

CHAPITRE 3
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CHAPITRE 3
C’était un début de samedi après-midi ordinaire.
Dans l’obscurité feutrée de sa chambre, Arthur de Trécamelot révisait ses mathématiques. Non qu’il méprisât la discipline ou la rigueur. Bien au contraire. Ces deux notions l’avaient toujours ancré, piliers solides dans un monde trop changeant. Ce qui l’ennuyait, c’était cette modernité des mathématiques, ce détachement du réel. L’algèbre l’indifférait, les suites l’agaçaient, et les dérivées lui donnaient l’impression d’une mécanique sans âme. Même les matrices, avec leur organisation impeccable, lui semblaient dépourvues d’élégance. Quant aux probabilités, elles n’étaient à ses yeux qu’un affront : le chaos déguisé en science.
Il s’accrochait pourtant, obstiné, tel un exilé répétant une langue étrangère dans l’espoir qu’un jour, elle lui dévoile sa logique.
Il fronça les sourcils devant une équation récalcitrante lorsqu’un trait de lumière filtra sous le rideau. L’agression fut immédiate. Un grognement lui échappa. Il se leva pour tirer le tissu plus fermement, puis s’arrêta devant la fenêtre.
Le château de Trécesson se dressait de l’autre côté des vitres. Massif. Immobile. Les pierres sombres, les toitures d’ardoise, les douves parfaitement calmes. Tout baignait dans une lueur figée que l’étang renvoyait, miroir sans âge. Un décor immobile, à son image.
Des silhouettes s’étaient arrêtées au-delà des grilles. Touristes. Leurs voix étouffées portaient des éclats d’excitation. Ils prenaient des photos, pointaient les tourelles, cherchaient l’angle parfait pour capturer le reflet du château. Leur fascination l’amusait autant qu’elle l’irritait. Toujours les mêmes histoires, chuchotées avec ce frisson de façade : la Dame blanche, les noces tragiques, les fantômes. Des légendes pour trembler sans danger. Ils ne comprendraient jamais.
Il détourna le regard, le laissa glisser vers la lisière de la forêt. Silencieuse. Trop calme. Plus loin, il devinait les toits de Paimpont sous le soleil.
Il referma le rideau d’un geste las et retourna à son bureau. Il tenta de se replonger dans son manuel, sans succès. L’automne s’invitait partout : les feuillages dorés, les reflets changeants sur l’étang, le ciel mouvant. Et ce soleil... trop présent.
Mais ce n’était pas la lumière.
Depuis la veille, quelque chose vibrait. Une présence, sauvage et tranquille, qu’il n’arrivait pas à saisir.
Il secoua la tête, s’enfonça dans son fauteuil, rouvrit son manuel. Les chiffres flottaient, dansaient, s’éparpillaient. Impossible de les rattraper.
On frappa.
— Entrez.
Will entra, silencieux, gestes précis.
— Jeune maître, le thé est servi.
Arthur hocha à peine la tête. Il avait encore perdu la notion du temps.
Le majordome posa la tasse sur le guéridon, minutieux jusque dans l’angle parfait de la soucoupe.
— Que puis-je vous proposer aujourd’hui ?
— Qu’avez-vous ?
— O positif, A positif... et du B positif de la semaine dernière.
— Rien d’exceptionnel, souffla Arthur. Du B positif, alors.
— Bien, jeune maître.
Le silence s’installa, ponctué du cliquetis discret de la cuillère.
— Will ?
— Oui, jeune maître ?
— Cessez donc de m’appeler ainsi. J’ai trois cent quarante-quatre ans de plus que vous.
Une pause. À peine perceptible.
— C’est un ordre de vos mères, répondit-il sans se retourner. Elles ne souhaitent pas que je vous nomme autrement.
Arthur pinça les lèvres. Ce mot lui écorchait les nerfs.
— Ce ne sont pas mes mères. Ce sont des tutrices. Des gardiennes. Des parasites. Peu importe.
Le majordome ne répondit pas. Sa main poursuivait ses gestes mesurés, invariables.
