Autant de musiques qu'il y a de mondes
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Autant de musiques qu'il y a de mondes
Troisième partie : rayonnement du maloya (1)
world music
Nous avons longuement parlé d'Alain Péters, de sa vie et de sa musique en essayant de replacer les choses dans un contexte précis, celui de La Réunion des années 70 et 80 et du maloya. Il nous faut à présent élargir ce cadre et nous intéresser à une catégorie musicale tout entière, celle de la musique du monde, afin de comprendre pourquoi le maloya n'est jamais vraiment parvenu à s'imposer à grande échelle, contrairement à d'autres courants créoles.
L'appellation musique du monde recouvre un champ d'exploration très vaste, aux contours mal définis, constitué de genres hétérogènes longtemps confinés de force dans une sorte de ghetto, celui de la musique de sauvages. La musique classique, le jazz et la musique populaire, c'est-à-dire les genres principaux, regroupent eux aussi plusieurs courants très différents : musique sacrée, baroque, de chambre, scat, be-bop, free jazz, rock, funk, disco, mais c'est encore plus compliqué en ce qui concerne la musique du monde qui, en plus de recouvrir des courants très différents doit aussi composer avec des origines géographiques presque infinies. La musique classique vient d'Europe, le jazz est né aux États-Unis. Les choses sont un peu moins précises en ce qui concerne la musique populaire mais le 20ème siècle, avec ses avancées technologiques permettant une très large diffusion, nous a amenés au point où chaque scène locale ou nationale peut influencer le monde entier si elle s'en donne les moyens. Finalement, les goûts du public se nivellent plutôt qu'ils ne se démocratisent et l'on en vient à écouter partout les mêmes sons, la même musique. Sur ce plan-là comme sur bien d'autres, ce sont les cultures anglo-saxonnes qui s'imposent. Cela a au moins le mérite de simplifier et d'uniformiser la réalité rassemblée derrière le concept de musique populaire. Certes il reste des courants très différents, mais ils sont bien définis, que ce soit en termes de rythmes, de messages, d'instruments. C'est donc moins compliqué qu'il n'y paraissait.
autant de musiques qu'il y a de mondes
C'est une tout autre affaire en ce qui concerne la musique du monde car ce n'est pas, contrairement à la musique populaire, la musique de tout le monde, mais la musique spécifique de chaque coin du monde. Dans son essence même, la musique du monde est rattachée à un point précis et il y a autant de musiques qu'il y a de mondes, c'est-à-dire d'endroits où elles sont jouées. Cela en fait beaucoup. On peut toutefois définir deux axes majeurs dans ce gigantesque terrain : les musiques folkloriques et les musiques créoles.
Les musiques folkloriques sont des musiques régionales qui se jouent presque à l'identique depuis des centaines d'années, chacune ayant évolué en parallèle des autres, sans interférences, depuis l'époque où on se déplaçait à pied ou à cheval, et où on se déplaçait peu d'ailleurs, sans autre contact que celui du voisinage immédiat, de proche en proche. Dans cette configuration, impossible de s'imposer à grande échelle. Chaque courant reste attaché à sa terre d'origine et se joue avec ses gammes et ses instruments : musique celtique, arabo-andalouse, yodel, polyphonies corses.
Les musiques créoles sont toutes nées de l'esclavage, à peu près à la même période mais elles ont évolué et ont grandi dans la rencontre, contrairement aux musiques folkloriques. On peut même parler d'une triple rencontre : une culture européenne qui rencontre une culture africaine sur une terre vierge, enfin plus ou moins vierge, mais on ne va pas entrer dans ce débat. Chaque groupe ethnique arrive donc avec sa propre culture, son histoire, de gré ou de force, sur une terre nouvelle. Les esclaves arrivent contraints, les fers aux chevilles. Ils ont été traqués, vendus et jetés dans les cales des bateaux. C'est un fait. En ce qui concerne les colons c'est plus compliqué. Ils n'arrivent pas tous dans les colonies pour les mêmes raisons : certains sont motivés par l'appât du gain, d'autres par l'aventure ou la nouveauté, certains sont exilés de force, chassés pour des raisons politiques, d'autres s'enfuient pour échapper à la justice.
