

Entre les marées
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Entre les marées
Je devrais être heureuse.
C’est ce qu’on attend d’une femme dans un endroit comme celui-ci, face à un geste comme celui-là.
Mais, il y a toujours quelque chose qui cloche quand tout semble trop parfait.
Le cloître du Mont-Saint-Michel était rempli de touristes — des pas, des flashs, des rires étouffés.
Un guide parlait en italien de la structure légère en granit soutenue par la double rangée de colonnes élancées. Un autre expliquait en anglais pourquoi les petites fleurs blanches qui couvrent le jardin central s’appellent des « pâquerettes ». La superposition des langues que je comprenais toutes était étouffante.
Et, pourtant, quand il s’est agenouillé, tout a disparu. Comme si quelqu’un avait mis le monde en sourdine.
Il s’est vraiment agenouillé.
Là, entre deux colonnes, avec la mer visible au loin, entre les ouvertures.
La bague, la question, mon prénom prononcé avec une attention presque sacrée. Avec l’accent juste.
Et moi, figée.
Comme si la scène ne m’appartenait pas.
Comme si je la regardais de l’extérieur.
J’ai inspiré profondément, j’ai essayé de calmer le rythme de mon cœur.
Les touristes ont applaudi, puis ils se sont tus, ils ont attendu, quasiment plus nerveux que l’homme agenouillé devant moi. J’ai tenté de penser clairement. Mais, mes pensées sont venues sous forme de scènes.
J’ai imaginé ce qui se serait passé si j’avais dit non.
J’ai vu son visage qui a tenté de rester digne.
J’ai vu les touristes filmer malgré eux, la gêne visible sur leurs visages.
Je nous ai vus faire semblant que tout allait bien en quittant les lieux, comme si ça n’avait été qu’un malentendu. Et puis, il y a eu le train. La distance. Le vide. La certitude que j’avais peut-être laissé partir quelqu’un de bien.
Mais… et si j’avais dit oui ?
J’ai vu mon sourire tremblant, mes mains qui ont pris la bague, mais ont hésité à la mettre.
Les embrassades. La photo souvenir.
Les messages sont arrivés sur mon téléphone : « Vous êtes parfaits ensemble. »
Les semaines suivantes ont été remplies de préparatifs, de décisions, de listes.
Et, à un moment, la nuit, seule, j’ai regardé la bague et je me suis demandé : Pourquoi est-ce que j’ai dit oui, déjà ?
La vérité, c’est qu’aucune des scènes ne m’a convaincue.
Ni le non, ni le oui.
Les deux ont porté un risque.
Les deux m’ont hantée.
J’ai respiré à fond.
J’ai regardé autour de moi.
La réalité est revenue par fragments : le bruit d’un talon sur la pierre, un enfant qui a couru, le flash d’un appareil qui m’a éblouie un instant.
Mais rien ne m’a vraiment distraite.
Le monde entier a semblé retenir son souffle. Et alors, incapable de cacher le doute dans ma voix, j’ai dit :
— Oui.
Une pause. Et les touristes ont répondu en chœur :
— Own! how cute, si mignons, que fofos, molto carini.
Des applaudissements ont éclaté.
J’ai cligné des yeux et la bague a été à mon doigt.
Un bras m’a enlacée.
Et dans cette étreinte, entourée de monde, de bruit, de doutes, pour la première fois, j’ai ressenti une forme de paix.
Peut-être que ce n’est pas une question de certitudes.
Peut-être que le véritable amour, c’est juste ça : Quelqu'un prêt à te tenir la main, même quand tu ne sais pas vraiment où tu mets les pieds.
J’ai essayé de m’en convaincre, tandis que ce vide m’a envahie lentement. Ce vide qui m’a semblé presque être une prémonition.
J’ai tendu la main vers le jardin, j’ai pris une photo avec mon téléphone et j’ai envoyé un message.
— Maman, je suis fiancée

