Le Murmure des Arbres - chapitre 02
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Le Murmure des Arbres - chapitre 02
Deux heures plus tard, Piotr, essoufflé, terrassé, en nage, s’affaissa.
La fatigue oculaire déclenchait des maux de tête aussi agressifs qu’ils étaient fugaces. Il fermait alors les yeux, inutilement, dans l’espoir de les faire disparaître, d’en atténuer les effets.
Dans l’habitacle, il régnait une chaleur humide. De la sueur dégoulinait de son front, glissait sur ses paupières et terminait sa course sur ses lèvres. Il résistait, comme il le pouvait, à la démangeaison occasionnée. Mais par instant, d’un coup de langue rapide, il capturait plusieurs gouttes, fraîches et salées.
Il déglutit, reporta son attention sur les contrôles.
La 97e Pomme apparut sur son écran, grosse comme ses deux poings. La caméra tourna autour, les senseurs vérifièrent l’intégrité du fruit, ses échanges moléculaires, ses émissions d’ondes alpha. Ce fruit n’avait pas d’alter ego. Il n’avait pas été accolé. C’était un Lare vierge.
Piotr l’observa avec curiosité. À travers l’enveloppe rougeoyante légèrement translucide, il pouvait voir le battement microscopique de la pulpe. À l’intérieur, les circonvolutions de la masse gélatineuse dessinaient un labyrinthe inextricable veiné de rouge sombre : l’encéphale végétal.
Il poursuivit son inspection. Il agrandit l’image, afficha les données biologiques de la Pomme. Tout semblait familier. Pourtant en y regardant de plus près, il détecta une minuscule tache noire. Grosse comme un point sur un i. Il n’avait jamais rien vu de telle. Il fronça les sourcils. Ses yeux se perdirent. Ils plongèrent dans ce trou d’aiguille sans fond.
Il se détendit, zooma encore et lança une analyse spectroscopique non invasive.
Avait-il mal exécuté sa tâche ? Sa compétence était-elle en cause ? Ou était-ce le saut ? Pourquoi le saut ? Ça n’avait pas de sens ? L’Arbre n’en était pas à son premier saut, loin de là.
L’Arbre approchait les soixante-dix ans. Il avait poussé en pleine nature pendant au moins vingt ans dans les forêts d’Oranda Silva 4, une des trois planètes des Gwez-kunduers. Ensuite, il avait grandi en apesanteur en pépinière, dans une serre en orbite comme tous ses congénères. D’après les enregistrements, il avait intégré ce vaisseau à sa construction, il y avait maintenant vingt-huit ans. En fait, pour un Arbre, il était encore jeune, très jeune.
Pendant sa formation, Piotr avait côtoyé des spécimens qui flirtaient avec les deux cents ans et qui étaient aussi imposants que certains vaisseaux de la Fédération. Dans les serres spatiales, l’apesanteur libérait la croissance des Arbres.
De fait, les Arbres avaient une espérance de vie millénaire. Celui-ci ne pouvait pas avoir déjà entamé son déclin biologique, loin de là.
Il fouilla dans les archives de la Fédération.
L’IB ne trouva aucune correspondance.
Deux siècles de documentations et pas un article, pas un entrefilet sur ce genre de tache. L’élargissement du filtre de recherche n’apporta pas de solutions plausibles.
Piotr parcourut les résultats de l’analyse. L’IB penchait pour une nécrose tissulaire à 93 %. Elle présumait une espèce de cancer.
Il demanda une projection de la chute de la feuille avec identification du fruit malade.
Il n’en crut pas ses yeux. La feuille qui était tombée jouxtait la pomme en train de pourrir.
Il ordonna un examen de la branche qui soutenait le fruit.
L’attente fut insupportable.
La pause d’entre-saut touchait à sa fin. Bientôt, ils quitteraient l’espace standard. Les risques, en ce moment, étaient mineurs. Par contre, il devait résoudre ce problème de nécrose avant toute nouvelle traversée quantique. Lors d’un saut, les dangers étaient d’un tout autre ordre de grandeur.
L’IB présenta ses résultats.