Le liquide vira au rubis quand les paillettes rouges s’y mêlèrent. Arthur observa la surface sombre, puis leva les yeux vers le miroir. Son reflet, net. Une anomalie. Aucun autre vampire qu’il ne connaisse n’en était capable. Un privilège, peut-être. Ou une malédiction. Cela rendait la comédie plus simple. Celle du garçon de dix-huit ans, adolescent parmi d’autres.
— Un jour, il faudra qu’on m’explique... murmura-t-il en portant la tasse à ses lèvres.
Will s’inclinait déjà vers la sortie quand il ajouta :
— Dame Elizabeth souhaite que vous l’accompagniez cet après-midi. Et c’est un ordre.
Arthur leva les yeux au ciel.
— Je n’ai aucune envie de la suivre.
— Elle s’y attendait. Elle m’a chargé de vous dire qu’elle viendrait vous chercher « par la peau des fesses » si nécessaire.
Un éclat de rire, vite étouffé par une grimace.
— Charmant. Digne d’elle.
Elizabeth. Autoritaire. Intransigeante. Et pourtant... elle n’était pas celle que les histoires déformaient. Pas cette comtesse folle, avide de sang et de vierges. Juste une survivante. Une femme brisée par les hommes d’abord, puis par les siècles ensuite, reconstruite dans le silence et le temps, avec les crocs pour seule armure.
Arthur se leva, étira ses longues jambes, puis jeta un regard par la fenêtre. Le reflet du château flottait encore sur l’étang. Les touristes, eux, étaient toujours là, fascinés par les pierres.
La forêt, elle, demeurait muette.
— Très bien, Will. Dites-lui que je serai prêt dans une heure.
— Bien, jeune maître.
Une heure plus tard, Arthur descendait l’escalier en bois du château. Chaque marche gémissait sous ses pas, plainte discrète du XVIIᵉ siècle. En bas, Elizabeth attendait.
Toujours théâtrale.
Robe noire de velours, capeline abaissée sur le visage, veste courte en fourrure blanche. Du véritable renard arctique, chassé « au nord de la Norvège, par une nuit sans lune », selon ses propres mots.
— Arthur. Toujours aussi ponctuel. Une qualité rare chez les jeunes gens de ton âge... ou de ton siècle.
Il lui offrit un sourire froid.
— Et toi, toujours aussi cruelle. Tu n’as pas peur de croiser un militant écologiste, habillée ainsi ? Tu finiras sur un article. Les jeunes, aujourd’hui, sont des écolos enragés.
— Quelle insolence. Tu ressembles à Carmilla, à force de partager son toit, répliqua-t-elle sans hausser le ton.
— Elle est ta compagne. Difficile de l’éviter. D’ailleurs, elle ne vient pas ? demanda-t-il, sans détourner le regard, tandis que Will ajustait sur ses épaules une longue veste noire à capuche.
— Elle est à son bureau. Quelques papiers à régler avec le nouveau garde forestier de Brocéliande.
— Avec un peu de chance, celui qu’elle a choisi ne s’enfuira pas au bout d’un mois.
Elizabeth suspendit son geste. Un rictus lui effleura les lèvres.
— Cesse de parler d’elle ainsi. Je te rappelle qu’elle est aussi ta mère, officiellement.
Le mot le heurta. Encore. Toujours le même. Il sentit ses doigts se crisper sur le tissu de sa veste. Sa voix s’abaissa, tranchante.
— Je ne la dénigre pas.
— Elle n’a pas pu contrer la bureaucratie pour le premier, mais celui-ci tiendra. C’est ce qu’elle m’a dit. Et puis, Brocéliande n’est pas une forêt ordinaire. Tu le sais mieux que quiconque.
Elizabeth sortit un tube de rouge à lèvres, traça une ligne carmin, pinça la bouche, rangea le tout dans un petit sac de cuir. Gants noirs. Parfum dense. Démarche assurée. Elle s’avança vers la porte.
— Allons-y.
Will ouvrit les battants. Arthur la suivit, sans empressement.
La lumière du jour l’agressa aussitôt. Il rabattit sa capuche et pressa le pas jusqu’à la voiture. Une Bentley noire, reflets dorés sous le ciel d’octobre. Typique d’Elizabeth.
Elle prit place côté conducteur. À peine la portière claquée, que le moteur rugit. Il serra la mâchoire.
