introduction part. 3
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introduction part. 3
Les mots s'envolent
Sa mort marque la fin de l'histoire et le début de la légende. C'est comme si l'œuvre se libérait de son cocon pour se lancer à l'assaut du monde. Lui qui n'avait jamais pu se résigner à quitter son île natale autrement que contraint, sa musique s'en échappe tranquillement. Elle s'envole. Une force douce, pareille à celle des marées, lui permet de s'imposer sur la durée dans le cœur d'un large public. Pour en arriver là, Alain Péters n'a pourtant renoncé à aucun de ses idéaux. Il n'a fait aucune concession. Il a simplement tracé sa voie, parfois dans l'évidence, parfois dans le désordre, mais toujours habité de la même inspiration obstinée.
Concert d'adieu
Quelques mois auparavant, il était de retour sur scène pour deux concerts exceptionnels marquant les retrouvailles des musiciens de Carrousel, son dernier groupe, après de longues années d'absence. Il semblait enfin prêt à remonter la pente qui l'avait conduit peu à peu au trente-sixième dessous et projetait même de retourner en studio pour enregistrer de nouvelles chansons. C'était sans compter sur un cœur fragilisé par les excès. Il meurt à l'âge de 43 ans, un soir de pleine lune.
Dark side of the moon
Son histoire est en demi-teinte, elle est faite autant de belles réussites que de grandes déceptions, de beaucoup de tristesse et de moments de communion avec la musique, ses amis, sa famille, le public. C'est une histoire de lente reconnaissance, l'histoire d'une œuvre passée de nombreuses fois entre les mailles du filet avant d'être sauvée, perpétuée au fil du temps, une œuvre qui a failli disparaître. C'est l'histoire de plusieurs rendez-vous manqués, l'histoire d'un homme entier que les pratiques de certains producteurs ont écœuré, que l'argent n'intéressait pas, pour qui seul l'art comptait, un homme vivant pour la musique plutôt que par la musique, dans le dénuement total. C'est l'histoire d'un homme qui n'a pas voulu jouer le jeu et qui a perdu, qui ne cherchait pas le succès ou la reconnaissance, et qui ne les a pas trouvés. Dans un monde de faiseurs en quête de retombées immédiates, il fait figure de travailleur de l'ombre. C'est l'histoire de ces quelques chansons arrachées à l'oubli, quelques chansons enregistrées par hasard avec des moyens de fortune, presque malgré lui, et que d'autres se sont réappropriées et ont continué à faire vivre après lui. C'est enfin l'histoire d'une résurrection avortée, d'un sauvetage tardif, trop tardif, d'une prise de conscience de la fragilité du corps, d'une nouvelle chance fauchée en plein vol et d'un destin brisé. Alain Péters n'a pas pu se sauver. Il n'a jamais réussi à se défaire d'un alcoolisme maladif, malgré de nombreuses tentatives.
Aujourd'hui encore, on sait très peu de choses sur lui. Il existe bien quelques témoignages, parfois contradictoires ou erronés, ainsi que quelques images d'archives, mais cela ne nous donne pas beaucoup d'informations. Avec le temps, les souvenirs s'estompent ou se modifient. La mémoire défigure le passé. Elle peut grossir les qualités autant qu'atténuer les défauts, et inversement. Il est alors très difficile d'y voir clair dans le tourbillon des émotions.
Le grand roi d'un petit royaume
Comme un grand soleil noir, sa vie est pétrie de contradictions. Les autres musiciens savaient qu'il était à l'avant-garde mais il n'a jamais eu la reconnaissance du public. Tout le monde l'aimait. Il avait quand même l'impression d'être incompris. Il ne voulait s'occuper que de musique. Pour se protéger, il s'est longtemps mis en retrait derrière ses instruments avant de commencer à écrire et chanter ses propres chansons. Après sa mort, son ombre a continué d'habiter La Réunion. Finalement, après plusieurs années de malentendu, il est réhabilité et occupe désormais le rang qu'il mérite, grand roi d'un tout petit royaume.
Les illustrations sont d'Eric Ausseil, merci.