligna des yeux. Puis elle le fixa, comme si elle attendait qu’il éclate de rire et lui dise qu’il plaisantait.
— Bien sûr, dit-elle après un silence. Et moi, je suis la Reine des Crêpes.
Il ignora la remarque, ramassa une théière en fer forgé posée sur la table et remplit une tasse.
— Une tite tisane? proposa-t-il en lui tendant la tasse, comme si c’était la chose la plus normale du monde.
Alice attrapa la tasse, hésita une seconde, puis se décida. Ce n’était pas comme si elle avait beaucoup de choix. Elle porta le liquide à ses lèvres et sortit un sourire crispé.
— Hmm… intéressant. Un mélange entre… de l’herbe coupée et des aiguilles de pin ?
— C’est un remède ancien, répondit-il d’un ton neutre.
— Oh. Alors, si je ne meurs pas empoisonnée, je serai immortelle ?
Le Roi du Houx émit un grognement bas qui, peut-être, était un rire.
— Je vois que tu es d’humeur combative. Très bien. Parle. Pourquoi es-tu ici ?
Alice haussa les épaules, se sentant légèrement perdue.
— Bonne question. Tout ce que je sais, c’est que je me suis fait une fracture, que je lisais un livre sur la roue de l’année, et maintenant je suis… ici. Alors si c’est un rêve, je vote pour qu’on passe directement à la partie où je me réveille dans mon lit avec un café.
Le Roi du Houx croisa les bras, son regard brillant d’une lueur malicieuse.
— Ah, non. Pas si vite. Si tu es ici, c’est que tu as des choses à apprendre. Et crois-moi, ça ne se résume pas à te plaindre du thé.
À ces mots, Alice fit un effort pour avaler la gorgée de thé. Elle toussa légèrement, un peu étouffée. Qu’est-ce que tout cela voulait dire ?
Comme pour répondre à ses pensées, le Roi du Houx fronça les sourcils.
— Ça veut dire que tu me fais perdre mon précieux temps de sommeil.
Alice écarquilla les yeux. Lisait-il dans ses pensées, ou était-il simplement très perspicace ? Elle n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage.
— Alors, ça vient ? s’impatienta-t-il. Ce n’est pas toi qui parlais d’avoir besoin d’un coup de pouce ? D’un dieu ou d’une force, peu importe laquelle ?
Alice, toujours sonnée par la situation, bafouilla un instant avant de se reprendre.
— Oui, c’était moi… En fait, je crois qu’on a tous besoin d’un peu d’aide en ce moment.
Le Roi du Houx croisa ses énormes bras, fixant Alice avec une expression mélangeant exaspération et amusement.
— Tous ? Sais-tu en quelle saison nous sommes, au moins? Depuis Samhain, la nature est en dormance. Et toutes les forces naturelles et surnaturelles dorment aussi, ajouta-t-il en appuyant chaque mot, comme pour expliquer à une élève particulièrement distraite. C’est le moment où la Terre reprend ses forces après tout ce qu’elle donne pendant l’année. C’est un repos nécessaire. Pour tout le monde. Oui, même pour vous, les humains.
Alice sentit une montée d’agacement. Elle croisa les bras à son tour, presque par défi.
— Le repos ? Tu plaisantes ? Sais-tu ce qu’on traverse en cette période de l’année ? Il fait froid, on est épuisés, et en plus on est censés tout gérer : le travail, les cadeaux, les réunions de famille, les fêtes au bureau… Des "vacances tranquilles"?, ironisa-t-elle en imitant des guillemets avec ses doigts. Tu parles ! Alors, oui, je confirme : un petit miracle ne serait pas de trop.
Le Roi du Houx la regarda longuement, un sourcil légèrement levé, comme s’il évaluait la tempête verbale qui venait de lui tomber dessus. Puis il laissa échapper un soupir, un son lourd, presque un grondement.
— Je vais te dire un truc, dit-il avec une pointe d’agacement. Je n’aime pas jouer les vieux sages grincheux, mais prenons un instant pour réfléchir. Les saisons, ça te dit quelque chose ? Dans les temps anciens, l’hiver avait sa place. On respectait son rythme. Les champs dormaient, les maisons dormaient. Les gens aussi, ajouta-t-il en pointant un doigt vers elle. Ils ralentissaient, économisaient leurs forces. Aujourd’hui, vous courez partout comme des fous, tout le temps. Et vous vous étonnez d’être épuisés.
Il enleva sa veste et l’accrocha sur un clou, l’air décidé à en finir là.