— Pourquoi cette mine, Arthur. Nous allons simplement faire un petit tour... au cœur de Paimpont. J’ai quelques affaires à régler.
Les hauts portails rouges s’ouvrirent lentement, dévoilant l’allée bordée d’arbres. La lumière dorée glissait sur le bitume humide, les pneus crissaient sur le gravier.
Sur le chemin longeant les grilles, des touristes levèrent les yeux, happés par le grondement du moteur. Certains restèrent figés, l’appareil photo suspendu. D’autres échangèrent un regard incertain.
La Bentley avançait, noire et or, coupant la pâleur de l’allée. Capuche rabattue, Arthur fixait la route, les traits fermés. À ses côtés, Elizabeth souriait, satisfaite de leur effet.
Les visiteurs s’écartèrent, les regards rivés sur la voiture qui s’éloignait. Une voix s’éleva, presque noyée par le bruit du moteur :
— C’est qui, ces gens-là ?
— Des nobles ?
— Pour se payer une Bentley, ça, c’est sûr.
Arthur ne réagit pas. C’était son quotidien : des regards, des murmures, et le silence en réponse.
La Bentley filait sur la route, avalant les kilomètres sans effort. Elizabeth tenait le volant d’une main sûre, chaque virage négocié au millimètre. Arthur, habitué à cette vitesse contenue, fixait le paysage qui défilait, l’air absent.
— Pourquoi t’obstines-tu à porter cette capuche ? demanda Elizabeth sans quitter la route des yeux. Tu sais très bien que nous n’avons plus rien à craindre du soleil, grâce à notre « médecin ».
— Je pourrais te retourner la question, répondit Arthur. Avec ton immense chapeau.
— Ceci est une question de style, rétorqua-t-elle. Pas un vulgaire para-soleil. Les gens attendent de moi que je sois toujours impeccable. En avance sur la mode. D’ici peu, tout le monde portera des capelines. Moins belles que la mienne, évidemment.
Un sourire carnassier effleura ses lèvres. Arthur détourna le regard et tira un peu plus sur sa capuche.
— Eh bien moi, c’est une question de furtivité. Je n’ai pas envie qu’on me reconnaisse.
Ils atteignirent rapidement le centre historique de Paimpont. Les vieilles pierres brillaient sous la lumière pâle. Les façades, usées par le temps, gardaient ce mélange de gravité et de charme discret. Elizabeth gara la Bentley devant un bâtiment aux murs rouge sombre, une ancienne banque discrète, solide, avec un logo effacé par les années : Banque Sociétale Bretonne.
— Je ne serai pas longue, dit-elle en retirant ses gants. Ne fais pas de bêtises.
— Pourquoi m’avoir traîné ici ? gronda Arthur, bras croisés.
— Parce que, comme tous les adolescents de ton âge, tu restes enfermé. Tu veux jouer à l’humain ? Sors. Va marcher, prends l’air. Ce sont les vacances de la Toussaint, Arthur. Ressasser ne t’apportera rien.
— Et te regarder aller à la banque, c’est censé m’épanouir ?
— Tu pourrais au moins profiter de la douceur de l’automne. Va voir ta fontaine préférée. C’est raisonnable, non ?
— Vivement l’hiver, marmonna-t-il.
Elizabeth abaissa le pare-soleil, ses lunettes glissées sur le nez. Arthur suivit machinalement son geste, le regard happé par le miroir. Vide. Pas d’ombre, pas de contour. Seulement la trace de ses lèvres, teintées d’un rouge bourgeois.
Elle esquissa un sourire satisfait et claqua la portière sans un mot.
Arthur resta une seconde immobile, le regard accroché au miroir. Puis il s’en détourna, rabaissa sa capuche et ouvrit la portière.
Enfin seul.
Il prit le temps de balayer le centre d’un regard. Sous le soleil pâle, tout vibrait : des familles en promenade, des touristes, des groupes d’adolescents éclatant de rires. Des odeurs de crêpes et de beurre salé flottaient dans l’air, mêlées au claquement sec des pas sur les pavés. Arthur captait tout. Capuche rabattue, il remonta le trottoir d’une lenteur calculée.
