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Juillet - 1

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Publicado el 18, ago, 2023 Actualizado 18, ago, 2023 Cultura
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Juillet - 1

Un orage d’une rare violence s’était abattu sans pitié sur la capitale au point d’en inonder les trottoirs et les places du centre de la ville. Isidore, abrité sous un large parapluie, tentait de marcher au sec dans la rue Saint Honoré. Devant lui, des femmes en talons aiguilles sautillaient comme si de rien n’était, habillée de robes fines que l’humidité plaquait contre leur corps de mannequin. Ces femmes appartenaient assurément à un monde parallèle, se disait Isidore, à chaque fois qu’il en croisait. Il pleuvait, la chaleur et l’humidité donnaient une ambiance tropicale à Paris qui souffrait de la pollution pour le troisième jour consécutif. Il pleuvait et Isidore avait encore deux cents mètres à faire avant de pénétrer dans le ministère. Ce matin, il recevait Hicham Hakim et Michel Salmane pour la réception des douze cartons d’archives. Ils devaient arriver à midi et Isidore espérait que la pluie se calme d’ici là sinon le travail allait être laborieux vu qu’il n’était pas possible de faire entrer de camion dans la cour. Si on voulait que le déchargement se passe bien, il fallait donc soit attendre la fin de l’épisode pluvieux, soit envelopper d’une bâche imperméable chaque carton. Dans les deux cas, cela occasionnerait un contre-temps. D’habitude, Isidore n’est pas pressé et passer une heure de plus avec des monceaux d’archives ne lui déplaît pas plus que cela. Mais en ce jeudi 13 juillet, Isidore et Véronique devaient prendre un avion pour Lisbonne où ils avaient réservé pour ce long week-end estival, sur un coup de tête et parce qu’une offre promotionnelle incroyable le proposait. Départ à 16h d’Orly, autant dire qu’Isidore espérait que les conditions climatiques changent vite de tournure et qu’Hicham Hakim bavasse moins.

Les craintes d’Isidore disparurent quand brusquement, crevant les nimbus anthracite, un soleil étincelant fit son apparition à onze heures. Quand le convoiement arriva à midi précise, le ciel ne comptait plus que quelques stratus maigrelets et le sol avait déjà séché. A midi et quart, les caisses, bien enveloppées pour faire face à des intempéries sibériennes, furent déposées aux archives où deux assistants du patrimoine les prirent immédiatement en charge comme des bacilles sur un corps sain.

Hicham Hakim avait emmené dans ses bagages sa fille, qui allait avoir dix-neuf ans le mois prochain. Elle était élancée, le teint pâle mais un tempérament affirmé, de ce qu’Isidore put en discerner.

« Rosa, je te présente Isidore Valois. Monsieur Valois, voici ma fille, Rosa. »

Ce prénom résonna étrangement à Isidore. Au Proche Orient, les prénoms peuvent être très variés, et selon les communautés, ils peuvent être à consonance latine ou arabe. En tout cas, elle salua poliment et demanda à son père si elle pouvait aller se promener. « Michel, accompagne Rosa s’il te plaît. Montre-lui l’île de la Cité par exemple. On se retrouve plus tard, je vais inviter monsieur Valois au restaurant pour le remercier de sa coopération. »

Michel et Rosa disparurent et alors qu’Isidore voulait protester, arguant qu’il n’y était pour rien et surtout espérant échapper à un repas qui pourrait s’avérer long, fastidieux et sujet à des souvenirs anciens, Hicham Hakim fixa son collègue français dans les yeux et d’une voix presque métallique, froide, une voix qu’il ne reconnaissait pas et qui sonnait étrangement, déclara « nous ne nous sommes pas tout dit, monsieur Valois ». Isidore avala sa salive. Il réfléchit très vite aux sujets pouvant être concernés, il tenta de se remémorer la conversation entamée la dernière fois et déstabilisé, quoi que curieux, il suivit Hicham Hakim dehors. Le soleil frappait fort sur leurs crânes. « Nous pourrions retourner dans le café où nous avions bu un verre la dernière fois ? » Hicham Hakim avait posé la question avec une douceur retrouvée qui contrastait avec le ton de tout à l’heure. Il avait à nouveau des manières délicates et son ton était redevenu affable, s’enquérant des travaux d’Isidore et de ses projets. Isidore parla de Lisbonne, de l’avion qu’il devait absolument prendre, de Véronique qui l’attendrait à l’aéroport avec la valise, et de l’enthousiasme nouveau qu’il avait à découvrir cette ville qu’il ne connaissait qu’à travers Pessoa et Lobo Antunes. Hakim eut un sourire triste – très fugace. « Je vous propose plutôt d’aller dans un café un peu plus loin, vers Saint Lazare, si vous n’y voyez pas d’inconvénient ».

C’était le café où, lycéens, Amal et lui se rendaient après les cours. Il avait changé de propriétaires plusieurs fois depuis mais Isidore y revenait de temps à autre, cela lui permettait de croiser des lycéens de Condorcet, d’en observer les évolutions, tout en se sentant une légitimité dans cette posture, comme un grand frère, ayant connu les mêmes épreuves, les mêmes rêves et les mêmes bancs d’école. En juillet, les lycéens ne fréquentent plus l’établissement, ils seraient donc parmi des habitués ou bien seuls, comme cela pouvait arriver entre deux arrivages de touristes qui inondaient les abords de la gare et des Galeries Lafayette. Après dix minutes de marche sous un soleil de plomb, ils arrivèrent au Café de la Cour de Rome (anciennement Lazare express) dont la terrasse protégée par de larges parasols était en plus délicatement brumisée par un appareil vrouvroutant. Un olivier en pot, asphyxié de billes d’argile ocres, se dressait dans un coin. C’est tout naturellement vers l’arbuste qu’ils s’installèrent. La circulation dans cette rue restait tout à fait acceptable. Le flux des passants n’avait rien d’agressif et le recoin que les deux hommes occupaient s’avérait discret et propice à la discussion. Un garçon surgit en tenu de garçon. Plutôt jeune, d’origine maghrébine, il se tenait très droit et prit les commandes avec sérieux. Deux panachés en pinte, c’était la première fois qu’on la lui faisait celle-là.

« Eh bien, monsieur Hakim, je crois deviner qu’il y avait quelque chose que vous vouliez absolument me dire. »

Isidore n’en pouvait plus d’attendre. L’attitude de son collègue libanais l’avait tellement mis mal à l’aise qu’il préférait que l’on crève l’abcès le plus vite possible. Sur le chemin, il avait réfléchi aux problématiques franco-libanaises, aux engagements du secrétaire général, à toutes les déclarations faites et auxquelles il n’avait peut-être pas apporté entière satisfaction. Mais il ne voyait rien. Tout cela n’était peut-être qu’un malentendu. Il avait accueilli les caisses d’archives avec respect, et son traitement ferait l’objet d’un article dans la revue Archives du droit. Il lui en avait parlé et n’avait pas souhaité être associé à cet article.

image d'Ozgu Acar

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