— Moi, je reste fidèle au cours naturel des choses. Alors, sur ce, je vais me recoucher. Bonne nuit.
Alice sentit une vague de frustration monter en elle. Elle n’allait certainement pas laisser un géant ronchon lui fermer la porte au nez.
— C’était peut-être comme ça avant, mais le monde a changé, répliqua-t-elle avec ferveur. On ne peut pas vivre comme avant. Parfois, on a besoin d’un coup de main. Vous ne comprenez pas ? On a besoin d’aide pour retrouver… je ne sais pas… un peu de magie, peut-être.
Le Roi du Houx s’arrêta net, sa main sur la porte de ce qui semblait être sa chambre. Il tourna lentement la tête vers elle, son regard perçant comme un rayon de lumière dans une tempête.
— Un peu de magie, hein ?
Il resta silencieux un instant, puis fit un pas en arrière et désigna un recoin sombre au fond de la hutte.
— Suis-moi.
Alice hésita, mais la curiosité l’emporta sur la crainte. Tandis qu’elle le suivait, elle ne put s’empêcher de marmonner :
— J’espère que ce n’est pas un autre thé bizarre…
Chapitre 4. La salle des voeux
Ils traversèrent une grande porte en bois sculptée de motifs végétaux. Alice sentit immédiatement une chaleur douce l’envelopper. En entrant, elle resta bouche bée. La pièce ronde semblait infinie, comme si ses murs s’étiraient bien au-delà de la hutte. Chaque centimètre était couvert d’étagères chargées de sphères en verre ou en cristal, scintillant doucement sous une lumière tamisée. Des lueurs dansaient à l’intérieur de ces boules, telles des lucioles prisonnières.
Certaines brillaient d’un éclat doré et chaleureux, tandis que d’autres dégageaient une lumière bleutée, presque froide. Alice, fascinée, tenta d’imaginer comment ces minuscules éclats pouvaient exister, vivants et immobiles à la fois.
Au centre de la pièce trônait une immense malle, ouverte à moitié. Elle débordait de petits rouleaux de papier, semblables à ceux des biscuits chinois. Certains avaient roulé au sol et formaient un désordre charmant autour de la malle.
Sur une petite table à proximité, une sphère plus grande reposait sur un socle d’argent. À l’intérieur, des lumières dorées virevoltaient comme des particules enchantées, illuminant la pièce d’une clarté douce. Mais ce qui attira particulièrement l’attention d’Alice, c’était une coupe posée un peu plus loin. Une flamme y dansait avec élégance, sans bois ni mèche, son éclat hypnotisant et mystérieux.
Alice ne put s’empêcher de poser la question :
« Mais… c’est quoi cet endroit ? »
Le Roi du Houx s’avança d’un pas lourd, faisant craquer le sol sous ses bottes. Il étendit les bras comme pour présenter son domaine.
« Bienvenue dans la salle des vœux, ma chère. On pourrait aussi l’appeler le bureau des miracles, mais ça manque un peu de classe, tu ne trouves pas ? Ici, le temps et l’espace n’ont plus vraiment d’importance. C’est là où nous — les forces supérieures, les dieux, les anges, les magiciens, appelle-nous comme tu veux — étudions les prières des humains. »
Alice ne savait plus où regarder. Les boules de lumière, la malle débordante, la flamme vivante… Tout semblait chargé de magie.
« Mais… Comment ça fonctionne ? » murmura-t-elle, presque intimidée.
Le Roi du Houx s’approcha de la malle et souleva l’un des rouleaux de papier du bout de ses doigts massifs.
« Voilà un vœu. Chaque petit papier ici représente une demande envoyée par un humain. On les étudie, on les évalue, et si l’un d’entre eux mérite qu’on y accorde de l’énergie, on le laisse brûler dans cette coupe. » Il désigna la flamme dansante.
Alice fronça les sourcils, intriguée :
« Et ensuite ? Que se passe-t-il si le vœu est brûlé ? »
Le géant se tourna vers elle, sa voix devenant un peu plus grave :
« Ensuite, l’énergie nécessaire pour réaliser ce vœu est prélevée… sur nous. Ce sont ces boules, là-bas, qui contiennent nos réserves d’énergie vitale. Quand un humain obtient ce qu’il désire, sa gratitude ou sa joie nous renvoie une partie de cette énergie. Mais attention, c’est un jeu d’équilibre. »
Il attrapa l’une des boules sur une étagère et la fit tourner entre ses doigts, une lumière dorée tournoyant à l’intérieur comme une étoile capturée.