Il reconnut quelques visages du lycée. Il n’avait aucune envie d’échanger un mot. Certaines filles l’avaient surnommé le prince éternel. Il laissait dire. Mais dehors, il refusait ce rôle. Pas de sourire, pas de mise en scène. Pas d’interaction.
Il se cala contre le dossier d’un banc, tête basse, espérant que l’ombre de sa capuche suffirait à le rendre invisible. Ses paupières se fermèrent un instant, pour éteindre le brouhaha. Mais des éclats de voix lui parvinrent. Trop clairs. Trop insistants.
Il entrouvrit les yeux. Plus loin, un groupe de filles, qu’il reconnaissait vaguement du lycée, chuchotait, se penchait, riait. Leurs regards convergeaient vers la place, près de l’abbaye.
Arthur suivit leur ligne de mire.
La fontaine.
Il connaissait chaque fissure de la statue, chaque éclat de lumière accroché à ses traits figés. Il venait ici quand il voulait disparaître, quand le silence du château ne suffisait plus. Cet endroit était le sien. Ou il aimait le croire.
Et là, un inconnu. Immobile, face à la Dame du Lac. Le regard rivé à l’eau qui ruisselait sur la pierre. Ses cheveux sombres, attachés en hauteur, accrochaient par instants la lumière pâle. La statue, patinée par les années, restait impassible, auréolée de fougères et de lierre. Le bassin circulaire reflétait des éclats de ciel instable, brume et lumière mêlées. Autour, l’air se resserrait, lourd de quelque chose qu’il ne parvenait pas à nommer.
Arthur se redressa sur le banc, juste assez pour mieux voir. Une intensité dense émanait de ce garçon. Tranquille. Animale. En décalage total avec le rythme du village. Un jogging. Des baskets. Rien qui aurait dû retenir son regard. Et pourtant, ses yeux restaient accrochés. Les cheveux tirés en chignon dégageaient des côtés rasés de près. Une coupe qu’il aurait dû mépriser. Ce type était aux antipodes de ce qu'il était. Pourtant, sans réfléchir, il se leva. Les mains enfoncées dans les poches, capuche abaissée, il traversa la place.
L’air changea dès qu’il s’approcha.
Une odeur. Fauve. Sauvage. Des braises sous la cendre, le bois humide après l’orage, l’acidité des sous-bois. Rien d’humain. Une invitation et une menace, entremêlées.
— On l’appelle la Dame du Lac, souffla-t-il, surpris par le son de sa propre voix.
Le garçon tourna la tête, brusquement, scrutant l’ombre de la capuche.
— Salut ? répondit-il, curieux, sans une once d’hostilité.
Arthur détourna le regard. Un froid glissa le long de sa nuque. Ce garçon dégageait une force contenue, prête à jaillir, et une présence qui pliait l’espace autour de lui. Il le dépassait largement. Silhouette massive sans lourdeur. Un corps taillé pour la vitesse et la puissance. La fuite et le combat.
Ses épaules se crispèrent. Il n’avait aucune raison d’avoir peur. Surtout pas lui, un vampire. Et pourtant...
— La fontaine, reprit-il, la voix maîtrisée. On l’appelle la Dame du Lac. Tu avais l’air de l’observer avec attention.
— Ah. Ouais. C’est vrai, répondit le garçon, son regard se fixant de nouveau sur la statue.
— On dit que certaines nuits, la lune se loge entre ses mains. Que c’est… magique.
Il s’attendait à un rictus, une pointe d’ironie.
— Je n’en doute pas, répondit l’autre sans hésitation. La lune brille pour ceux qui l’invoquent. Elle ne ment pas.
Arthur se figea. Aucun adolescent ne parlait de la lune ainsi. Il força ses yeux à détailler son visage. Mâchoire carrée. Pommettes hautes. Sourcils sombres. Une ombre de barbe soulignait ses joues, l’une marquée par une cicatrice fine qui n’enlevait rien à cette beauté brute. Puis ses yeux. D’un bleu gris profond, traversé d’éclats fauves. Intenses. Brûlants.
Il sentit ce regard l’accrocher, traquer son visage dans l’ombre de la capuche.
Un frisson lui parcourut l’échine.
Pourquoi ? Pourquoi tient-il tant à voir mes yeux ? Pourquoi sa voix, sa présence, me heurtent-elles autant ?
