Romance pour un zézère
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Romance pour un zézère
Deuxième partie : Mélodie vagabonde (11)
Romance pour un zézère
à écouter ici.
"La brize la pousse à moin dedan' ce raidillon
Oh ! Comme mi vavanguait v'là pas porte attention
D' moin p'ti feuille encore vert, l'heure moin la serv' tapis
La langue in' ti l'odeur quand out' pieds té dessus
Refrain
Ah ! Si l'était pas ou
Qui l'odeur moin n'aurait ?
Ah ! Si l'était pas ou, jeune fille
Qui chanter mi pourrait ?
Aster moin la secquée, ou la pas oublié
Té jolie la forêt, ou la r'vni batt' carré
Ou la pas entendu, moin la craque p'tit doucement
L'heure ou la marche d'sus moin, moin la chant' p'tit doucement
Refrain
Comme le temps la passé m' la fait doux ec' la terre
Pour iembout serve fumier pou fait pousser in' p'tit fleur
H'reusement ou l'ar'tourné li n'aurait fane tout' seul
Mais l' pétales la frôlé out' nez jolie mond'zelle
Refrain"
Alain Péters s'imagine à la place d'une petite feuille poussée par le vent dans la pente et qui va terminer sa course par terre. Cette chanson, il l'a écrite en pensant à son amoureuse, son zézère, la mère de sa fille. Contrairement à ses nouvelles habitudes, il n'est pas seul ici à jouer de tous les instruments. Zoun est à la flûte. Il est l'un des seuls musiciens à ne pas l'avoir complètement lâché à ce moment-là. On trouve également un enregistrement vidéo de cette chanson où Alain Péters est seul à la guitare. Il siffle pour imiter la flûte de Zoun, qui elle-même imitait le souffle du vent. La scène a lieu en 1991 à Saint-Gilles-les-Hauts, où il est en convalescence, comme revenu sur ses pas à l'endroit exact où la seconde partie de son existence a commencée.
La chanson est une petite romance sans prétention, faussement naïve car elle renferme aussi son lot de mystère. Comme dans une fable, la petite feuille est humanisée, c'est elle qui parle à la première personne du singulier :
« La brize la pousse à moin dedan' ce raidillon
Oh ! Comme mi vavanguait v'là pas porte attention
La brise me pousse dans ce raidillon
Oh ! Comme je me baladais je n'ai pas fait attention
Cet artifice pare la feuille de sa propre personnalité. Le langage lui confère aussitôt la faculté d'éprouver des sentiments. Le pied d'une jeune fille vient se poser sur la feuille tombée au sol et en révèle le parfum, ce parfum de feuillage frais que l'on sent en froissant une feuille tendre entre ses doigts.
Dans le refrain, à la voix de la feuille qui affirme que si la fille n'était pas là, elle serait inodore :
« Ah ! Si l'était pas ou
Qui l'odeur moin n'aurait ?
Ah ! Si tu n'existais pas
Que pourrais-je bien sentir ?
se superpose la voix du chanteur qui affirme que si la fille n'était pas là, il n'aurait rien à chanter :
« Ah ! Si l'était pas ou, jeune fille
Qui chanter mi pourrait ? »
Ah ! Si tu n'existais pas
Qu'est-ce que je pourrais bien chanter ?
À première vue cela paraît assez simple : son amoureuse est son premier public, elle est à la fois muse et spectatrice. C'est la première raison au monde que l'on a de chanter : la parade amoureuse, le roucoulement des oiseaux. C'est en réalité un peu plus subtil que ça : le chant comme l'odeur naissent d'une interaction, d'une rencontre entre la fille et le chanteur. L'odeur n'émane pas de la feuille, elle en est prisonnière. Il faut que le pied la foule pour en exhaler le parfum. La muse révèle ce qu'il y a de bon dans le poète. Il faut la destruction de l'enveloppe pour laisser apparaître la beauté du chant. Est-ce pour cette raison que le chanteur s'esquinte autant ? Meurtrit son corps ? Veut-il démolir sa carcasse pour que toute la musique en sorte et se déverse d'un seul coup sur le monde ? C'est une possibilité.
Au second couplet cela se précise encore : la feuille autrefois encore verte a maintenant séché et quand la fille lui marche dessus, aucune odeur ne s'en extrait mais on entend un petit craquement, de la musique. Feuille et chanteur ne font désormais plus qu'un :
« Aster moin la secquée, ou la pas oublié
Té jolie la forêt, ou la r'vni batt' carré
Ou la pas entendu, moin la craque p'tit doucement
L'heure ou la marche d'sus moin, moin la chant' p'tit doucement »
Aujourd'hui j'ai séché, tu n'as pas oublié
Combien était jolie la forêt à l'heure de s'en aller
Tu n'as pas entendu, j'ai craqué doucement
Quand tu m'as marché dessus, j'ai chanté doucement
« Battre carré » signifie aller se balader, battre la campagne. Dans le premier couplet, on trouvait déjà le verbe « vavanguer », qui lui aussi veut dire errer ou vagabonder, autant de mots et d'expressions chers au cœur d'Alain Péters, qui ne tient jamais trop en place. La feuille et le chanteur sont réunis, ils craquent et chantent sur le même ton, leur gorge se noue. Ils se souviennent à quel point la forêt était belle avant, et veulent le rappeler à la mémoire de la jeune fille à présent que tout se désole. Voici venir l'automne, tout jaunit et se dégarnit. Tout fout le camp. C'est la fin de la jeunesse, la fin de l'insouciance, la forêt se dénude et les feuilles tombent par millions. Alain Péters ne s'intéresse qu'à une seule, aussi fragile que lui. Ensemble ils retournent au refrain :
« Ah ! Si l'était pas ou
Qui l'odeur moin n'aurait ?
Ah ! Si l'était pas ou, jeune fille
Qui chanter mi pourrait ? »
Dans le dernier couplet tout disparaît. Le chanteur est parti, c'est la petite feuille qui reprend seule la parole. Elle se mélange à la terre, retourne à la poussière, devient engrais qui permet à une petite fleur de pousser à son tour. La jeune fille est de nouveau mise à contribution :
« H'reusement ou l'ar'tourné li n'aurait fane tout' seul »
Heureusement que tu as retourné la terre sinon la fleur aurait fané toute seule
C'est elle qui doit découvrir la fleur en soulevant la terre, elle qui doit sauver la beauté et la révéler en quelque sorte. Elle a toujours ce même rôle de muse à jouer. Elle en retire quelque chose en échange cependant, un parfum, comme au début de la chanson :
« Mais l' pétales la frôlé out' nez jolie mond'zelle »
Mais les pétales ont frôlé votre nez, jolie mademoiselle
Elle récolte comme une dernière caresse. La feuille et le chanteur ne sont plus, mais ils ont fait surgir une fleur. On imagine que la jeune fille sourit.
C'est une chanson dense et profonde. Elle est à l'image du talent d'Alain Péters, qui parvient à retranscrire cette beauté fugace et à en préserver la magie. Il sait évoquer plutôt qu'asséner. Il fait avec peu de moyens. Ses mots recèlent une langueur monotone qui se tiennent très loin de l'urgence et du clinquant. Ils sont tout en retenue, sans tambour, ni trompette, mais justement ornés d'un petit air de flûte. Il est le poète des petites choses précises et précieuses.
Romance pour un zézère paraîtra pour la première fois en 1985, soit plus de quatre ans après le départ de Patricia, et il continuera de la chanter jusqu'en 1991 au moins, ce qui montre une grande fidélité et une constance à toute épreuve, sinon dans les faits, en tout cas dans les sentiments.