La branche ne comportait pas d’ulcérations, sa vascularisation entrait dans l’encadrement acceptable, la viscosité de sa sève affichait une élégante mixité. La comparaison entre sève brute et sève élaborée démontrait une biosynthèse effective dans les limites statistiques convenues. La densité et l’arrangement des fibres ligneuses révélaient une dureté et une stabilité dans les normes des Arbres. Enfin, tous les voyants étaient au vert en ce qui concernait les données collectées. Tout concordait avec les indicateurs fournis par les Gwez-kunduers depuis qu’ils existaient et depuis que les Pommiers avaient été recrutés pour accorder aux hommes la possibilité de se déplacer plus vite que la lumière.
Recrutés. C’était le terme employé par la Fédération. Les chantiers spatiaux ne produisaient plus aucun navire sans Arbre même s’il n’était pas destiné à voyager en hyperespace. Les Arbres étaient devenus partie intégrante de l’architecture d’un vaisseau, tout comme l’était l’Intelligence Biologique. Un navire sans Arbre était condamné à être démantelé si ce n’était purement et simplement détruit, car inutilisable en l’état.
Piotr se cala dans son siège et ferma les yeux.
Il se relaxa, apaisa son esprit pour entrer en relation avec son Arbre. Il avait entendu dire que des Gwez-kunduers, après quelques années, développaient des capacités cognitives leur permettant de ressentir les tensions qui se jouaient au cœur des fibres de l’Arbre. Certains Gwez-kunduers allaient jusqu’à déclarer qu’ils comprenaient ce que percevaient les Pommiers. D’autres, plus posés et peut-être plus sceptiques, rétorquaient qu’ils devaient surtout percevoir un brouhaha d’ondes alpha. Ces ondes émises par les fruits, les Lares, lors de l’accolement. Le cerveau humain étant prompt à créer de l’ordre et du signifiant là où il n’y en avait pas toujours. Ces Gwez-kunduers se construisaient de beaux mirages, indubitablement très réels pour eux, mais de toute évidence illusoires.
Piotr n’en était pas encore là.
Il n’entendait rien, rien de bien compréhensible.
Pourtant il avait ressenti une douleur pendant le saut et il l’associait logiquement avec la chute de la feuille. Pour lui, il n’y avait pas de doute, l’Arbre lui avait fait parvenir un signal.
Il secoua la tête. Il se serait bien gratté le crâne, mais il avait remis son casque hermétique.
Agacé, il exigea de l’IB, une surveillance en continu du fruit et de la tache. L’IB devait l’avertir de la moindre évolution.
Maintenant, informer le capitaine était devenu une obligation. S’il devait intervenir physiquement sur l’Arbre, le vaisseau ne pouvait plus sauter. Il n’avait aucune idée des conséquences précises, mais il imaginait aisément le pire. Son apprentissage n’avait pas abordé de près ou de loin la taille d’un Arbre en activité. L’amputation n’était pas une opération à prendre à la légère. Il avait besoin des lumières de l’expérience du capitaine. Il n’allait pas entamer un élagage de l’Arbre sans l’aval de la personne en charge du navire et de son équipage.
Le vaisseau ralentit.
Un message clignota. Le prochain saut en hyperespace était retardé. Le Goliath reprenait son allure de croisière.
Les systèmes atmosphériques des zones de vie s’ébranlèrent pour distribuer de l’air dans les salles et coursives du vaisseau. L’électricité alimenta les lumières. Le champ quantique de pesanteur fut réactivé et très vite atteignit la valeur d’accélération d’un g dans les zones des espaces de vie et la passerelle. La salle de l’Arbre, elle, demeurait en apesanteur pour faciliter la circulation des fluides dans les branches et surtout parce que l’Arbre avait été élevé sans gravité et qu’il ne supporterait pas de retrouver une attraction qui le ferait ployer sous son propre poids.
Puis, sous l’effet des vibrations induites, l’Arbre s’ébroua. Le bruissement de ses feuilles chanta aux oreilles de son gardien.
Le Gwez-kunduer, presque soulagé, entreprit de retirer sa combinaison.
L’opération se révélait compliquée quand vous étiez en apesanteur, à moins d’y être habitué, car vous y viviez continuellement.