4. Juste une bouteille de rhum - New York, États-Unis
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4. Juste une bouteille de rhum - New York, États-Unis
— Il y a quelqu’un d’autre sur la ligne… Ne quittez pas, je vous mets en attente.
La réceptionniste appuie sur une touche de son standard et fait un geste en direction de l’homme qui patiente devant elle, lui signifiant qu’elle se libère tout de suite pour lui, avant de reprendre dans le micro-casque :
— Mister Seymour is not in yet, could you call back in half an hour?[1]
Deux minutes plus tard, les appels téléphoniques ont cessé et la jeune femme se tourne vers le visiteur. L’homme, un blond de haute stature, bien bâti, vêtu d’une veste en cuir et portant de larges lunettes noires sous une coupe en brosse, a patienté sans broncher. La réceptionniste lui jette un sourire préfabriqué.
— Bienvenue chez Piquet International, welcome to Piquet International. Que puis-je faire pour vous, how may I help you?
— You could trigger the silent alarm for me…
Et comme l’hôtesse ne semble pas comprendre, il répète, dans un français impeccable :
— Vous pourriez déclencher l’alarme silencieuse pour moi…
Pour appuyer sa requête, il extirpe un revolver de son blouson de cuir.
La vue de l’arme tire la réceptionniste de son mutisme. Effrayée, elle lance un long cri hystérique.
En sortant du silencieux, le projectile ne produit pas plus de bruit que le bouchon d’une bouteille de champagne éventée, mais a pour effet instantané de faire taire les stridulations de l’employée. L’assassin pivote, souple et précis. Il abat le gardien stationné à l’entrée d’un large couloir avant que ce dernier n’ait le temps de finir de dégainer son arme.
— J’avais dit silencieuse l’alarme, continue-t-il comme pour entretenir sa conversation avec la standardiste.
Tandis que l’air se charge petit à petit de l’odeur ferreuse du sang des victimes, le tueur passe derrière la réception. Il tâtonne du plat de la main sous le comptoir, trouve un bouton-poussoir et l’actionne.
Il presse alors le minuscule appareil de communication qu’il porte à l’oreille droite.
— On peut y aller…
Rien ne laisse paraître dans les locaux que l’alerte a été donnée. Seule dans le poste de vigie de la compagnie, une longue sonnerie retentit, sourde et insistante. En attendant avec impatience les instructions de la régie centrale située à quelques kilomètres de là, le responsable de la surveillance vérifie en quelques gestes précis sur ses appareils d’où a été déclenchée l’alarme : le hall de réception.
Une fois le plan d’urgence initié, le système verrouille toutes les issues. Les différentes zones du complexe se retrouvent compartimentées et tous les moyens de communication conventionnels ou sans fil, coupés. Aucun fauteur de trouble ne peut plus ni fuir la place ni contacter l’extérieur. Ces mesures restent fondamentales pour une compagnie comme Piquet International, versée dans la recherche et sujette à l’espionnage industriel.
Suivant à la lettre le protocole, le vigile vérifie la nature de l’alarme. Un zoom sur l’écran de contrôle du hall suffit à lui indiquer la gravité de la situation. Il peut voir les corps sans vie de la réceptionniste et de son collègue. Deux larges flaques sombres s’étalent à vue d’œil sur le marbre blanc de l’entrée. Il décroche son talkie-walkie et confirme à tous les gardiens en patrouille l’état d’alerte du bâtiment.
Reportant son attention sur les écrans de surveillance, il manipule la vidéo pour observer l’arrivée du meurtrier et l’exécution brutale des deux employés.
— Central à contrôle, central à contrôle, laisse échapper sa radio.
Il s’en empare et répond aussitôt :
— Ici contrôle. Alerte confirmée. Un homme armé…
Il continue à suivre des yeux les déplacements de l’intrus, mais celui-ci a disparu dans un angle mort.
— … Il a tiré sur la réceptionniste et un gardien. L’individu est maintenant enfermé dans le hall.
— OK, on est en route. Contingence uniquement, on s’occupe du reste.
— Affirmatif.
Il relaie les consignes à son équipe. Dans les situations comme celle-ci, seules les fréquences d’urgence demeurent utilisables et le central de la compagnie privée de sécurité doit, comme elle vient de s’en acquitter, confirmer son arrivée.