« Plus l’humain est sincèrement reconnaissant ou utilise son vœu pour faire du bien autour de lui, plus nous recevons d’énergie en retour. Parfois, on récupère même un surplus. Et ce surplus, on l’utilise pour ceux qui en ont vraiment besoin — les oubliés, les silencieux, ceux qui ne formulent même pas leurs vœux. »
Alice sentit une chaleur monter dans sa poitrine, mélange de fascination et d’injustice.
« Un vrai laboratoire de magie, » murmura-t-elle. Puis, plus fort : « Vous devriez comprendre que, particulièrement à cette période de l’année, nous avons besoin d’aide comme celle-ci ! Vous ne pouvez pas tout arrêter juste parce que c’est l’hiver. »
Le Roi du Houx plissa les yeux, agacé.
« Vous, les humains, êtes incorrigibles. Depuis combien de temps avez-vous perdu votre lien avec les cycles naturels ? L’hiver est une période de repos, de récupération. Tout ralentit, même les forces surnaturelles. Si vous êtes en manque de miracles, c’est peut-être parce que vous en exigez trop, tout le temps, sans jamais vous arrêter. »
« On n’a pas le choix ! » s’emporta Alice. « Entre le travail, les fêtes, les cadeaux et tout ce qu’on doit gérer, on n’a même pas le temps de respirer. Vous croyez que c’est facile de vivre dans votre rythme d’hiver quand tout autour de nous tourne à plein régime ? »
Le géant poussa un long soupir et fit un geste vers la malle.
« Très bien. Si tu es si convaincue que c’est toi qui sais comment régler les choses, pourquoi ne pas prendre ma place ? »
Alice cligna des yeux, abasourdie.
« Pardon ? »
« Oui, toi. » Il esquissa un sourire ironique. « Tu veux aider les gens et exaucer leurs vœux ? Vas-y. Prends ma boule d’énergie, et montre-moi ce que tu sais faire. Mais attention, » ajouta-t-il, soudain sérieux. « La lumière dans cette boule ne doit jamais s’éteindre. C’est ton essence vitale. Si elle disparaît, toi aussi. Alors, toujours partante ? »
Alice, un mélange de défi et de témérité dans le regard, hocha la tête.
« Pourquoi pas ? Je relève le défi. »
Le géant éclata d’un rire grave.
« Parfait ! Mais souviens-toi, tu es seule dans cette aventure. Moi, je retourne me coucher. Bonne chance, magicienne ! »
Et sur ces mots, il lui tendit une boule d’énergie, sa lumière dansante vibrant doucement entre ses mains.
Chapitre 5. Alice, la magicienne.
Restée seule, Alice s’approcha de la malle, le cœur battant. « Par où commencer ? » murmura-t-elle en levant un sourcil. Sur une petite table à côté de la malle reposait un parchemin soigneusement roulé. Intriguée, elle le déroula et découvrit le titre calligraphié à l'encre dorée : « Le protocole de l'exaucement des vœux et des prières ».
« Bingo ! » pensa Alice, un sourire aux lèvres. On lui reprochait parfois son côté un peu “Hermione Granger”, mais elle assumait pleinement. Elle aimait les choses bien cadrées : suivre des recettes de cuisine à la lettre, lire attentivement les notices des médicaments, ou s’attacher systématiquement la ceinture dans un autocar. Rien ne lui plaisait davantage que des instructions claires et précises, et ce n’était pas maintenant qu’elle allait s’en passer.
Faisant craquer légèrement ses doigts pour se donner du courage, elle s’approcha de la malle. À l’intérieur, une montagne de papiers de différentes tailles et couleurs semblait murmurer de mille voix. Alice prit une grande inspiration.
Elle tira au hasard un premier papier, dont l’écriture enfantine la fit sourire. Une fillette de dix ans demandait à avoir un chiot. "Un chiot ? Voilà un vœu adorable et sans risque de bouleverser l’ordre cosmique… enfin, j’espère." Ce premier défi semblait à sa portée, et elle sentit un petit frisson d’excitation.
Les mains moites et l'esprit troublé, elle murmura presque un « Bonne chance, petite », avant de jeter le papier dans les flammes. Aussitôt, il se consuma, et deux minuscules « lucioles » lumineuses quittèrent la boule de cristal confiée par le Roi du Houx.
Alice resta figée, observant avec intensité le feu. Une vision s’en échappa : la petite fille recevait en cadeau une adorable boule de poils. Le chiot bondissait avec maladresse, renversant la fillette qui riait aux éclats. Les parents, émus, regardaient la scène et serraient leur fille dans leurs bras. Puis, chose inattendue, la fillette leva les yeux vers le ciel et fit un clin d'œil, comme pour remercier celui ou celle qui avait permis cette magie.
