

J'ai acheté une tondeuse
En Panodyssey, puedes leer hasta 10 publicaciones al mes sin iniciar sesión. Disfruta de 9 articles más para descubrir este mes.
Para obtener acceso ilimitado, inicia sesión o crea una cuenta haciendo clic a continuación, ¡es gratis!
Inicar sesión
J'ai acheté une tondeuse
Note de l’autrice : Attention, j’ai autorisé ce texte à suivre le fil de mes pensées… ça part donc dans tous les sens ! Je vais parler taxe rose, si vous réussissez à suivre jusqu’au bout.
Oui, j’ai acheté une tondeuse. Hein ? Quoi ? Mais non je ne vais par vous parler de jardinage ! J’aurais pu, même si ça aurait été rapide, vu mon manque de réussite côté jardin. Mais non, je parle de la tondeuse qui ratiboise non pas notre pauvre gazon et autres « mauvaises » herbes (vos jolies pâquerettes là, arrêtez donc de les couper dès leur sortie !), mais bien nos (plus ou moins) belles chevelures.
Moi, j’ai de la chance, j’ai assez de cheveux pour savoir que je ne risque pas d’être chauve tout de suite (sauf cancer et chimiothérapie, ce qu’on va me souhaiter d’éviter le plus longtemps possible). J’ai beau en perdre beaucoup (fatigue chronique merci), ils sont denses, ils poussent vite, et (fatigue chronique re-merci), j’ai choisi depuis fort longtemps la solution la plus simple : j’ai les cheveux courts. (En bonne autrice, j’ai pensé un instant corriger et mettre « je porte les cheveux courts », avant de me dire que non, ça faisait trop bizarre, genre, je les porte dans mes bras mes cheveux ou quoi ? Non, ils sont moi, alors je garde mon verbe « terne »).
J’ai donc les cheveux courts, et même très courts, parce qu’aller chez le coiffeur tous les mois, très peu pour moi. Pas spécialement parce que c’est cher, bien que ça compte aussi (chômeuse longue durée — c’est-à-dire sans allocations chômage — ici), mais surtout parce que c’est fatigant. Et oui, en bonne autiste, me faire questionner pendant de longues minutes et devoir tenir un small talk, c’est l’enfer. Je le fais avec le sourire, mais ne vous y trompez pas, c’est l’enfer.
Raison pour laquelle je fais toujours couper mes cheveux très courts, histoire qu’ils « tiennent le plus longtemps possible ». Je demande donc systématiquement une « coupe très courte », voire une « coupe homme », pour que la coiffeuse comprenne bien.
En vrai, c’est rarement le cas. Je dois le répéter tout le long de ma coupe « n’hésitez pas hein ? » de façon très fastidieuse et lourde. Et même comme ça, il arrivait que j’en ressorte avec une coupe qui n’était pas assez courte et que je devais tout de même faire tenir trois mois. Autant dire qu’au bout de deux mois, mes lunettes tombaient déjà parce que j’avais trop de cheveux derrière les oreilles et heureusement qu’elles sont solides (mes lunettes).
Je ne leur en veux pas. Je comprends parfaitement que parler, c’est parfois indispensable pour certaines personnes. Que dans les métiers de la coiffure, ces personnes sont majoritaires. Et que face à une personne silencieuse, elles sont désemparées. Je comprends. Juste… ce serait bien que de temps en temps je tombe sur une personne qui comprenne également que moi, c’est pas mon truc. Vraiment pas.
Alors, pour ne pas être mauvaise langue, ça m’est arrivé une fois, j’étais pas mal tranquille avec mon ancienne coiffeuse. Déjà, elle travaillait seule. Ce qui est important, parce que ça veut dire pas plein de monde tout le temps et prise de rendez-vous possible, donc pas non plus de « ah non madame, va falloir attendre » alors que je suis visiblement enceinte jusqu’aux yeux et qu’il n’y a nulle part où m’asseoir (ça, c’était mon ancienne ancienne coiffeuse, l’antépénultième — ah ah ah, j’avoue, je ne pensais pas réussir à le caser un jour ce mot-là — et oui, bien sûr que j’ai été vérifier l’orthographe et que j’avais inversé des lettres). Or donc, cette coiffeuse-là, elle était pas mal du tout, parce qu’elle avait de l’espace, elle travaillait seule, ET elle me laissait dans mon silence si elle voyait que je n’avais pas envie de parler plus que ça (c’est-à-dire à peu près toujours).
