Vendanges
En Panodyssey, puedes leer hasta 30 publicaciones al mes sin iniciar sesión. Disfruta de 29 articles más para descubrir este mes.
Para obtener acceso ilimitado, inicia sesión o crea una cuenta haciendo clic a continuación, ¡es gratis!
Inicar sesión
Vendanges
Etait-ce parce que c'était lui ?
Il lui était apparu dès le briefing du matin, très concentré sur les consignes et elle avait eu l'amertume de penser qu'il ne l'avait pas vue. Son allure de fruit mûr évoquait le goût pour l'aventure. Avenant, calme et posé, tout en discrétion, il cachait bien son jeu. Elle s'affutait pour une rencontre savoureuse.
De part et d'autre de la ligne verte de la vigne, ils étaient là œuvrant, le sécateur en main. Ils parviendraient à se rejoindre et se retrouver face à face. Elle l'attendait et le jeu des regards qui se croisent à peine et tombent vifs comme seul le trouble sait le provoquer, suscita sa première vraie satisfaction. Elle avait voulu se laisser surprendre toute crue. Il l'avait vue.
Il s'était tout d'abord inscrit pour des vendanges
sur un domaine champenois convoité par quelques
bonne maisons de Champagne. Mais au dernier moment,
il réussit à trouver une place très convoitée,
et ainsi lui permettre de vendanger
dans les vignes des Chaudes Terres d' Aÿ.
C'était bien payé.
Les raisins allaient jouer dans des assemblages subtils
pour des Bollinger blancs ou rosés.
Il avait suivi avec attention les recommandations
et l'organisation du travail du maître vigneron.
Toutes et tous se mirent au travail.
Etait-ce parce que c'était elle ?
Elle lui était apparue par ce jeu vif des regards échangés, entraperçus. Il s'était dit dans son trouble qu'elle pourrait être l'âme qu'il recherchait avidement. L'idée des vendanges était prétexte à de belles rencontres.
À travers les vignes de septembre, elle lui paraissait apaisante et l'esprit clair : de cep en cep, il finit par l'entendre ; elle prononça quelques mots à sa voisine qui l'écoutait, heureuse. Elle avait un grain tendre, un grain tel qu'il pensa s'abandonner pour qu'elle le vît au jeu vif des entraperçus. Il s'abandonna.
Se pourrait-il que ce soit lui ?
Elle avait pensé, comme on reconnaît sa propre signature, qu'elle lui avait plu. Il n'y avait pas d'autres choses à croire.
Il lui était apparu timide, trop sans doute. Elle se laissa entendre lorsque grappe après grappe, elle le vit se laisser voir pleinement à travers le feuillage et le pinot mûr. Il n'y avait d'autres parfums que celui du tendre.
Il avait quelque chose d'improbable et de bien fragile : des hésitations, un tremblement inavouable. Elle causa avec sa cousine en des jeux rieurs, des éclats de Champagne, bien plus hauts que de bon cœur.
Se pourrait-il que ce soit elle?
Il l'entendît donc bien mieux qu'il ne la vît. Parfois il levait les yeux subrepticement pour la regarder mieux. L'impatience l'enflammait. Comment se conduire, échapper à son indifférence ? Il avait appris le goût cruel des déceptions ensanglantées. Mais les deux voisines riaient de bon cœur et le sien battait pour l'une d'elles. L'enjeu était devenu crucial : celui d'être apprécié tendrement, affectueusement par une belle âme, une sœur. Elle se mit à parler de cuisine libanaise. Il goûtait chacune de ses paroles. Il rêva de Champagne porté à ses lèvres entrecoupé de tahina (1).
Rares étaient les moments où ils s'éloignaient.
La première matinée passa ainsi à jauger l'autre,
laisser fondre leur présence mutuelle,
qu'elle se diffuse comme un parfum
et confier toute leur personne à l' intuition.
Ce sera lui.
À table, on se présenta le dos fourbu. L'enthousiasme et les cochonnailles eurent tôt fait d'inhiber les courbatures déjà présentes ; le lendemain elles resurgiront d'un trait au pied du lit.
Elle prononça son prénom d'une voix claire, lumineuse. Elle vit qu'elle l'avait touché par un mouvement de son visage. Mais elle aurait préféré une longue entrevue silencieuse échappée du monde. Il lui aurait cédé un aveu, elle n'aurait par cligné des yeux jusqu'à ce qu'il abdique. Elle connaissait la dureté des mailles de son filet, mais elle dût attendre. L'occasion, elle en était sûre, viendrait.
Il avait dit « Lucien ». C'était difficile à croire, ridicule comme un sobriquet.
Sera, ne sera pas ?
Gisèle ! Quelle idée! Gisèle ! Quel sot l'avait ainsi nommée ?