Le vigile sait maintenant que d’ici quelques minutes à peine, l’équipe d’intervention arrivera sur place. Le meurtrier, acculé dans le hall, sera bientôt appréhendé et remis aux autorités.
Accroupi dans l’un des angles morts des caméras de surveillance, l’énigmatique assassin, paisible, attend sans se soucier d’être ainsi pris au piège.
Il consulte sa montre, puis enlève le chargeur de son arme pour le remplacer par un autre, plein celui-ci.
Sur le sol devant le comptoir, il voit bientôt danser les ombres de l’équipe d’intervention qui vient d’arriver. Les hommes doivent être en train de se mettre en formation derrière les grandes portes de verre givré de l’entrée en attendant qu’un membre de la sécurité les déverrouille.
Il perçoit le déclic électrique caractéristique du pêne relâché de sa prison. Aussitôt, les deux énormes battants s’ouvrent en grand et une horde paramilitaire s’engouffre. Tout de noir vêtus, parés de casques et gilets en kevlar, armes semi-automatiques pointées en avant, les hommes se tiennent prêts à maintenir en respect le premier malfaiteur venu.
Sur son écran de contrôle, le vigile voit l’impressionnant commando pénétrer dans le hall. Tout d’un coup, la nuque de l’intrus entre dans le champ de l’une des caméras qui surveille l’espace des ascenseurs. Il s’accroupit et semble tenir une arme pointée vers les premiers hommes qui débarquent à sa hauteur. Le vigile voit l’un des membres de l’équipe tomber à la renverse, puis son compagnon tout de suite à sa gauche ouvrir le feu sur le meurtrier qui s’écroule en arrière sur le sol.
L’angle de vue ne permet d’afficher que les jambes du malfaiteur, mais celui-ci, déjà cerné par le commando, ne semble plus bouger. Au second plan, quelqu’un aide l’homme tombé à la renverse à se relever. Son gilet pare-balles a rempli son office. Sur l’écran, celui qui vient de soutenir son compagnon décroche un talkie-walkie de sa ceinture.
— Central à contrôle, central à contrôle…
Le vigile actionne son propre appareil :
— Ici contrôle.
— Le suspect a voulu résister, nous avons dû riposter, il est mort. Un de nos hommes a été touché, mais rien de grave.
— Oui, j’ai vu.
— Maintenez la quarantaine du bâtiment, nous allons patrouiller pour vérifier qu’il n’avait pas de complices.
— Parfait, je suivrai votre progression d’ici et déverrouillerai les issues au fur et à mesure.
— Je vous rejoins au poste de commande pour superviser.
— Entendu.
Le chef du commando donne quelques ordres à ses hommes, qui se dirigent vers les escaliers, tandis que lui-même traverse le hall dans la direction opposée pour rejoindre la salle de contrôle.
Deux coups brefs retentissent à la porte et le vigile s’empresse d’ouvrir.
— Douglas Macmillan se présente le chef du commando avec un faible accent anglais que les conversations par radio n’ont pas su retransmettre.
Il lui tend une main gantée de cuir noir.
— Antoine Adélaïde, répond le vigile en serrant la main tendue.
— Martiniquais ?
— Le Lamentin, à l’est de Fort-de-France.
— Dans les terres, oui, je connais, j’ai été posté dans le coin il y a longtemps. C’est là que j’ai attrapé ça.
Il pointe du doigt une cicatrice boursouflée qui lui barre la tempe jusqu’à la paupière supérieure droite.
Curieux, le Créole risque :
— Accident de manœuvre ?
Cette explication fait sourire l’ancien militaire qui passe distraitement son doigt sur la ligne violacée.
— Ha ! Penses-tu ! Une bagarre dans un bar… Les autochtones sont experts au maniement de la bouteille de rhum cassée. J’ai failli devenir borgne ce jour-là…
Le chef entre dans la salle et inspecte les lieux d’un regard circulaire.
— Mes hommes vont sillonner les étages par équipe de deux, si tu pouvais dire à tes gardiens de les rejoindre, petit…
Antoine n’est ni petit, ni même chétif du haut de ses un mètre soixante-quinze, mais il doit admettre que le commando, avec sa carrure athlétique et sa coupe en brosse poivre et sel, le domine d’une bonne demi-tête. Il emplit aussi la pièce d’une sorte de force souveraine, se déplaçant et observant les choses comme si tout lui appartenait. Ses yeux gris acier au regard perçant semblent témoigner qu’ils ont connu bien plus que des bagarres de bar.