Puis j’ai déménagé. Il a fallu changer de crèmerie. Changer de tout, d’ailleurs, ce qui fut un peu plus compliqué que je me l’imaginais. Je n’avais pas encore bien compris ce côté-là chez moi, le côté « routine importante ». Tout a changé, je me suis retrouvée dans l’angoisse de devoir retrouver plein de nouveaux repères d’un seul coup, et notamment retrouver rapidement une coiffeuse (ou un coiffeur, je ne suis pas chiante, je suis juste toujours tombée sur des femmes).
D’ailleurs, en parlant de pas chiante, il est à noter que je me moque de qui me coupe (de toute façon, vu que je reconnais très mal les visages, j’aurais bien du mal à exiger une personne en particulier) + j’ai les cheveux propres donc pas besoin de shampoing + je ne veux pas de produits spéciaux dans mes cheveux (bon, ok, sauf une époque où je me teignais les cheveux, parce que quand même, les cheveux rouges, c’est classe. Mais comme les cheveux blancs c’est classe aussi tout en étant moins cher, je laisse désormais ma couleur « naturelle »). Et non, pas de laque à la fin non plus (je ne supporte pas la laque dans les cheveux). Souvent, je ne demandais pas de séchage non plus. Sauf quand j’étais trop fatiguée à force de répéter « les cheveux bien courts » et que j’abandonnais un peu sur la fin, les laissant attraper le sèche-cheveux pour sécher entre un et trois centimètres de cheveux en plein été.
Or donc (vous êtes toujours là ?), j’ai cherché une nouvelle coiffeuse au plus près. Sauf que la plus proche, elle travaillait à plusieurs dans un espace réduit : un enfer du genre « faut plus jamais que je retourne ici ». J’ai alors été en trouver une autre, qui m’a semblé presque parfaite : le salon de coiffure était assez grand pour que plusieurs personnes ne soient pas en permanence dans mon espace vital, et il y avait de quoi se garer pas loin. Cerise sur le gâteau, c’était pas loin non plus de notre médiathèque, qui est dans un château. Or, la médiathèque-château, c’est clairement un « repère confort » puisque ça combine deux trucs géniaux (ceux qui savent, savent). Dans ce salon, elles sont plusieurs, certes, mais rarement plus de deux, et lorsque je choisissais bien mon jour et mon horaire en semaine (c’est-à-dire au beau milieu de nulle part, mais tout début d’après-midi quand même pour ne pas être obligée de mettre un réveil, ce qui me stresse tellement sinon que je me réveille à l’aube), j’étais parfois même seule dans le salon avec la coiffeuse.
C’était donc « pas si mal », à part le fait de devoir répéter d’une fois sur l’autre qu’il fallait vraiment faire très court et « pas hésiter à couper ». Elles avaient même intégré le fait que le shampoing n’était pas utile puisque je me lavais les cheveux le matin et que non, je ne voulais pas de laque ni rien dans mes cheveux. Nickel.
Sauf la taxe rose bien sûr. Mais si, la taxe rose, vous savez ? Lorsque les femmes payent plus cher que les hommes pour un même service ou un même produit ? La taxe rose, elle est bien intégrée dans les salons de coiffure. Très très bien intégrée. Si bien intégrée que je n’ai jamais vu personne la remettre en question. Sauf moi quand je suis mal polie et que j’ose faire la remarque, ce qui n’arrive jamais parce que je suis polie (pour de vrai, je m’autocensure beaucoup, je m’en étais juste plainte auprès de mon entourage proche).
Sauf la dernière fois que j’y suis allée.
Et oui, je m’autocensure beaucoup, mais parfois pas assez vite.