Ou alors, lui adjoindre un surnom joli, si elle lui permettait. Il se ferma un peu, chercha des indices, des liens qui sauveraient la situation compromise par ce prénom étonnant.
Il sentait un regard pénétrer son corps, une voix l'atteignait, envoûtante. Maintenant il en était certain. Il se sentit chaleureusement envahi, fébrile. Elle était de l'autre côté de la table, brillante, fille de notable de la Champagne rémoise, belle comme un piège.
Se laissera-t-il prendre ou refuser le jeu? Lui, invoquant charme et tendresse, elle , féline, tenant sa proie sans arme et sans faiblesse. Tout cela lui sembla sans issue, tout fichu.
Ce ne sera sans doute pas lui.
Chacun raconta ce qui l'amenait aux vendanges. Elle prit soin d'être humble. Elle l'écouta dire des choses toutes banales, franches mais ennuyeuses. Il termina en ce mot « rencontres » qui provoqua en elle l'idée du regret, l'abandon de la chasse. Tout ceci n'avait plus la saveur étrange qu'elle espérait. Il avait manifestement voulu se rendre insipide. Pourquoi?
Parce que c'était elle.
Il s'en convainquit jour après jour, après l'avoir tant vu jouer son curieux rôle – mais était-ce un rôle ? - susciter par son humour, son humeur, la gaieté des vendangeuses et des vendangeurs. Les lourdes baies de Pinot noires remplissaient les caisses une à une. La gaieté était de mise. Elle gagnait toutes les parties. Se jouait-elle de lui ?
Ce ne pouvait être lui.
Elle ne se voyait pas elle, lui fumant le cigare, l'accompagner. Tous deux enflammés, laissant s'éteindre les braises de septembre, voir le temps défiler vers l'hiver. S'éteindre lui serait insoutenable. Mais il était là, pauvre de lui, aimanté et comme dans un songe, vaillant écuyer. Comment lui montrer désormais qu'il ne serait pas.
Ce ne sera pas elle.
Les vendanges passées, chacun chacune regagna sa place : un village, un quartier, un campus d'université. Il n'avait d'elle qu'un regard furtif, un rêve, une présence presque intime, des mots jetés juste pour le plaisir de voir leur effet dans l'expression du visage, juste pour plaire et tailler dans la chair.
C'eût pu être elle en d'autres circonstances que celles-ci.
Et puis il avait ce qu'il considéra comme un trésor : une chance, la dernière, celle qu'il ne faudrait pas brûler comme le font les étapes et l'impatience. Un dernier espoir, une illusion à chérir. Il savait où lui écrire. Il avait un nom et Gisèle pour mémoire. Toute son ambition était simple et précieuse : un jour la revoir, l'entendre, qu'elle ne lui parle rien qu'à lui. Perdre son temps longuement, tous deux ensemble, comme le feraient des amis.
Eût-ce été lui s'il n'avait écrit ceci ?
Elle crut en recevant sa lettre à une farce, une plaisanterie de mauvaise foi. Aucun rapport avec sa propre intuition. Elle avait gagné son cœur. Comment en douter ? Elle le voyait entre ses propres mains, ensanglanté, palpitant comme un poisson pourpre aux reflets d'argent. Elle le pensa imprégné d'une insidieuse hypocrisie. Il voulait qu'ils soient amis ! Parbleu, quel étrange mensonge.
Elle choisit sa défense irrémédiable : le silence.
Ils s'en tinrent là.
Cela aurait dû être la fin de cette petite histoire
de vingt lignes, de raisins mûrs sur coteaux de vignes.
Comment imaginer une quelconque suite ?
Elle serait douteuse, improbable, pleine d'ennui, ridicule.
Il était certain que leur destin ne serait pas commun.
Ce fut une simple histoire, une rencontre avortée
et à la fin, un crève-cœur.
Mais voilà ! est-ce le hasard,
le jeu des circonstances et des nécessités,
ce fameux destin si facile à inviter
dans les scènes théâtrales
ou
est-ce l'intuition?
L'une devint chirurgienne-dentiste
au 57 bis rue Boissière à Paris.
Et l'autre, orthodontiste dans le même cabinet,
l'étage au-dessous. Comment y croire ?
Pourtant, certains disent les avoir vus au « Forest »
avec échalotes croustillantes, oignons confits,
aubergines parfumées au paprika fumé,
tahina (1), labneh (2) et tomates séchées.
Et leurs yeux pétillaient,
une coupe de Champagne aux lèvres.
Un Bollinger sans doute.
Le millésime n'est pas mentionné.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
notes
-
Tahina : crème de graines de sésame broyées
-
Labneh : lait fermenté, rayeb de chèvre