Les esclaves ont été dépouillés de toutes leurs possessions. Ils n'emportent rien avec eux, aucun instrument de musique, seulement des sons, des possessions immatérielles. Les instruments, cela viendra plus tard. Il faudra les reconstruire sur place avec les moyens du bord, c'est le cas de le dire en ce qui concerne le tambour roulèr, le cœur du maloya, celui qui pulse le rythme, fabriqué avec les tonneaux qui se trouvent dans les cales du bateau. Les colons quant à eux sont venus avec quelques possessions : des instruments et des partitions entre autres.
tam-tam
Le cas du tambour est tout à fait représentatif. On le voit souvent comme l'instrument africain par excellence, dont les esclaves jouent à l'insu de leurs maîtres pour se révolter et se libérer mais c'est une idée fausse. S'il est bien africain dans sa conception, il est surtout européen dans son utilisation. C'est un outil dont les maîtres se servent pour rythmer le travail et imposer la cadence. Si les esclaves en jouent, c'est parce que les maîtres le permettent. Que les esclaves se soient réapproprié son usage par la suite est une autre affaire. C'est une force de caractère propre à l'humain que de savoir encaisser les coups avant de renverser l'aliénation. Le tambour n'est donc ni à l'un ni à l'autre, il devient instrument créole par excellence : s'il n'est pas né de la rencontre, la rencontre le fait évoluer. Il est l'instrument des colons quand il impose le rythme de travail, et l'instrument des esclaves quand il accompagne une cérémonie. Ainsi en terre créole, au bout de quelques générations, on finit par ne plus savoir à qui appartient quoi et une nouvelle culture se pérennise, qui n'est plus tout à fait ni africaine, ni européenne.
Interaction
Le lieu joue lui aussi un rôle très important dans cette histoire. Ces nouvelles cultures nées de la rencontre et, il ne faut pas se le cacher, de la confrontation sont localisées en des endroits précis. Chaque zone géographique, chaque coin du monde conditionne une évolution particulière. Sans cela, on aurait abouti à des sociétés similaires dans les Mascareignes, aux Antilles, aux États-Unis et en Amérique du Sud, ce qui n'est pas du tout le cas. À chaque fois, il se crée quelque chose de particulier, d'unique, qui ne peut pas être reproduit. La musique en est la parfaite illustration : calypso, samba, blues, séga, reggae, autant de courants si différents transmis de génération en génération, à l'oreille, tantôt dans la clandestinité et tantôt en pleine lumière, parvenus jusqu'à nous pour en témoigner d'une manière plus vivante que n'importe quel écrit.
Encore un dernier point : selon les territoires à coloniser, les esclaves ne venaient pas de la même partie de l'Afrique. Les colons eux aussi venaient d'horizons divers et des nations différentes. Sur place, on ne trouvait pas la même faune, la même flore ou les mêmes essences de bois qu'ailleurs. On ne pouvait donc pas fabriquer exactement les mêmes instruments, même si certains se ressemblent beaucoup dans leur conception, comme c'est le cas du bobre réunionnais et du berimbau brésilien. On remarque d'ailleurs le similitude phonétique : bobre/berimbau.
Il était bien évidemment impossible de jouer partout la même musique. Trop d'éléments différents entraient en ligne de compte. Si on ajoute le facteur temps, qui agit à une échelle plus vaste que la vie humaine, sur plusieurs siècles, lentement, cela complique encore la donne. Tout cela pour dire qu'au sein de cette sous-catégorie (au sens logique du terme : catégorie, sous-catégorie) de la musique du monde que sont les musiques créoles, il existe des courants très différents. Comment pourrait-il en être autrement ? Et tous n'ont pas rencontré la même audience au cours de leur histoire.
Merci à Eric Ausseil, pour l'interaction, moi les mots, lui les images.