Serpent
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Serpent
- C'est pas ce que tu crois !
La phrase de trop. Celle qui me sort enfin de ma torpeur.
Il répète "C'est pas ce que tu crois" et cette fois la fureur m'envahit.
J'ai envie de lui crier : "Depuis quand vois-tu avec mes yeux, réfléchis-tu avec ma tête, ressens-tu avec mon coeur ?!"
Mais je ne dis rien.
Je tourne les talons. Je veux m'éloigner de lui... et d'elle !
Je l'entends courir derrière moi. Au moins aura-t-il eu la décence de le faire...
- Julia, reviens ! Tu me laisses même pas m'expliquer.
Je crois qu'il me prend vraiment pour une imbécile. J'aurais presque de la pitié pour lui.
- Julia ! Je t'aime !
Ses mots me heurtent. De plein fouet. M'arrêtent.
Il me rattrape, m'agrippe un bras et me tourne face à lui.
- Julia...
Je lève mes yeux et je plonge dans les siens.
Je m'y perds. Comme à chaque fois. Ma colère fond aussi vite qu'elle est arrivée et mon coeur s'emballe.
Je m'écoeure !
Je ferme les yeux avec difficulté, tremblante. Je ne dois pas être faible ! J'essaie d'effacer ce visage que j'aime tant et qui m'apparaît encore, même dans l'obscurité.
Je le sens m'entourer de ses bras et poser sa tête sur mon épaule. Je n'ai pas la force de le repousser.
- Julia, regarde-moi.
Le serpent susurre à mon oreille...
Je lutte. Je me concentre pour me remémorer la scène découverte il y a cinq minutes. Je me laisse envahir par la douleur pendant que le serpent glisse sur ma peau ses doigts froids et doux.
Je pince les lèvres.
La scène. Lui et elle. Je sens le venin couler dans mes veines. Ça brûle. Ça m'écrase. Je suffoque !
- Julia. Tu sais que je t'aime n'est-ce pas ?
Je rouvre les yeux.
Je ne sais comment j'ai pu raté avant son regard de serpent.
Je le fixe intensément et mon regard le liquéfie.
Il n'est plus qu'un insecte que j'ai envie d'écraser.
Il déglutit et me lâche.
Je continue de le fixer sans rien dire. Mes yeux sont plein de colère. Il recule. Il ouvre la bouche mais je le devance.
- Tu disparais ! sifflais-je, devenant le serpent.
Il recule encore. Une ombre passe devant ses yeux. Il se retourne alors doucement et s'en va d'un pas mal assuré.
Je le regarde partir, droite et froide comme une statue de pierre. J'aime à croire que le poids de mon regard l'empêche de se retourner.
Je retiens ma respiration jusqu'à ce qu'il ne devienne qu'un point qui disparaisse enfin, au loin.
Alors là, seulement, je reprends mon souffle. Je respire à fond puis la statue se brise.
Je m'affaisse au sol et laisse sortir le venin de mon corps.
En flots de larmes.
Texte : Estelle Lahoussine-Trévoux
Image : Pexels