Il tourna les yeux vers la statue, cherchant de l’air, et lâcha, sans réfléchir :
— Tu n’es pas d’ici.
— Toi si, répondit l’autre, calme, sûr de lui.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Un sourire discret, acéré.
— Ta façon d’être. Tu connais les lieux. Et tu marches en propriétaire. Même elle, ajouta-t-il en désignant la fontaine.
Arthur arqua un sourcil sous la capuche. Il avait pourtant tout fait pour rester anonyme.
— Je m’appelle Esteban, dit-il simplement.
Arthur ne répondit pas. Un prénom, c’était déjà trop. Pourtant, le son résonna en lui.
Esteban.
Il n’avait jamais ressenti ça pour un humain. Une pulsation étrange, incontrôlable, qui bourdonnait dans ses veines.
Esteban n’insista pas. Son attention glissa de nouveau vers la statue.
— C’est la première fois que je la vois. On dirait qu’elle nous écoute.
Arthur suivit la ligne de son regard. L’eau s’écoulait des mèches de pierre jusqu’au bassin, des larmes figées.
— On raconte qu’elle exauce les vœux, murmura-t-il.
Esteban tourna légèrement la tête.
— Tu as déjà essayé ?
— Non.
Le silence s’installa, dense. Les bruits du village semblaient très loin, étouffés.
Puis des éclats de rire tranchèrent l’air. Trop clairs. Trop proches.
Arthur grimaça, un soupir d’agacement lui échappant. Le groupe de filles approchait. Leurs regards glissaient de lui à Esteban, fascinés. L’une d’elles, l’extravertie, lança d’une voix claire :
— Salut, moi c’est Clara. Et toi ?
— Esteban, répondit-il sans détourner la tête.
Arthur recula d’un pas, devinant ce qui allait suivre, mais trop tard.
— Attends, dit l’une d'elles, les yeux écarquillés. Je te reconnais. Tu es Arthur, non ? Tu es dans notre lycée ! c'est le prince éternel !
Des rires nerveux fusèrent.
— Oh mon Dieu, c’est lui ! On a deux beaux gosses pour le prix d’un !
Arthur sentit l’agacement monter. Le poids des regards lui pesait. Il s’apprêtait à tourner les talons quand une voix claqua, nette.
— Qu’est-ce que vous faites ?
Une silhouette fendit le groupe. Cheveux sombres, attachés en tresse, regard acéré. La même intensité que celui qui se tenait à ses côtés. Sa sœur, sans aucun doute.
Arthur profita de la diversion pour s’éclipser.
Il rejoignit la Bentley, se glissa dans son ombre, à l’abri. De là, il observa.
Le groupe se dispersa. Les deux adolescents rejoignirent un vieux van bariolé garé un peu plus loin. Un homme grand, large d’épaules, imposant, les attendait. La colère de la sœur s’effaça à son approche. L’homme, la cinquantaine, portait les mêmes traits qu’Esteban, la même ossature. Le père, sans doute.
Esteban tourna la tête. Un geste vif. Son regard balaya les alentours, tranchant.
Un frisson glacé remonta la nuque d’Arthur. Il se tassa dans l’ombre de la Bentley, retenant un souffle inutile. Convaincu que ce garçon le cherchait.
Le van démarra enfin, passa devant la Bentley et disparut au coin de la rue.
Arthur se redressa, lissa le revers sombre de sa veste.
Il allait entrer dans la voiture quand une voix claqua, glaciale.
— Qu’est-ce que tu fabriques ?
Il se retourna lentement. Elizabeth. Lunettes noires. Visage fermé.
— Rien de spécial, dit-il, neutre.
— Je t’ai vu. Tu te cachais... d’un humain. Tu trouves ça digne d’un vampire ?
Arthur se raidit. Les mots lui brûlaient les lèvres, mais il les ravala. Elle dégageait une tension qui appelait le silence.
Sans un mot, elle remit ses gants, contourna la voiture et prit le volant.
Ils quittèrent Paimpont dans un silence épais. Le moteur ronronnait, docile. Arthur, les yeux rivés au rétroviseur, suivit longtemps le vide laissé par le van bariolé.