Alice sentit son cœur se gonfler de fierté. Elle avait réussi. Elle se sentait magicienne, capable de transformer des rêves en réalité. Mais ce n’était pas tout : les deux lucioles qui avaient quitté la boule réintégrèrent soudainement l’orbe magique, brillant plus fort qu’avant, comme si ce vœu exaucé avait nourri quelque chose de profond.
Emportée par cette vague d'émotions, Alice se plongea dans les autres vœux avec un enthousiasme débordant. Les prières allaient de souhaits simples comme des vacances à l'étranger à des requêtes poignantes comme la guérison d'une maladie grave. Sans réfléchir aux conséquences, elle enchaînait les souhaits, grisée par son pouvoir. Bientôt, elle remarqua quelque chose : certaines lucioles brillaient d’un éclat intense, presque étoilé, tandis que d’autres vacillaient avant de s’éteindre.
— La sincérité… murmura-t-elle, frappée par l’évidence. Plus le vœu était profond et sincère, plus la lumière jaillissait. À chaque luciole qui s’éteignait, Alice sentait ses jambes s’alourdir, comme si chaque vœu lui coûtait un morceau d’elle-même. À l’inverse, lorsque la lumière renaissait, une bouffée d’énergie la traversait. C’est alors qu'elle saisit pleinement le sens des paroles du Roi du houx. “La magie c’est donnant-donnant” pensa-t-elle. “J’exauce un vœu - je donne de mon énergie. Mais dès que la personne exprime de la gratitude, j’en récupère une partie. Tout comme dans la vraie vie - quand on reconnaît et valorise tes efforts, t’as envie d’en fournir encore plus. Dans le cas contraire, tu t’épuises et deviens vite blasé. Il faut toujours chercher ce fameux équilibre”.
Puis vint un moment qui la bouleversa : un homme demandait la guérison d’une maladie qui l’avait terriblement affaibli. Touchée par ce vœu, Alice s’appliqua avec ferveur à jeter le papier dans le feu. Une nouvelle vision se déploya devant elle : l’homme recevait les résultats de ses examens. L’expression incrédule sur son visage lorsqu’il découvrit que la maladie avait disparu lui tira des larmes aux yeux – et à Alice aussi, d’ailleurs. Même son médecin, d’ordinaire austère, esquissa un sourire rare et chaleureux. Mais l’instant magique fut brutalement… disons, écrasé par la suite de la vision.
L’homme, rayonnant encore de sa guérison, était à peine rentré chez lui qu’il s’effondra dans son vieux fauteuil élimé, alluma la télévision d’un geste routinier et sortit une cigarette. Alice écarquilla les yeux en voyant la fumée s’élever paresseusement jusqu’au plafond.
— NON! Mais non!!! Mais qu’est-ce que tu fais?! - s’exclama-t-elle à haute voix, incrédule. “Pourquoi ?! Tu viens littéralement d’avoir une seconde chance, et tu la gâches avec un mégot et des chips ! » Elle soupira, dépitée. L’éclat de sa réussite avait été sérieusement terni, et, pour la première fois depuis qu’elle avait commencé à exaucer les vœux, un doute s’insinua en elle.
Alice sentit une étrange amertume. Son regard se tourna vers la boule de cristal, et elle fut horrifiée : l'énergie avait drastiquement chuté. La lumière qui autrefois scintillait joyeusement dans l’orbe s'était ternie, presque éteinte.
— Oh non, non, non… murmura-t-elle.
À cet instant, un grondement sourd retentit dans la salle, faisant résonner les boules sur les étagères. Puis, la voix grave du Roi du Houx résonna dans l’air, presque comme un écho :
— La lumière dans cette boule ne doit jamais s’éteindre. C’est ton essence vitale. Si elle disparaît, toi aussi.
Les mots frappèrent Alice en pleine poitrine, coupant son souffle net. La panique l’envahit comme une marée montante, et ses mains se mirent à trembler violemment.
Elle saisit un autre vœu, résolue à corriger son erreur. Elle respira profondément pour retrouver son calme et déroula lentement le papier. Ce fut un choc! Tout en bas de la feuille, il y avait quelques annotations inscrites en tout petit. “Mais bien sûr! Il faut toujours qu’il y ait ce pavé de texte écrit en pattes de mouches en bas de la page! Je me suis encore fait avoir!”. Elle porta le papier vers ses yeux:
— Pierre, 42 ans, murmura-t-elle en parcourant le texte. Une voiture électrique pour réduire son empreinte carbone et offrir des voyages plus confortables à sa famille.
