(III,5) : CODIR en enfer
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(III,5) : CODIR en enfer
Scène 5
Le Philosophe, Le Boss, Le Stagiaire
La lumière baisse et se rallume sur le plateau, signe que du temps s’est écoulé. Le Stagiaire a pris ses aises sur son bureau, les pieds croisés dessus. On voit son costume qui découvre ses mollets. La couleur foncée tranche avec des chaussettes à motifs bariolés. Il bâille aux corneilles et se cure les cuticules. Le Philosophe clique mécaniquement, à intervalles réguliers, les yeux perdus dans le vide, dans une attitude qui rappelle le disparu Charles. Le Boss rentre dans le bureau d’un pas trainant, il a enlevé son beau blazer qu’il tient à la main. La cravate rouge est dénouée, elle pend autour de son cou, pitoyablement. Le Stagiaire se redresse d’un coup tandis que le Philosophe suspend son clic et tourne lentement la tête vers le nouvel arrivant.
LE STAGIAIRE
Bonjour.
Le Philosophe n’ose pas saluer le Boss.
LA MACHINE, fourbe
Alors, ce CODIR ?
Le Boss jette un regard noir à la Machine mais ne fait aucun commentaire. Il pose le blazer et la cravate sur le dossier d’une chaise en passant, prend un sourire de façade, semble avoir un coup de fouet, gagne le centre du plateau et prend la parole.
LE BOSS, l’air las
Un temps de reporting s’impose. Venez, c’est l’heure de la réunion descendante !
Les deux salariés restants tournent leur fauteuil et le rapprochent de l’orateur.
Comme vous vous en doutez, la fusion a été annoncée entre notre entreprise et notre partenaire de longue date, la FFMD (Fédération de Facilitation des Mesures de Défiscalisation, pour les nouveaux). La décision a été prise de se rapprocher afin de mutualiser nos compétences ; c’est un mariage de raison, une union stratégique : d’ici cinq ans, nous espérons augmenter les économies de l’entreprise par fraude de 7% et d’ici dix ans doubler les recettes du blanchiment. Vous n’ignorez pas ce qu’une fusion implique ? Je vous la fais courte : imaginez une diva qui vient, s’installe et s’étend sur le sofa après avoir changé toute la déco puis qui, en prime, repart avec le contenu de la salle de bain.
Le Boss laisse quelques secondes aux autres pour digérer l’information. Le Philosophe et Le Stagiaire font la grimace.
Je vous arrête tout de suite : Margaret et moi avons veillé au grain. Les budgets sont clos pour cette année. Nous avons justifié de grandes dépenses que nous pouvons allègrement réduire de 10% chaque année pour passer pour les bons élèves de la boîte. À partir de là, il sera nécessaire de justifier des activités du service. Heureusement pour vous, la FFMD ne fait pas d’aussi beaux Power Point. Le projet Cacatoès est remonté jusqu’à eux : a priori, si vous continuez sur votre lancée, vous pouvez espérer conserver votre place. Il n’est pas exclu que des membres de la FFMD nous rejoignent ou que quelques personnes de la communication interne finissent ici et diluent le noyau dur de ce service mais que voulez-vous... Les aléas de la vie en entreprise. Il est encore trop tôt pour le savoir.
Le Philosophe fait toujours la moue mais n’ajoute rien, apparemment pas rassuré par les dires du Boss. Sentant la défiance chez son collaborateur, Le Boss se sent obligé de se justifier.
Je ne voulais pas vous brusquer davantage, entre le manque de café et la perspective de réorganisation. En tout cas, pas de panique. Le service « Lobbying et magouilles » risque de souffrir bien plus méchamment que nous ! J’ai également une dernière nouvelle à vous annoncer. Maintenant que la pénurie est derrière nous, je peux vous révéler mon départ. Cela fait quelque temps que je recevais d’autres offres, mais j’attendais une perspective sérieuse. J’ai finalement été promu ce matin dans une autre entité à un haut poste à responsabilité. (L’orateur joue sur le pathos) Je tenais à vous manifester ma profonde gratitude. J’ai éprouvé une grande joie durant nos années de coopération fructueuse et j’ai pris énormément de plaisir à travailler avec vous. Je n’oublie évidemment pas les absents. Je leur dois tellement : Charles, bien sûr, qui m’a fait grandir. Il va nous manquer durant son arrêt, je veillerai à lui faire parvenir une jolie corbeille de fruits à l’hôpital. Même si elle n’est pas là pour récolter mes louanges, Astrid a su se rendre irremplaçable, pour une assistante. Je lui souhaite un prompt rétablissement et une réintégration rapide.
Le Philosophe et le Stagiaire applaudissent. Ils viennent faire la bise au Boss qui tire sa révérence. Le Boss lève la main pour marquer un temps de pause. Il revient tout près de la Machine et passe un bras autour d’elle, comme s’il lui tenait l’épaule en signe de camaraderie.
LE BOSS
Je vous laisse en compagnie de mon très cher collègue qui assurera ma relève et pérennisera mon héritage. Il fera naître le meilleur de vous-mêmes et extraira jusqu’à l’insoupçonné. Il a montré, au cours de ces derniers mois, une prédisposition au management. Il a notamment fait preuve de l’obstination et de la fermeté attendues d’un cadre. Je ne doute pas qu’il saura métamorphoser ce service tout en facilitant la conduite au changement.
LA MACHINE, serpentine, appuyant sur la sifflante
Merci.
LE BOSS
Bonne continuation.
LE PHILOSOPHE
Quand nous quittez-nous ?
LE STAGIAIRE, presque excité
Organisons un pot.
LE BOSS
Incessamment sous peu. Le pot ne sera pas nécessaire, merci de votre gentillesse. Mon taxi m’attend déjà en bas de l’immeuble, il faut que je fasse un détour au loft pour empaqueter quelques affaires. Je pars ce soir six semaines en séminaire d’intégration au Venezuela. J’y saluerai de vieux clients.
Le Boss s’apprête à partir, il fait quelques pas vers la sortie.
LE STAGIAIRE
Vous avez besoin d’aide pour vos affaires ?
LE BOSS
Je préfère les laisser derrière moi. Faire table rase.
LE STAGIAIRE, désignant le blazer oublié sur la chaise
Même votre costume ?
LE BOSS, hausse les épaules.
Et pourquoi pas ? Je te donne mon Armani. (Il se tourne vers le Philosophe) À toi, Eric, je t’offre ma plus belle cravate. 100% soie du Vatican. Je l’ai en double.
Le Stagiaire regarde dans tous les sens la veste. Il l’essaye, tourne les épaules et se coule d’aise dans sa nouvelle peau, qui est trop grande. Le Philosophe vient toucher le soyeux de la cravate rouge. Il la passe autour de son propre cou et fait un nœud rapide.
LE BOSS
Elle vous sied à ravir : un vrai petit chef, mais en apparence seulement.
Puis, au moment de passer la porte, au public
J’ai eu pitié : elle lui sera utile quand il sera temps de se pendre avec. Cette diablesse de Machine leur sucera la moelle des os ! Bon vent.
Le Boss se presse d’un pas rapide vers la sortie, talonné par le Philosophe.
LA MACHINE, clignote rouge
Looser.
LE PHILOSOPHE
Attendez, je vous raccompagne !