Faut dire, elle m’a prise par surprise aussi. Prendre une personne autiste dont vous ne connaissez que le masque par surprise, ce n’est pas le bon plan. Parce que du coup je dis ce que je pense. Et il paraît que ce n’est pas bien. Vous savez quoi, pendant la première partie de ma vie, pour éviter de dire ce que je pensais, je ne parlais quasiment pas. A la limite du mutisme, mais sans être mutique (pour ne pas inquiéter mes parents j’imagine). Puis on m’a dit que je devais parler plus (en gros, mon patron m’a dit que « ça n’allait pas » et qu’il fallait que je parle de la pluie et du beau temps avec mes collègues). Du coup je me suis mise à parler de la pluie et du beau temps. Pas du jour au lendemain hein ? Non, après deux ans de thérapie. Quel succès (non). C’est un peu l’angoisse depuis, parce que comme j’ouvre ma bouche plus facilement, il faut que je maîtrise sans arrêt ce que je dis. Sauf que si on me prend au dépourvu, forcément, ce ne sont pas des paroles prévues. Et c’est là où il y a risque de dérapage.
Alors faut que je vous dise déjà, la taxe rose, c’est un truc qui me gave depuis que j’ai réalisé que ça existait, c’est-à-dire depuis que j’ai les cheveux courts. C’est-à-dire depuis plus de 25 ans. Alors, imagine, toi, là, homme favorisé. Tu vas chez la coiffeuse et ton voisin aussi. Sauf que depuis le premier jour, elle a fixé un tarif pour toi et un tarif pour lui. Toujours le même pour chacun de vous, mais pas le même pour vous deux, alors que vous avez la même coupe de cheveux. En gros, elle te fait payer sept euros de plus que ton voisin, systématiquement. À chaque fois que tu y vas, tu payes sept euros de plus que ton voisin, qui te regarde payer plus cher que lui sans rien dire. Sans aucune justification, autre que celle qu’elle a fait ce tarif la première fois qu’elle t’a vu, donc elle ne va pas en changer, c’est comme ça et puis c’est tout. Et tout le monde trouve ça normal. Tu arrives à imaginer ? Et est-ce que tu arrives à imaginer le fait que tu dois te taire et ne rien dire face à ça ? C’est l’angoisse non ? Et ça dure depuis 25 ans.
Perso, ce n’est pas seulement de l’angoisse pour moi, c’est aussi et surtout de la colère face à l’injustice. Je déteste l’injustice (genre, vraiment), et pourtant, je supporte cette injustice depuis 25 ans. Pourquoi je ne dis rien ? Parce que si je dis ce que je pense, j’ai peur que ça sorte trop vivement, que ça sorte un peu « en crise ». Le risque de la crise autistique, je le gère super bien, mais je sais qu’il est toujours là et c’est pour ça que je fais attention à tout, tout le temps. Et la crise autistique chez moi, ce sont des grossièretés voire des violences verbales (en environnement « safe ») ou des pleurs (en environnement où je dois impérativement me contrôler).
Il faut aussi que je vous dise. Dans ce salon, la taxe rose, une fois, je n’ai payé que ça. Et oui, comme il s’agit que ma coiffeuse attribuée, j’ai une carte de fidélité, que je fais tamponner respectueusement, et au bout de la carte, j’ai une coupe gratuite. Une coupe gratuite ? Que nenni ! Une coupe HOMME gratuite. Et oui, au bout de ma carte, on m’a fait payer ma coupe gratuite. J’ai dû payer la taxe rose, sept euros ici. J’ai ravalé ma bile parce que je m’y attendais, mais autant dire que j’en ai passé du temps à maudire cette taxe rose et à refaire le monde. Vous savez bien, le genre de conversation fictive qui empêche les personnes anxieuses de s’endormir en cinq minutes (voire moins), comme « les autres ».