— Facilement réalisable, pensa Alice avec un brin d’espoir. Voyons ce qui est marqué en lettres minuscules :
“Véritable motif : Jaloux de son gendre qui se vante à chaque repas de famille.
Contre-indication : Plusieurs crédits à la consommation en cours.”
Alice s’immobilisa, bras ballants, un sourcil levé. — Ah, Pierrot…, souffla-t-elle avec une pointe de lassitude. Va falloir revoir tes priorités, mon grand. Ce vœu, c’est pas pour aujourd’hui.
Elle enchaîna avec un autre papier, puis un autre encore, prenant soin de les lire jusqu’au bout. Mais plus elle avançait, plus son teint pâlissait. Chaque demande cachait des détails inattendus : des motivations floues, des vérités dissimulées, parfois même des avertissements qu’elle avait négligés dans sa précipitation.
Un soupir glissa de ses lèvres alors qu’une sourde inquiétude grandissait en elle. Le malaise s’étendit comme une ombre, accompagné d’une angoisse rampante. Ses mains se mirent à trembler de plus belle, et son esprit, en ébullition, tournait à toute vitesse. Elle devait trouver un moyen de maîtriser cette énergie fuyante, d’apprendre à s’en servir correctement avant qu’il ne soit trop tard.
Sans perdre une seconde, elle se rua vers la porte pour chercher conseil auprès du Roi du Houx. Mais lorsqu’elle l’ouvrit, un frisson glacé parcourut son échine.
La hutte avait disparu.
Devant elle, il y avait un tout autre décor…
Chapitre 6. Le rituel
Une forêt dense et silencieuse s’étendait devant Alice. Les arbres semblaient se pencher vers elle sous le poids de leurs manteaux blancs. Le tapis de neige épais absorbait le moindre bruit, et seule la respiration haletante d’Alice rompait ce silence presque sacré.
Tout au loin, une lueur dansait à travers les troncs sombres. Elle plissa les yeux et distingua les contours d’une clairière, où un feu brûlait, vif et téméraire au cœur de cette étendue glacée. Deux silhouettes se tenaient autour des flammes, massives et étrangement familières.
Le souffle d’Alice se bloqua. Elle les reconnaissait. L’un portait un manteau sombre, orné de houx et de baies rouges qui vibraient presque sous la lumière du feu. Le Roi du Houx, son hôte. L’autre, imposant et lumineux malgré l’obscurité, semblait drapé d’écorce et de feuillage doré, comme si la lumière estivale persistait en lui. Le Roi du Chêne.
Alice sentit un frisson glacé la traverser. Quelque chose dans leurs postures trahissait l'imminence d’un affrontement. Les deux Rois tenaient chacun un bâton noueux, presque aussi grand qu’eux, et leurs regards brûlaient d’une intensité qui semblait pouvoir transpercer la nuit.
— Non… non, murmura Alice pour elle-même.
Ils s’élancèrent.
Le choc des bâtons retentit, sourd et puissant, comme une cloche lointaine. Ils tournaient autour du feu, chaque mouvement précis et calculé. C’était un combat, oui… mais pas seulement. Une danse. Une chorégraphie ancienne, à la fois féroce et hypnotique. Leurs gestes faisaient virevolter des étincelles qui montaient haut dans les airs, se fondant dans les étoiles. Leurs ombres s’allongeaient, dansant elles aussi sur les troncs des arbres, déformées, sauvages, presque vivantes.
Cachée derrière un chêne, Alice observait, figée entre deux pulsions contraires : celle de s’élancer pour arrêter ce qu’elle voyait comme une folie, et celle de rester en retrait, terrifiée à l’idée d’être prise dans ce tourbillon incontrôlable. Elle serra les poings.
"Ils sont fous! Pourquoi se battent-il ?"
Les étincelles continuaient de pleuvoir, et le feu semblait croître, comme s’il se nourrissait de leur lutte. Puis, tout à coup, le Roi du Houx vacilla sous un coup puissant. Son adversaire profita de l’ouverture pour le renverser et plaqua son bâton contre sa poitrine.
Alice retint son souffle. Le Roi du Chêne se pencha lentement vers son rival, son visage tendu d’une expression indéchiffrable. Ses yeux luisaient comme deux braises. La neige sembla se figer, suspendue entre le ciel et la terre.
