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Chapitre 30

Chapitre 30

Publicado el 30, oct, 2024 Actualizado 30, oct, 2024 Chick-lit romance
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Chapitre 30

 

Aujourd’hui nous partons. Je nous emmène vers une Bretagne battue par tous les vents d’hiver.

Tôt le matin, je m’empresse de filer au marché pour acheter le pique-nique pour le voyage. À l’entrée du marché, la campagne pour les municipales vibre au cœur de Capcity-le-Soubresaut. Je me fais alpaguer par les cirés matelots du grand banditisme et ceux bleu-blanc de la grande respiration. Ils se battent pour distribuer le maximum de prospectus. Certains sont déguisés en Père Noël et distribuent des papillotes à tour de bras. Les fonds du parti sont hauts. Un peu plus loin, les cirés violets du maire sortant se targuent de distribuer de mini-calendriers estampillés au nom de leur parti. Difficile de passer entre les gouttes, trop de cirés barrent le passage.

Je serre les dents. J’attrape les prospectus à pleine main. Je me garde bien de les jeter à la poubelle. Enfin pas tout de suite : ils sont mon passe de sortie rapide pour m’extirper rapidement de ce panier de crabes.

Les vacances en famille sont denses. Bonheur de tous se retrouver. Vibrations allegretto du rythme de la journée. Mère-Grand est ravie d’avoir toutes ces fermetures Éclair à recoudre.

Je prends des nouvelles de Capcity-le-Soubresaut. L’appartement de Dune, infesté de souris, a été désourisée. Ça sent encore un peu la souris crevée. Dune squatte à la maison et cherche activement un chat.

Souris, cirés, retrouvailles familiales. Des péripéties à la diable. Elles ponctuent mon jardin secret empli de romance en tige et d’exaltation en arbre.

Les vacances, une pause sauvage et cruelle, non consentie dans les balbutiements passionnés d’une relation sentimentale dont je ne peux encore rien présager. Loin de Capcity-le-Soubresaut, retirée sur les terres bretonnes léchées par la mer, je reste en suspension. Mon moi intime vogue sur l’océan où je retrouve mon Gaspard perché sur chacune des vagues qui m’enroule.

Besoin de m’échapper et de retrouver Gaspard en pensée. Je m’éclipse par petites bulles atemporelles sur le chemin côtier nouvellement tracé le long du golfe. Marées basses et hautes rythment la promenade.

Déclinaison de la lumière à travers son prisme de la journée. Versatilité de l’atmosphère. Frasques de l’immobile ou du mouvant.

Une poignée de jours plus tard, je remonte seule vers la capitale. Mes enfants profitent de leurs vacances au bord de la mer avec leurs grands-parents. J’actualise les relations que je n’arrive pas à voir régulièrement pendant la période scolaire. Je m’offre une rallonge de quelques jours avant de replonger dans l’univers infini des mots, dicté par le travail.

Densité des fêtes, véritable coupure de mots. Je me délecte à la fois de ces jours sans écriture et des mots qui couvent tout chauds dans ma tête, comme de multiples petites naissances. La greffe de l’écriture reprend toujours à merveille. Mission professionnelle au cœur de l’écriture et de la lecture.

Je n’arrête plus de lire. Pourtant, un temps fut où j’ai rompu avec le livre pendant mon union avec les couches des bébés. Pas moyen alors de sortir la tête de l’eau durant les premières années des oisillons. Pas la tête à l’évasion.

Maintenant, les piles s’entassent et s’écroulent. Certains livres prennent la poussière. Ils sont tous ouverts et palpés. Certains avalés jusqu’au quignon. D’autres rejetés avant l’amorce de la croûte. Je vais jusqu’au bout de mon plaisir papivore. Je poursuis la lecture ou j’arrête net. Je rejette sans mauvaise conscience tout ce qui m’éloigne du plaisir primaire. De chaque auteur dégusté éclôt la fraîcheur d’une déclinaison de titres et d’inférences.

Je suis seule, sans enfant. Et il me faut attendre avant de revoir Gaspard qui est au loin. Une fausse sérénité pâture dans le champ des émotions amoureuses.

Je profite de ma première soirée seule pour lire et répondre au nouveau mail d’Ana que le facteur arachnide a déposé il y a quelques jours dans ma messagerie électronique. Pendant mes derniers jours de vacances bretonnes, je m’étais astreinte à ne pas me connecter à Internet. Coupure avec le monde. Couture en moi avec Gaspard.