Or donc, la dernière fois (on va y arriver, promis), j’étais de nouveau arrivée au bout de ma carte fidélité, et je m’apprêtais à payer ma taxe rose en fermant bien ma bouche (et avec le sourire). Sauf qu’elle m’a fait seulement trois euros de réduction sur ma coupe. Ce qui fait que j'ai payé presque plein pot. Hein ? Quoi ? Par réflexe, j’ai demandé « ah oui ? Ce n’est plus une coupe gratuite ? », ce à quoi elles m’ont expliqué le pourquoi du changement. Les tarifs qui n’ont pas augmenté et qu’elles ont préféré répercuter sur la carte fidélité. Soit. Tout à fait valable. Mais moi je suis prise au dépourvu là, vous comprenez ce que ça veut dire ? Je n’ai pas encore eu le temps de digérer. Tout ce que je retiens c’est que « c’est un peu ridicule comme réduction » (oui, je l’ai dit) et qu’elles auraient mieux fait de me prévenir avant (je leur ai dit aussi, et elles n’ont sans doute pas réalisé à quel point ce petit détail était important). Et puis, en sortant, j’ai lancé « si j’avais été un homme, j’aurais payé moins cher même sans réduction ! Ce qui est tout à fait exact, mais pas forcément très poli à faire remarquer.
J’ai évité la crise. Je n’ai pas pleuré. J’ai juste ruminé pendant des jours (oui bon, j’y suis encore, donc on peut dire des mois) cette injustice. Vous imaginez ? Je suis fidèle depuis des années, et mon “cadeau”, est une réduction inférieure à ce que paye un homme infidèle lambda (oui, fallait que je l’écrive comme ça) ?
Je ne sais pas comment elles ont pris le tout. Peut-être qu’elles m’ont traitée de vieille aigrie une fois que je suis partie. Je peux comprendre. Mais souvenez-vous : Ça fait plus de 25 ans que je supporte cette injustice de la taxe rose dans les salons de coiffure + Je suis autiste et j’ai été prise au dépourvu. + Je suis restée polie. Mais bon, j’ai un ton de voix “sévère” de base, que je n’ai jamais réussi à changer (je suis le genre de personne qui doit dire “je plaisante hein ?” pour éviter qu’on ne me prenne au sérieux lorsque je ne le suis pas), alors elles l’ont peut-être mal pris.
J’ai donc décidé de m’acheter une tondeuse. Parce que payer toujours plus cher que les hommes malgré une réduction, c’était la fameuse goutte d’eau. Celle qui fait déborder le vase, celle qui court-circuite les synapses.
Un truc que j’ai apprécié, c’est que comme il n’existe pas de tondeuse pour cheveux “femme”, je n’ai pas eu à payer de taxe rose sur ma tondeuse ! J’aurais dû le faire depuis longtemps. Je n’osais pas, parce que “je sais pas faire” et que j’imaginais que ça allait être très compliqué.
Alors, certes, ce n’est pas simple la première fois. Mais je sais d’ores et déjà que “ça va le faire” et que je n’aurais plus jamais à retourner dans un salon de coiffure. Et quel soulagement ! D’ailleurs, si ça peut rassurer les femmes qui hésitent, j’ai pris une tondeuse avec la coupe qui pouvait être “la plus longue”, soit 4,3 cm. Et bien c’est beaucoup trop long pour moi, je croyais que je n’arrivais pas à faire marcher la tondeuse, alors qu’il fallait juste que je raccourcisse mon sabot. Donc nickel, une crainte qui part en fumée.
Je n’ai pas osé trop couper pour cette première fois, je couperai un peu plus sur les côtés la prochaine fois (vous vous souvenez, sinon les lunettes tombent). Et même si ce n’est certainement “pas parfait”, je m’en fous, du moment que ça passe, ça me va.
Plus besoin d’angoisser à devoir téléphoner (je déteste le téléphone) pour prendre rendez-vous. Plus besoin de stresser sur le risque que je “dise ce que je pense” ou que j’en dise trop sur ma vie perso et qu’on me juge. Plus besoin de payer cette foutue taxe rose. J’ai un gros poids en moins sur la poitrine (et sur la tête) et vraiment, ça fait du bien !
PS : Vous avez réussi à suivre jusqu’au bout ? Félicitations ! Pourquoi j’ai laissé partir ce texte dans tous les sens et trainer en longueur ? Parce qu’une décision n’est jamais due à « la goutte d’eau », mais à tout ce qui a précédé la goutte d’eau. C’est toujours un cumul.
PPS : Je me les suis recoupés depuis… je crois que mon nouveau défi va être de ne pas les couper sans arrêt, parce que j’ADORE la sensation de la tondeuse qui passe dans mes cheveux !
Crédits : Photo par moi-même