— Arrêtez ! hurla Alice.
Elle bondit hors de sa cachette, le cœur battant à tout rompre. Mais au moment où elle crut que l’inévitable allait se produire, un éclat de rire retentit.
Un rire grave, vibrant, presque musical.
Le Roi du Chêne recula et tendit une main puissante au Roi du Houx, qui la saisit pour se relever. Ils se tapotèrent l’épaule, comme deux compagnons retrouvés après une longue séparation.
— Alors, tu perds encore ton souffle, vieil ami, lança le Roi du Chêne.
— C’est toi qui frappes trop fort, répliqua le Roi du Houx avec un sourire en coin.
Alice resta pétrifiée, le souffle court, les yeux écarquillés. Les deux géants se tournèrent vers elle, leurs visages illuminés par les reflets dansants du feu.
— Eh bien, approche donc, jeune fille, dit le Roi du Houx en désignant le feu. Tu dois avoir froid.
Les jambes encore tremblantes, Alice s’avança jusqu’à la clairière et s’assit près des flammes. La chaleur l’enveloppa aussitôt, douce et réconfortante, comme un plaid qu’on dépose sur les épaules d’un enfant.
— Pourquoi… Pourquoi vous battiez-vous ? balbutia-t-elle.
Les Rois échangèrent un regard et sourirent, leurs expressions désormais paisibles.
— Ce n’est pas un combat comme les autres, expliqua le Roi du Chêne. C’est un rituel. À chaque solstice d’hiver mais aussi celui d’été, nous nous affrontons pour marquer le passage du temps.
— L’un doit céder sa place à l’autre, ajouta le Roi du Houx. C’est ainsi que l’hiver progresse vers le printemps et vice versa. C’est la danse de la lumière et de l’ombre, de la mort et de la renaissance.
Alice les écoutait en silence, puis baissa les yeux, nerveuse. Le poids de ce qu’elle avait fait dans la salle des vœux pesait encore sur ses épaules. Alors, d’une voix hésitante, elle se mit à raconter.
— Dans cette salle… J’ai voulu trop en faire. C’était comme si je perdais le contrôle. Toutes ces demandes, toutes ces promesses… Je n’ai pas su m’arrêter.
Les Rois ne dirent rien pendant un moment, puis le Roi du Houx répondit doucement :
— L’intention est une force puissante, mais elle doit être mesurée. Elle doit naître d’un regard honnête sur ta vie, sur tes capacités, sur ce que tu es prête à offrir en retour. La force répond toujours à la force. Si tu sais ce que tu es capable de donner, alors elle exaucera tes vœux.
— Mais tu es la seule responsable de ton énergie, renchérit le Roi du Chêne. Personne ne la gérera pour toi. On croit souvent que, parce qu’on peut tout faire, alors on le doit. Mais ce n’est pas vrai. Être capable ne signifie pas être obligé.
Alice sentit ses joues chauffer sous l’effet des mots.
— Cette période est particulièrement délicate, poursuivit le Roi du Houx. Toutes les forces sont en dormance. C’est pourquoi chacun cherche désespérément de l’énergie là où il peut… souvent auprès des autres. Mais à toi de la protéger, de l’équilibrer, pour ne pas t’épuiser.
Le Roi du Chêne se tourna vers son vieil adversaire avec un sourire :
— Moi, je suis ici pour prendre la relève. Lui, il peut enfin se reposer.
Alice regarda le Roi du Houx, dont les traits semblaient déjà s’adoucir, comme allégés par cette passation. Elle pensa à elle-même. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas accordé ce droit ? Le droit de céder et de se reposer ? Puis, d’une petite voix, elle osa poser la question qui la hantait depuis longtemps :
— Et comment on retrouve… la magie ? Je veux dire, dans la vraie vie ? Comment on fait, quand on est adulte, pour ressentir encore cette… étincelle ?
Les Rois la dévisagèrent un moment, comme s’ils attendaient qu’elle découvre la réponse par elle-même. Puis le Roi du Chêne répondit avec calme :
— La magie, Alice, ne vient pas d’ailleurs. Elle vient de toi. C’est à toi de la créer.
— Mais… comment ? balbutia-t-elle.
Le Roi du Houx prit le relais, sa voix grave comme le murmure du vent à travers les branches :
— En prenant le temps. En t’inspirant des rituels anciens, ou en en créant de nouveaux. En t’alignant avec les cycles de la nature, en respectant ses rythmes au lieu de les fuir. Mais surtout, en te tournant vers toi-même, et en écoutant ce que ton âme désire vraiment. Ce qui te fait vibrer. Ce qui allume cette étincelle que tu cherches.
