Perdre une fois de plus
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Perdre une fois de plus
Deuxième partie : Mélodie vagabonde (27)
Derniers concerts
En 1994, à l'occasion de la réédition en CD de La Vie est un miracle, l'unique album de Carrousel, Marco Polot organise deux concerts exceptionnels au Palaxa et au théâtre de Saint-Gilles. Le groupe se reforme en partie : Loy Ehrlich aux claviers et au hajouj, François Mariapin à la basse, Teddy Baptiste à la guitare, Jean-Denis Marguerite à la batterie et Joël Gonthier aux congas. Alain Péters, qui n'avait pourtant pas participé à l'album, est lui aussi convié, comme un invité d'honneur. C'est également un moyen de lui remettre le pied à l'étrier. Il va mieux. Il a enfin arrêté de boire et se fait soigner au CHS de Saint-Paul. C'est une fois de plus Loy Ehrlich qui raconte :
Nous nous sommes revus en novembre pour les retrouvailles du groupe Carrousel. Alain, après des années de galère, avait finalement réussi à se désintoxiquer. Je le trouvais affaibli physiquement mais prêt à remonter sur une scène. Ce fut chose faite et bienheureux ceux qui se trouvaient au Palaxa ou au théâtre de Saint-Gilles ces soirs-là. Il pestait contre sa mémoire qui lui jouait des mauvais tours mais nous avions décidé de retravailler ensemble pour sortir un album. Ses nouvelles chansons étaient prêtes et nous avions prévu de commencer les enregistrements en août 1995 (livret Parabolèr).
Ce sont les toutes dernières images que nous ayons. Elles sont très belles, terribles aussi. Ce sont les images d'un homme condamné mais qui ne le sait pas, un homme qui a décidé une fois de plus, avec un grand courage et une persévérance folle, de reprendre sa vie en main, un homme qui a remis son destin dans le bon sens, qui va se battre pour maintenir le cap, et qui va perdre une fois de plus car il est trop tard. C'est joyeux et très triste, doux-amer.
Métamorphose
Physiquement, Alain Péters a bien changé. L'alcool a fait de gros dégâts au cours des dernières années et cela se connaît. Il semble un peu ailleurs parfois, comme égaré, il lutte pour retrouver les mots qu'il a chantés tant et tant de fois, qu'il a écrits, qui l'ont accompagné durant tout ce temps et font partie de lui. Tout se mélange. Il semble seul sur scène, debout, les mains libres. Il ne joue pas. Il chante. Les autres musiciens sont dans le noir mais ils ont répondu présent à l'appel de Marco Polot. Une fois de plus ils sont venus au secours de leur ami après longtemps de silence. Parfois l'un d'eux s'avance dans la lumière et vient le prendre dans ses bras. Il peste contre sa mémoire embrouillée, peut-être, mais continue à chanter vaille que vaille. Il habite la scène, le monde. Le public est venu en nombre pour assister à cette résurrection, ce public qui n'a jamais cessé d'aimer Alain Péters et de l'encourager dans les bons comme dans les mauvais moments, fidèle, qui continue et continuera à porter ses chansons.
Si on regarde ces images pour ce qu'elles sont, en oubliant ce qui va se passer ensuite, on voit qu'Alain Péters est chancelant. Il a du mal mais accepte volontiers de jouer son rôle. Il y prend même du plaisir. Il a remis sa panoplie de chanteur, arborant une chemisette colorée. Il est seulement un peu plus âgé, plus ancré dans le sol, terrien, moins mobile, moins échevelé mais le cœur est là, prêt à tout dévorer. Mais si on les regarde à la lumière de ce qui va se passer dans quelques mois, on voit un condamné qui traverse le dernier couloir en sifflotant. Et cela fait froid dans le dos.
On ne peut pas dire qu'il se fasse faucher en pleine jeunesse, mais il était loin d'avoir fait le tour des possibilités que lui offrait la vie. Il avait de nouveaux projets, d'autres chansons dans ses cahiers. C'est ce presque qui est le plus tragique. Il a presque échoué, et il a presque réussi. Il a sans doute gâché beaucoup, mais il ne pouvait pas en être autrement.
Moi je veux mourir sur scène
Quelques mois après ces deux derniers concerts, il est frappé par une crise cardiaque, celle de trop, celle que son corps ne pourra pas encaisser. Cette fois-ci pas de rémission possible, pas de convalescence. Cette fois-ci plus de mal que de peur, infiniment de mal. Il meurt le 12 juillet 1995, un soir de pleine lune. Fin de l'histoire. En tout cas fin de l'histoire biographique. Nous avons encore d'autres choses à voir avec monsieur Alain Péters et avec sa musique. Gardons-le encore un moment près de nous. Laissons-le vivre encore un peu.
Merci à Eric Ausseil, qui continue avec moi.