Au-delà des cimes des toîts
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Au-delà des cimes des toîts
Paris, 22 août
Je marchais d’un pas rapide, car le temps me manquait. Il me semblait décidément impossible d’arriver à l’heure pour une entrevue. Pourtant, tout avait si bien commencé. Je m’étais réveillée à 7 heures tapantes, j’avais même eu le temps de savourer un solide petit-déjeuner sur ma terrasse, le soleil jouant avec mes cheveux couleur tangerine. En sortant de chez moi, les choses s’étaient gâtées. J'étais entrée en collision avec Râleur, le chien-robot chargé de la dépollution des trottoirs de ma rue, dans le quartier du Marais. Je l’avais surnommé ainsi, car il se mettait à aboyer dès qu’un être vivant se retrouvait imprudemment sur son chemin ou laissait tomber un papier sur le sol. Les chiens-robots nettoyaient les rues avec assiduité, tandis que les robots-marsouins s’occupaient des milieux aquatiques comme les rivières, les fleuves, les mers et les océans. Enfin, les robots-dragons se chargeaient de purifier les cieux, en éliminant le CO2 et les particules fines avant qu’ils n’atteignent la couche d’ozone. Le petit canidé robotisé s’était complètement paralysé en me fonçant dessus, me faisant perdre de précieuses minutes à appeler un service de dépannage. Son antenne de géolocalisation ne répondait plus. Je haussai les épaules en voyant le soleil disparaître derrière un cumulus révélant une forme de cône par paréidolie.
Je distinguais les toits des bâtiments qui me surplombaient et laissaient de longues étendues herbeuses, parsemées de petits arbustes, s’installer confortablement. Ces jardins issus de la permaculture avaient permis de décongestionner les espaces urbanisés de la pollution, tout en nourrissant localement une partie des habitants des villes. L’air des grandes cités s'était par ailleurs purifié, rendant les hauteurs plus respirables. Nos habitudes de consommation, autrefois frénétiques et démesurées, s’étaient quelque peu atténuées.
Le véritable progrès se révélait cependant dans notre rapport à l’alimentation. Beaucoup de personnes avaient choisi d’éliminer de leur quotidien les produits nécessitant l’extraction de ressources naturelles lointaines. Ils se concentraient désormais sur les denrées produites à proximité. Mon regard se perdait, s’attardant de temps à autre sur un détail.
Les vacances d’été avaient débuté hier, et j’apercevais des lycéens titubant, le sourire aux lèvres, dans les rues de la capitale. Les vacances semblaient actuellement comparables à une utopie pour moi, et il me restait encore beaucoup à faire. Je me dépêchai d’arriver à Gare de Lyon et de faire valider mon billet en ligne sur mon téléphone. Je pris place dans le convoi. Pouvions-nous encore appeler ça un train ? Les chenilles de métal électriques filaient désormais à une vitesse fulgurante. Un Paris-Marseille se réalisait dorénavant en 20 minutes. La vélocité des trains atteignait presque celle des avions. Je souriais intérieurement en pensant à l’aviation… elle n’avait jamais pu se relever de la crise sanitaire déclenchée par le COVID-19. Des pertes financières astronomiques, de la pollution, et peu d’aides étatiques avaient formé le cocktail qui, entre autres, avait coûté la vie à la plupart des oiseaux métalliques. Était-ce un drame ? Cela dépendait du point de vue, j’imagine. Le développement des voies ferrées à travers toute l’Europe, ainsi que la collaboration entre les pays de l’Union Européenne et de l’espace Schengen, avait également contribué à la disparition quasi-totale de l’aviation du continent.