Le Roi du Chêne ajouta doucement :
— Pendant la période de Yule, tu peux créer ta réalité – en ce moment tu as toutes les possibilités et tous les droits. Mais tu ne peux compter que sur toi-même. Ni les dieux, ni les hommes ne sont obligés de t’aider, du moins jusqu’à ce que tu prouves que tu es digne d’être remarqué. Souviens-toi fermement : ta vie dépend de ta propre volonté.
Alice sentit une émotion lui serrer la gorge. Leurs paroles résonnaient en elle, comme une vérité oubliée qui remontait lentement à la surface. Elle pensa à toutes ces petites choses qu’elle avait négligées, ces moments où elle aurait pu ralentir, écouter, s’accorder du temps, mais où elle avait préféré courir, remplir, accomplir.
Le Roi du Houx reprit d’un ton plus doux :
— Être adulte ne signifie pas renoncer à la magie. Cela signifie simplement apprendre à la façonner. Quand tu honores ce qui est sacré pour toi, que ce soit un rituel, un moment de gratitude, un feu allumé dans le silence d’une nuit d’hiver… alors la magie renaît. Elle est partout, Alice, mais elle attend que tu choisisses de la voir et de la nourrir.
Alice sentit une émotion lui serrer la gorge. Leurs paroles résonnaient en elle, comme une vérité oubliée qui remontait lentement à la surface. Elle pensa à toutes ces petites choses qu’elle avait négligées, ces moments où elle aurait pu ralentir, écouter, s’accorder du temps, mais où elle avait préféré courir, remplir, accomplir.
— C’est si simple, souffla-t-elle. Pourquoi j’ai oublié tout ça ?
Le Roi du Houx sourit, fatigué mais bienveillant :
— Parce que, dans ce monde, il est facile de se perdre. Mais tu es ici maintenant, et tu sais. Quand tu te réveilleras, Alice, souviens-toi : la magie n’attend pas qu’on la trouve. Elle attend qu’on la crée.
Alice fixa le feu, les paroles des Rois tourbillonnant dans son esprit. Peu à peu, tout autour d’elle se brouilla. Le vent, la neige, même les Rois devinrent flous, comme absorbés par un rêve lointain. Seule la chaleur persistait, et cette lumière orange, douce et vibrante, qui dansait encore sous ses paupières closes.
Chapitre 7. Le retour
Alice émergea doucement de son sommeil, le regard flou, comme si les brumes du rêve s'accrochaient encore à ses pensées. La couleur orange devant ses yeux n’étaient autre que les boucles rousses de sa petite dernière, Agnès. Ils flottaient autour de son visage comme des flammes vives. Alice comprit alors qu’elle était de retour dans son lit. Sur le bord, Lily, l'aînée, tentait de calmer Agnès, qui était excitée comme une puce à l’idée de retrouver sa maman.
Des voix se faisaient entendre dans la cuisine, celle de Nadège, sa fidèle amie et collègue en or, et de son fils cadet, Antoine. Alice tendit l'oreille.
“Je ne crois pas que ce soit le bon moment…” dit Nadège d’un ton préoccupé.
“Steuplé, laisse-moi essayer,” supplia Antoine.
“Bon, vas-y, mais c’est à tes risques et périls!” prevint Nadège.
Un instant plus tard, la tête bouclée d’Antoine passa par la porte.
“Salut, m’man ! Je sais que tu viens de te réveiller, mais j’ai un truc à te demander…”
Il entra dans la chambre portant dans ses bras un chat noir aux yeux jaunes perçants, qui semblait avoir pris possession de lui tout entier.
Alice n’eut même pas le temps de répondre. Antoine, presque hors d’haleine, ajouta :
“T’as vu ses yeux? Il m’a littéralement hypnotisé dans la vitrine de la S.P.A. et depuis, il ne veut plus me quitter. On peut le garder, steuplé, steuplé, steuplé ?”
“Mais ce n’est vraiment pas le moment, Antoine !” protesta Lily, les bras croisés sur la poitrine, mais un sourire en coin apparaissant malgré elle.
Alice, toujours un peu perdue, fixa le chat. Elle se força à se concentrer.
“On est quel jour ?” demanda-t-elle soudainement.
“Samedi, 21 décembre,” répondit Lily, l’air un peu inquiète.
“Le 21 décembre…” Alice répéta doucement, son esprit se remettant lentement en marche. “Le jour du solstice d’hiver… Le moment parfait pour décorer le sapin.”
