La Position de schuss (2020) Loris Bardi
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La Position de schuss (2020) Loris Bardi
Les états d’âme du mâle blanc dominant
C’est souvent avec humour que les éditions Le dilettante présente ses nouveaux auteurs. Lorsque Romain Puértolas y a publié son premier et savoureux roman, L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, une pastille présentait l’auteur comme un mystérieux aventurier qui avait officié dans plusieurs métiers tout aussi saugrenus les uns que les autres. La notice biographique de Loris Bardi mentionne, quant à elle, que l’auteur de 45 ans a pour unique comparaison avec Victor Hugo, Tristan Bernard et Charles Nodier que d’être né à Besançon. Une incursion dans sa biographie nous apprend qu’il a réalisé des films expérimentaux et un documentaire, et qu’il a produit plusieurs créations sonores souvent diffusées sur le service public. Il situe son premier roman, La position de Schuss, aux États-Unis, et plus précisément à New-York.
Le chirurgien orthopédique Thomas Haberline a côtoyé la jet-set via sa pratique professionnelle. Il a même eu une liaison avec une des galeristes new-yorkaises les plus en vues, Valentina Cavalli. Sa première patiente célèbre a été en 1984 Laura Brannigan, qui souffrait alors d’un hallux valgus. Alors qu’il la raccompagnait chez elle, ils ont été pris en photo par un paparazzi et le médecin s’est retrouvé à la une d’un hebdomadaire américain de divertissement. Sa réputation décolla alors, et il se retrouva avec un portefeuille conséquent de patients célèbres. Cette soudaine réussite lui monta à la tête et il se piqua de velléités artistiques, tout en se rendant compte que le choix qu’il avait fait dans ses études de l’orthopédie était liée à sa fibre artistique de sculpteur en herbe. Divorcé d’avec son épouse, il accueille une semaine sur deux son fils Daniel, avec qui les relations deviennent de plus en plus distantes.
Le personnage principal de La position de schuss est le prototype même du mâle blanc dominant. Thomas Haberline est un bourgeois américain entre deux âges et divorcé. Sa carrière professionnelle est une réussite apparente, même si elle cache un mal-être patent. Il enchaîne, voire cumule, les conquêtes féminines, souvent plus jeunes que lui, sans vouloir a priori s’attacher. À l’instar de personnages fictionnels comme le Nathan Zuckerman de Philip Roth, double fictionnel de l’auteur, il semble le reflet d’une société patriarcale qui ne se pose pas beaucoup de questions. Cette figure semble tout de même aujourd’hui un peu caduque, et va en tout cas à l’encontre de l’image des jeunes bobos sensibles et métrosexuels. Autant dire qu’il n’est pas vraiment attachant, et que ses problèmes d’alcool et les plaintes qui vont en découler ne bouleversent pas le lecteur.
C’est à se demander si un des aspects les plus intéressant de La position de schuss ne situe pas du côté des figures de l’art et du spectacle que le livre met en avant. Dès les premières pages, l’apparition de Laura Brannigan, tout aussi rapide que ne fut sa carrière, est assez savoureuse. Quant à savoir si elle a vraiment souffert de l’oignon que mentionne l’auteur, comme il l’écrit dans une courte postface, « Tout ce que je me suis permis de dire à [son] sujet […] n’est que pure fantaisie ». Il en est de même pour l’artiste contemporain français Michel Blazy, dont certains critiques disent que son œuvre représente « une idée singulière du vivant », et que Loris Bardi s’amuse à dépeindre de façon un peu ironique. La scène qui fait intervenir Jonathan Franzen n’est pas moins piquante, même si on est en droit de se demander si elle est une référence habile ou bien un léger accès de présomption de la part de l’auteur.
Ces manifestations bling-bling, si elles sont un peu faciles, participent tout de même au charme que l’on peut trouver à La position de schuss. Le livre est placé sous le signe de l’humour, qui court dans l’ensemble des chapitres du roman. L’auteur semble en perpétuel décalage avec son personnage, et si la première personne est la plupart du temps employée, l’irruption soudaine de la troisième personne du singulier frappe le lecteur. La description de ce petit monde un peu vain, si elle manque de l’acidité dont sait faire preuve un Bret Easton Ellis, possède tout de même son petit grain de causticité. Et étonnement on finit par s’attacher bon an mal an à un personnage qui a l’air de se bonifier en cours de roman. L’écriture de Loris Bardi, si elle n’est pas flamboyante, est tout à fait fluide, et la longueur modérée du livre nous entraîne dans des péripéties sympathiques et divertissantes.