Je suis assise en tailleur dans mon fauteuil crapaud, une tasse de camomille du jardin breton à l’affût. Je sais que je vais me régaler, plus avec le mail et les saveurs qui s’en dégagent qu’avec l’eau chaude du jardin. Je plonge sans masque ni tuba. Cette fois-ci, j’arrime une bouteille pour rester plus longtemps dans les profondeurs, palier après palier.

Chère marraine,

Quand je suis arrivée en août en Inde, c’était la mousson et il faisait moite et chaud. Le temps a bien changé et le contraste est saisissant avec la température, il fait carrément froid. Ce n’est pas le même froid qu’à Capcity-le-Soubresaut. Les maisons sont très mal isolées. Nos fenêtres ferment mal et l’air passe. Il n’y a pas de chauffage alors on ressemble à des bonshommes de neige patauds avec nos piles de vêtements d’été.

Je m’installe emmitouflée fréquemment sur ma terrasse. Pas besoin de partir loin, j’ai un spectacle sous les yeux, une maison en chantier. Pour que tu puisses situer la scène, je te donne quelques détails. En face de notre maison il y a un parc avec des eucalyptus. À gauche, il y a une rue en enfilade avec ses maisons hautes sans jardin mais avec des plantes en pots. Chaque jour j’observe les progrès et l’organisation du chantier. En même temps, je compulse les quotidiens indiens pour décrypter davantage la vie politique et culturelle du pays.

Peux-tu imaginer comment je reçois les journaux chaque jour ? Eh bien, le livreur les lance du bas de la rue sur les balcons. Il vise à chaque fois dans le mille sur notre terrasse du deuxième étage ! À notre réveil, il nous suffit d’aller sur le balcon pour ramasser les journaux enroulés sur eux-mêmes par un élastique. Je trouve ça tellement pittoresque, chaque jour m’enchante un peu plus. Et pourtant on s’installe dans la routine. Il faut quand même que tu saches que je me suis finalement attelée à mon travail de mémoire. Maman est ravie et rassurée. Avec Brianne nous avons rayé définitivement l’option cours mais faisons nos recherches respectives. Brianne travaille sur les élections municipales qui vont avoir lieu dans quelques semaines.

Je travaille plus précisément sur les relations indo-pakistanaises. Je plonge dans le passé relationnel de ces deux pays pour comprendre leurs relations d’aujourd’hui, c’est passionnant. Ça c’est pour la partie sérieuse qui justifie ma présence en Inde. Pour la partie autodidacte dans le domaine de la découverte du monde, je me laisse conduire par mes intuitions et mon bon sens. Nos copains indiens viennent souvent nous rendre visite, c’est l’occasion de traduire nos incompréhensions. Évidemment, on continue aussi nos sorties !

Bisous bisous.

PS : on est en train de changer de tête. Le suspense est total !

La lecture de cette lettre me laisse pensive. Le lendemain matin, elle trotte encore dans ma tête, comme une intuition insaisissable. Je regarde d’un autre œil ce qui m’entoure à Capcity-le-Soubresaut, résurrection du matin. Telle une mélodie qui traverse les pays et les cultures, la lettre d’Ana me renvoie abruptement à l’effervescence de ma propre ville. Démolitions d’habitats insalubres. Rénovations et constructions de nouveaux immeubles explosent dans toutes les rues. Avant mon départ en vacances, ces chantiers étaient déjà en cours mais je n’y prêtais aucune attention.

En ouvrant un œil sur mon quartier et ses constructions urbaines, je pense maintenant financement, matériaux, organisation du travail, protection sociale des ouvriers. Un journaliste pourrait bien venir fouiner dans la municipalité de Capcity-le-Soubresaut dont les dessous en matière de plans urbains favorisent scandales et pots- de vin.

Je me promets de ralentir le rythme avec les enfants et de moins les houspiller pour courir jusqu’au prochain rendez-vous temporel et géographique. Peter, Tolstoï et Sacha sont bien plus réceptifs à l’observation. Ils n’hésitent pas à s’arrêter pour scruter les activités d’un chantier visible. Goût de l’arrêt sur image, conscience fine de toutes les parcelles de mouvement qui forment le tout de la vie. Lâcher le futur et le passé pour s’asseoir sans filet dans le présent. Des formes inhabituelles de savoir-être dans le tournis quotidien.

 

 

 

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