— Bien sûr, répond Antoine, affable, en se saisissant de sa radio.
Pendant que les ordres fusent, l’ancien militaire actionne quelques boutons sur les commandes du matériel de surveillance. Comme Antoine s’approche de lui pour s’enquérir de ses intentions, il explique avant même qu’une question ne soit posée :
— J’archive les vidéos pour les autorités. Procédure standard quand il y a une attaque à main armée.
Antoine acquiesce d’un signe de tête.
— Vous les avez prévenues ?
— En chemin, oui. Une ambulance et la police ne devraient pas tarder à arriver.
— Qu’est-ce que voulait le type à votre avis ?
Macmillan se retourne en empochant les disques qui contiennent les fichiers vidéo numériques.
— Aucune idée… Nous, on est payé pour intervenir, pas pour faire de l’analyse. Tu as des gars au niveau de la zone de stockage Alpha ?
— Deux en permanence à l’entrée, pourquoi ?
— Je dois confirmer qu’il n’y a pas eu de pénétration des locaux, tu m’accompagnes ?
Antoine marque sa surprise par une grimace crispée.
— Vous savez, avec deux gardiens en poste, on le saurait si…
Macmillan balaye l’air d’une main, comme pour chasser une mouche importune.
— Les ordres sont les ordres… On me dit de vérifier… Je vérifie…
Antoine accroche sa radio à sa ceinture et va rouvrir la porte.
— C’est par là, invite-t-il en indiquant le corridor en face.
Les deux hommes avancent le long du petit couloir qui aboutit sur les portes coulissantes d’un large élévateur.
— Bizarre tout de même, fait Antoine. Un homme seul, qu’est-ce qu’il espérait ?
— Il y a des cinglés partout, répond Macmillan en haussant les épaules.
Le vigile appelle l’ascenseur en utilisant l’une des clés accrochées à sa ceinture.
— Et puis, reprend l’ancien militaire, il n’est peut-être pas seul…
Les deux hommes entrent dans la cage.
— C’est vrai, répond Antoine en usant à nouveau de son passe pour actionner la descente de la cabine. C’est pour cela que vos hommes quadrillent les étages, n’est-ce pas ?
Les deux coups de feu, étouffés par le silencieux, ne résonnent même pas dans l’espace clos où ils se trouvent.
Macmillan se penche et récupère le trousseau de clés sur le corps affalé du Martiniquais.
— Non, mon garçon, ce n’est pas pour ça que mes hommes sont dans les étages…
Les portes coulissent et Macmillan bondit en tirant deux balles sur chacun des gardiens en poste devant une porte blanche. Ils s’écroulent aussitôt et il actionne alors son oreillette :
— J’arrive à la zone de stockage, éliminez les gardes. Rendez-vous dans le hall dans cinq minutes.
Sur les paliers des différents étages, tous les vigiles qui ont rejoint les binômes du commando sont exécutés. Plus de témoins oculaires et le champ libre pour une sortie rapide.
Macmillan ramasse le badge de sécurité de l’un des gardes et s’en sert sur un lecteur magnétique accroché au mur pour ouvrir la porte blanche.
À l’intérieur, il scrute un moment les nombreuses étagères métalliques, puis se saisit d’une sorte de conteneur cubique noir et blanc, ressemblant à ceux utilisés pour le transport d’organes. L’un des côtés arbore l’inscription « 235Bk ».
Le chef des commandos, vidéos de surveillance en poche et conteneur à la main, rejoint le hall où ses hommes l’attendent. Son acolyte aux lunettes noires, en vie et bien portant, est occupé à intervertir de nouveau son chargeur. Il replace cette fois celui à balles réelles dans le magasin. S’il doit bientôt tirer, il n’utilisera pas des projectiles à blanc cette fois. Macmillan le félicite d’un signe de tête et indique les deux portes vitrées toujours grandes ouvertes.
— On bouge !
La fausse équipe d’intervention sort et embarque à bords de trois gros véhicules noirs stationnés en épis devant l’immeuble.
[1] Monsieur Seymour n’est pas encore arrivé, pourriez-vous rappeler dans une demi-heure ?