La meilleure façon de marcher (Claude Miller, 1976)
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La meilleure façon de marcher (Claude Miller, 1976)
Après s'être mis au service des plus grands réalisateurs français durant la décennie 1965-1975,Claude MILLER passe à la réalisation avec "La meilleure façon de marcher" son premier long-métrage qui s'inscrit dans un contexte bien précis. D'une part l'intrigue du film se déroule en 1960 dans le huis-clos d'une colonie de vacances. C'est une époque où l'ordre moral patriarcal conservateur et catholique règne en maître. La répression sexuelle touche aussi bien les enfants, sommés de se coucher "sur le côté droit" (pour éviter la tentation de la masturbation) que les moniteurs et les autres adultes qui enferment la leur dans un placard dès qu'elle n'est pas conforme à la norme dominante. Le directeur de la colonie qui symbolise l'ordre patriarcal (Claude PIÉPLU) n'hésite cependant pas à fouiller les affaires personnelles et à clouer au pilori les "déviants" dans une atmosphère de soumission générale. Cependant c'est l'ouverture de sa propre "boîte à idées" qui provoque le climax du film avec la révolte de son fils, Philippe (Patrick BOUCHITEY) qui ne veut plus être une victime de cette oppression. Le film a été tourné une quinzaine d'années après les faits qui s'y déroulent c'est à dire après la libération sexuelle de 1968. Il s'inscrit dans une vague de films provocateurs et contestataires cherchant à renverser la table de l'hypocrisie bourgeoise. On pense bien sûr au film "Les Valseuses" (1974) où joue également Patrick DEWAERE mais aussi à "Cousin cousine" (1975). Mais la particularité du premier film de Claude MILLER est d'aborder avec finesse et sensibilité la délicate question de la construction des genres sexués et d'interroger l'identité masculine. Sa justesse et sa modernité en font un film très actuel qui a d'ailleurs bénéficié récemment d'une restauration et d'une ressortie en salles.
"La Meilleure façon de marcher" repose en effet presque entièrement sur la confrontation de deux moniteurs aux personnalités en apparence radicalement opposées: d'un côté Marc, l'hétéro beauf machiste et grande gueule pétri de certitudes et surjouant la virilité (Patrick DEWAERE) et de l'autre, Philippe, discret, sensible et rongé par le doute quant à son identité. Marc est autoritaire, ne jure que par le sport qu'il fait pratiquer aux enfants de façon paramilitaire et méprise les activités intellectuelles, sous-entendant qu'elles ne sont bonnes que pour les filles. La séquence où il s'adonne avec ses amis tout aussi braillards et envahissants que lui à une partie de poker pendant que Philippe et Deloux (Michel BLANC) tentent de regarder "Les Fraises sauvages" (1957) de Ingmar BERGMAN est bien représentative de cette occupation inégale du territoire entre les occupations considérées comme viriles et les autres (et qui a conduit nombre d'écoles à adopter le principe d'une journée sans ballon par exemple pour que les filles et les garçons non sportifs puissent se réapproprier la cour).
Mais Marc, comme tous les hommes qui se sont construits sur les normes dominantes de virilité est un colosse aux pieds d'argile. Il lui suffit d'apercevoir Philippe travesti pour perdre pied. Le film touche parfaitement juste dans son analyse des racines de l'homophobie. L'existence de l'homosexuel (ou de celui qui est perçu comme tel) est vue comme une agression vis à vis de celui qui passe son temps à exorciser tout ce qui pourrait en lui relever du féminin. C'est une menace directe contre l'identité qu'il s'est construite. C'est pourquoi l'homophobie et le sexisme sont des mécanismes de défense nécessaires au maintien du "mythe viriliste". Philippe devient donc logiquement le souffre-douleur désigné de Marc et ce d'autant plus qu'il devient paranoïaque et le relance quand celui-ci semblait enfin le laisser tranquille.
C'est en s'affirmant face à son père et face à Marc que Philippe parvient à sortir du cercle vicieux du harcèlement. Pour cela, on le voit faire un travail sur lui-même pour surmonter son sentiment de honte et sortir de sa soumission. Il est précieusement épaulé par sa petite amie Chantal (Christine PASCAL) qui en apparaissant déguisée en homme lors de la fête des adieux l'aide à assumer son identité transgenre et bisexuelle et à démasquer les mêmes potentialités chez Marc au terme d'un sanglant corps à corps.