Elle se tut un instant. Le silence s’installa dans la pièce, lourd de l’incertitude de chacun. Puis, Alice brisa la tension avec un sourire mystérieux.
“On le gardera,” dit-elle enfin, en regardant Antoine. “Mais c’est moi qui lui choisirai le nom.”
Antoine la fixa, ébahi - il ne s'attendait pas à une victoire aussi facile.
“Oh, merci maman ! Bien sûr ! Comment tu veux l’appeler ?”
Alice ferma les yeux un instant: les lignes du livre lu la veille revinrent à la mémoire: “... un immense félin noir, gardien des traditions et rituels…”
“Yule,” murmura-t-elle en s’adressant au chat, un sourire secret aux lèvres.
“Yule…” Antoine répéta le nom comme un chant de victoire. “C’est trop cool !”
“Au fait, j’ai eu toute ta famille au téléphone,” intervint Nadège, qui venait de passer la porte. “Tu n’as plus rien à organiser pour les fêtes : tes sœurs s’occupent du repas et même de ta mamie ! Au boulot, tout roule aussi : on partagera tes dossiers avec les collègues. Et la dernière bonne nouvelle…”
Elle jeta un coup d’œil complice à Lily, et les deux sourirent.
“On reste avec toi pour toutes les vacances ! Papa est d’accord pour passer nous voir le weekend prochain.”
Alice, émue, sentit son cœur se réchauffer à ces nouvelles. Elle tendit les bras, invitant toute la bande à venir l’embrasser.
“Tu es mon ange-gardien, Nadège,” murmura Alice, ses yeux brillants de reconnaissance.
Après le départ de Nadège, la maison se vida d’une étrange tranquillité, et Alice se retrouva dans le salon, entourée de ses enfants. Le sapin vert trônait dans le coin, prêt à être décoré. Les enfants, comme trois tornades, se disputaient joyeusement les décorations à accrocher.
Alice s’installa dans un grand fauteuil, décidée à orchestrer ce joyeux chaos. Elle le savait, elle ne pouvait pas relâcher tout le contrôle d’un coup. C’était une étape, un petit pas vers ce lâcher-prise qu’elle avait entrevu dans son rêve, mais qu’elle n’était pas encore prête à accomplir pleinement.
Yule, l’énorme chat noir, vint se lover sur ses genoux, ronronnant doucement. Il semblait déjà faire partie intégrante de la famille. Alice sourit en le caressant. Le chat, avec ses yeux dorés et son air serein, lui rappelait la magie de ce moment, simple et silencieuse. Elle n’avait plus besoin de courir. Elle était là où elle devait être. “Yule, avant tout, est une célébration du clan, du foyer, et de la famille” - une autre citation du livre vint à son esprit. Alice se dit que c’était ça, la vraie magie des fêtes : la présence et l’instant partagé.
Et dans le fond de son cœur, Alice savait que ce solstice d’hiver marquait le début d’un nouveau cycle. Un moment parfait pour accueillir la lumière qui allait revenir, mais aussi pour accepter l’obscurité, la pause nécessaire à toute croissance.
“Merci,” murmura-t-elle, presque inaudible, comme une prière silencieuse adressée à l’univers, à Yule, et à la vie elle-même.
(images réalisées avec Créateur d'images Microsoft Bing;
correction orthographe par Chat GPT)
Franck Labat hace 10 horas
C'est vif, ca pétille d'action dès la première phrase, voilà une plume agréable ;-)
(updated)Si je peux me permettre un conseil ; ère du digital et temps d'attention de poisson rouge oblige... Tu devrais saucissonner ton histoire, une entrée distincte par chapitre par exemple.
Inna Grim hace 9 horas
Merci pour de ton conseil! Je voulais absolument le sortir aujourd'hui en ENTIER 😁 Nous sommes le jour de Yule, vois tu 😁
Inna Grim hace 9 horas
Et merci pour ton retour bienveillant !
Franck Labat hace 9 horas
Déjà le 21 ? J'ai loupé un jour à trop écrire... Pas grave, il me reste la nuit pour me rattraper et mettre une bûche dans la cheminée 😜
(updated)Franck Labat hace 4 horas
Meh... Même pas en retard, tu vois, posté avant minuit. Merci pour le rappel.
(updated)https://panodyssey.com/fr/article/poesie-et-chanson/spirit-of-yule-m9rrkvbrrpb6
Inna Grim hace 4 horas
Avec plaisir 😅 J'ai déjà fait un tour et j'ai vraiment aimé ! Bravo 👏