« Et pour traverser l’Océan Atlantique ? », me demanderiez-vous. Il restait en réalité possible de prendre place dans un avion, mais sous certaines conditions. Et le prix du sésame se révélait exorbitant. Les taxes sur le carburant, instaurées en 2021, ainsi que la limitation – à deux maximum – du nombre de voyages en petits courriers avaient précipité la transition écologique. L’électricité, qui offrait aux trains le luxe de rouler, provenait d’énergies renouvelables. Par ailleurs, un projet de voies de chemin de fer transitant sous les océans pointait le bout de son nez au-delà de l’océan Pacifique, au pays du soleil levant. Ce projet restait ambitieux… et pourtant, les choses avaient peu à peu évolué. Doucement, comme une brise de vent qui aurait pris de la force en s’éloignant des côtes pour conquérir l’océan, la vague du changement nous avait progressivement accompagnés.
Les politiciens d’autrefois avaient laissé la place à des personnes soucieuses de l’avenir de la planète Terre. De notre avenir. Des restrictions et des réglementations, plus strictes en matière de climat et de ressources naturelles, avaient permis de ralentir, puis d’inverser la tendance de destruction dont nous peinions à nous extirper. Un revenu de base inconditionnel, alloué à chaque citoyen.ne, avait conduit à la réinvention professionnelle de milliers de personnes. Car lorsqu’on ne craignait plus de vivre dans la rue et de terminer la journée le ventre vide, il devenait plus facile de réaliser ses rêves. Et d’y croire.
Je souriais en voyant l’écran de mon téléphone portable s’illuminer et émettre un tintement cristallin. La dégradation environnementale, engendrée autrefois par les mobiles et autres technologies voraces en électricité, s’était peu à peu réduite grâce au déploiement d’énergies éoliennes, solaires, marémotrices et houlomotrices. La construction d’une centrale solaire orbitale progressait par ailleurs depuis 6 années. Il faudrait donc se montrer patient avant que le coût énergétique intrinsèque à l’activité humaine ne se transforme en une énergie aussi propre et limpide que le plus transparent des torrents de montagne.
Je regardai l’heure affichée sur l’écran de mon cellulaire. 10 :59 - 22.08.2035. J’atteignais Lyon et il me restait 30 minutes pour rejoindre le Palais de Justice. J’y songeais, je ne m’étais même pas présentée ! Je me prénomme Mahaut et je suis avocate. J’avais terminé mes études de droit il y a plusieurs années. L’affaire pour laquelle je plaidais se déroulait à la cour d’appel de Lyon. L’entité que je représentais n’était pas une personne physique. Il s'agissait de la Saône, l’un des deux cours d’eau serpentant la ville de Lyon. Une entreprise active dans le domaine de la chimie y avait déversé des produits chimiques à haute toxicité, et la jeune avocate chargée de cette affaire se trouvait être ma personne. Je sentis mon pouls s’accélérer. Les biens naturels, tels que les forêts, les torrents et fleuves, les montagnes volcaniques et chaque parcelle de terre, bénéficiaient désormais de la personnalité juridique, afin de faire valoir leurs droits et devoirs. Progressivement depuis 2020, les biens-environnement avaient été dotés de la personnalité juridique et représentés par des avocats environnementaux. La société avait su tirer profit de la crise de 2020 instaurée par le SARS-COV-2 et puiser dans ses ultimes ressources, afin de faire évoluer le monde dans lequel elle vivait. Évidemment, cela n’avait pas été une aubaine pour tout le monde. Les multinationales avaient dû s’adapter à ce fonctionnement et progressivement cesser d’exploiter les ressources naturelles, en réorganisant leurs activités, afin de produire de façon plus locale. Certaines n’avaient d’ailleurs pas survécu.
Je jetai un coup d’œil à l’hologramme en face de moi dans le compartiment. Il s'agissait d’un article du quotidien La Tribune Parisienne, dont le gros titre s'affichait en caractères bleutés : « Dany Traup, ancien président des États-Unis, reconnu coupable de destruction forestière lors du procès l’opposant à la forêt amazonienne ». Une grande première qui allait faire office de jurisprudence. Je continuai à fixer distraitement l’hologramme, le regard perdu dans le vague, une fois n'étant pas coutume. Le train avait ralenti doucement et fini par arrêter sa course à Lyon Part-Dieu. Je sortis de ma torpeur et rassemblai mes affaires. J’étais arrivée à destination.