L'attrape-rêves
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L'attrape-rêves
"Le sombre charognard s’en va crever le ciel.
D’une élégance macabre, il s’envole.
Dans son costume noir, il danse, l’immortel.
D’un battement d’ailes immenses, il décolle.
La lumière de la lune, grisâtre et spectrale,
impose sur ses plumes
des lueurs fantomatiques.
La nuit est son royaume
et les vacillantes flammes
reflètent, en ses globes,
le fragile du feu des âmes.
Je veux être ce corbeau
et transcender ma conscience
pour enfin changer de peau,
foudroyer le silence
par mes cris,
annonciateurs d’une arrivée imminente,
faire naître la peur,
une angoissante attente.
Que le rampant se morde la queue,
qu’il s'étouffe d’arrogance.
Sinistre serpent silencieux
sifflant sa subtile sentence.
Retourne au fond de ta vieille terre,
toi le sombre, le solitaire.
Ta malveillance a fait de toi
une proie qui ne m’échappera guère.
Quant à toi, dors ma colombe,
j’accrocherai la toile
au-dessus de ce monde,
au-dessous des étoiles.
Que les esprits des songes chagrins
se consument au matin
et que demeurent tes blanches lèvres
dans les plumes de l’attrape-rêves.
Je suis l’oiseau ténèbres,
le passeur des trépassés.
J’emporte dans mon bec
leurs ombres désincarnées.
Je plane dans les cieux,
les ailes déployées,
bien plus libre que mes aïeux, jadis,
sur les portes, crucifiés.
Les pieds nus dans les braises,
la tête dans la Lune,
je brasse la poussière
comme la mer brasse l'écume.
D’avant en arrière,
le corps balancé,
dans l’hypnotique désert d’un horizon embrasé.
Je suis homme, je suis corbeau,
tout comme un loup peut être agneau.
Je cherche ton âme égarée
dans les paradis fantasmés
dont je sais le mensonge, l’inexactitude.
Du royaume des songes,
je connais toutes les latitudes…
Et le vil serpent qui se glisse entre tes draps,
de son cynisme sifflotant
et de son souffle sournois,
tout autour de ta gorge, bientôt, il s’enroulera,
te privant par son étreinte
du peu qui préserve du trépas.
Ne craint rien ma douce colombe,
j’accrocherai la toile
au-dessus de ce monde,
au-dessous des étoiles
de l’araignée qui, au matin,
lorsque Tsohanoaï se lève,
consume le malsain
dans les perles de l’attrape-rêves.
Moi l’oiseau de nuit,
je veille dans ton sommeil,
quand ton corps s'endort
dans ce monde sans soleil.
Qu’il est vaste, labyrinthique,
le royaume nocturne.
Décor fantasmatique
d’amour perdu sous d’anciennes lunes.
Qui est donc ce chamane,
ce sorcier du malheur,
qui déposséda de sa flamme,
la bougie de mon cœur ?
Qui te garde prisonnière
de son étreinte reptilienne ?
Il peut bien dévorer ta chair,
mais tes pensées demeureront miennes.
Assis en tailleur, dans la fumée odorante
s’élevant, vers les hauteurs,
de poudres incandescentes,
je m’envole chaque nuit,
délesté du poids du corps,
sombre corbeau je suis,
du crépuscule à l'aurore.
Dans ton ciel sans nuage, par-dessus ton désert,
j’apprivoise les mirages
de ton monde éphémère.
Je chasse le venin, qui t’empoisonne les veines,
du serpent assassin qui vient coloniser ta plaine.
Reliées à tout jamais,
toute une vie sur l’épiderme,
nos deux ailes tatouées
de ces motifs qui nous ramènent,
L’un à l'autre toujours,
jusqu'à ce que le réel se lève
et que ton nouvel amour
te fasse oublier l’attrape-rêves.
Alors, comme tout bon charognard,
j'attends tranquillement l’heure
où ses crocs, tels des poignards,
te transperceront le cœur,
te laissant agonisante, malheureuse éperdue,
entre les bras d’une mort lente
que le désert n'apaisera plus.
En attendant, Lune après Lune,
je fais ma révolution,
occupant ton ciel nocturne
et tes pensées à l'occasion.
Je préserve ce qui reste
de l’incendie d’autrefois ;
une petite flamme dansante
sur les braises de toi et moi.
Je suis un corbeau,
illusion au sombre plumage,
d’un passé qui se refuse
de faire partie d’un autre âge.
D'être oublié
comme tout ce qui finit en fond de mémoire.
Comme ces gens tant aimés,
qui ne sont plus qu’anciennes histoires.
Que celui qui me remplace
ne cesse de scruter le ciel
car chaque oiseau qui croasse
peut être un souvenir potentiel.
Une ombre furtive,
un léger bruissement d’aile,
une pensée qui dérive
et la colombe se fait la belle.
Le grand amour ne meurt jamais,
il se tait simplement.
Il se fait plus discret,
reste dans l’ombre d’un serpent.
Mais dans le désert des paupières closes, parfois il se relève,
prend son envol
puis se repose
dans les plumes de l’attrape-rêves."