Partie 2 : La remise en question - Chap. 6 : La mondialisation
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Partie 2 : La remise en question - Chap. 6 : La mondialisation
Mais agents pathogènes et espèces invasives ne sont encore qu'un moindre mal, contre lequel il n'est pas encore si difficile de lutter. La modification d'économies entières et de modes de vie entiers, par contre, c'est une tout autre histoire. Et ce sont des choses que l'on ne peut pas contrer à coups de médicaments ou à coups de décrets.
Pouvoir transporter personnes et marchandises rapidement sur de longues distances est en soi un progrès indéniable célébré à peu près par tous, et chacun certes a eu, a pour le moment ou aura un jour l'occasion d'en bénéficier. Mais si cela permet de corriger certains déséquilibres, cela en crée aussi d'autres.
Délocalisation
Pouvoir se procurer des marchandises qui viennent de l'autre côté de la planète, c'est certainement une preuve d'abondance et l'occasion de mainte découverte et d'échanges fructueux. Mais c'est aussi pouvoir faire fabriquer à l'autre bout du monde des biens que l'on pourrait tout aussi bien faire fabriquer à côté de chez soi. Parce qu'à l'autre bout du monde, la main-d'œuvre coûte trois fois rien et ne bénéficie d'aucune protection sociale (ceci expliquant en bonne partie cela), et en plus elle est déjà au départ, si pas carrément miséreuse, du moins au bord de la misère : elle est donc taillable, corvéable et exploitable à merci. Quitte à créer du chômage dans des pays autrefois prospères dont les populations ne survivent plus que grâce à un système d'aides sociales dont la charge est de plus en plus lourde à supporter pour les États concernés - c'est-à-dire pour les contribuables des États en question qui ont encore la chance d'y avoir un emploi - et à y détricoter tout le tissu économique, donc à terme à les appauvrir. Sans pour autant enrichir substantiellement les pays vers lesquels la production a été délocalisée. Les seuls dont on peut dire qu'ils s'enrichissent vraiment dans le processus sont les multinationales (qui ont des filiales un peu partout dans le monde), toute la chaîne de valeur de la logistique (stockage et transport) et les producteurs de sources d'énergie (parce qu'il faut bien de l'énergie pour faire fonctionner les véhicules qui transportent toutes ces marchandises : bateaux, avions, trains, camions, grues de transbordement et autres).
Et avec ça, on n'a encore rien dit de la pollution engendrée par un commerce international qui transporte des marchandises sur de très longues distances au lieu d'encourager les consommateurs à se fournir en local en circuit court (ni des allers-retours parfois absurdes causés par une logistique dont les acteurs se regroupent en régional plutôt qu'en local au nom des économies d'échelle).
L'opposition des populations
Ce n'est pas pour rien qu'à travers le monde entier, les populations de gens ordinaires ont la très nette impression d'être les grandes perdantes de la mondialisation et donc qu'elles s'y opposent depuis les manifestations de Seattle en 1999 (même si leur grogne à ce sujet est de fait bien antérieure même si avant Seattle, elle était moins visible et moins audible). Ce n'est pas pour rien non plus que tous les partis, de gauche comme de droite, qui veulent gagner des électeurs en affirmant (à tort ou à raison) vouloir faire du social, prônent la démondialisation et un certain retour au nationalisme et au protectionnisme (en affirmant dans leurs slogans que la nation, c'est la protection) et adoptent un discours qui réclame la mise en place de barrières, la construction de murs plutôt que de ponts et l'éloignement des peuples plutôt que leur rapprochement. Les gens ordinaires au Nord comme au Sud et à l'Est comme à l'Ouest réclament une protection contre une mondialisation ressentie comme une concurrence généralisée, anarchique et le plus souvent déloyale dont ils sortent au final tous perdants. Ou alors comme faite au profit de quelques élites et de quelques branches économiques qui en profitent (et sont bien les seules à le faire) mais aux dépens de tout le reste de la population.
La mondialisation a surtout profité aux super-riches et aux classes moyennes aisées des pays émergents
Tancrède Voituriez, écrivain et économiste
Comme pour la circulation des agents pathogènes et des espèces invasives, il existe déjà des précédents et une expérience antérieure.
La colonisation
La colonisation fut historiquement la première mondialisation, et Dieu sait si les spécialisations industrielles et agricoles imposées aux colonies par les métropoles ont détruit leur tissu économique, ce dont elles ont longtemps eu toutes les peines du monde à se remettre (même s'il faut reconnaître qu'avec la décolonisation, l'émergence de leaders plus intéressés par le bien de leurs propres poches que par celui de leurs pays n'a pas vraiment aidé, pas plus que le manque de cadres compétents en bonne partie dû au blocage de l'accès à l'instruction des peuples colonisés par les autorités des métropoles).
La colonisation - que les pays ex-colonisés appellent plutôt "l'occupation" voire "l'invasion" - y a laissé derrière elle des cicatrices et un traumatisme profond, mais pas seulement : en vertu de l'imposition d'une langue et de tout ce qu'elle véhicule, et qui a créé bon gré mal gré une certaine proximité culturelle, elle a créé aussi quelques chemins préférentiels de migration (les Congolais émigrent préférentiellement en Belgique, les Maghrébins en France, les Indiens et les Pakistanais au Royaume-Uni - même si en la matière, préférence ne veut pas dire exclusivité, tant s'en faut). Cela a fait dire à certaines de mes connaissances que les immigrés pauvres d'aujourd'hui ne font jamais que suivre le chemin de leur richesse volée (ce que ne font tout de même pas si directement que ça les Indiens, les Népalais ni les Philippins qui émigrent vers l'Arabie Saoudite, le Qatar ou les Émirats Arabes Unis, ni non plus les Africains subsahariens qui émigrent vers le Maroc - car, oui, en 2024, le Maroc est bel et bien devenu une terre d'immigration depuis quelques années). Et tout cela crée, de part et d'autre, des tensions identitaires voire suprémacistes, aussi bien de la part de pays décolonisés qui ont été dépossédés de leur culture et de leur histoire et qui tentent de se les réapproprier, que de la part d'anciennes métropoles qui craignent à leur tour de se faire envahir et déposséder des leurs. Un sujet à creuser, certes, mais qui mérite toute une réflexion à part entière si l'on veut s'éloigner un tant soit peu des clichés habituels...
La soutenabilité d'un mode de vie
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