Jour 31
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Jour 31
Il fait encore froid ce matin. Le printemps a pourtant été annoncé il y a deux jours.
-Nan, mais, c’est quoi ce truc-là ? ça s’étale encore !!! Qui m’a foutu ça sur mon établi… ? Passe-moi le pot rouge, là sur l’étagère, vite !!!
-Je n’y arrive pas…j’ai pas assez de corps pour l’attraper…
L’hiver, le printemps, de toute façon, le froid le plus glaçant vient toujours de l’intérieur de moi. Il fabrique un liquide qui se répand tout le long de l’intérieur de mon corps, puis s’accroche à chacun de mes os.
-Pousse-toi ou je vais t’en mettre partout ! C’est pas parce que tu crois ne pas avoir de corps que tu n’en as pas. On va dire que ce sera la leçon du jour.
Youri atteint le pot rouge, l’ouvre et prélève de grosses poignées. Il les lance tout autour de la feuille.
-C’est pas passé loin. Un peu plus et on passait la journée à nettoyer tout l’atelier. C’est toi qui a ouvert ça ?
-je ne sais pas, je crois oui. Mais je ne vois pas comment, puisque je n’ai pas de corps.
-Ok. Bon, maintenant que c’est fait, viens voir que je t’explique. Le travail d’un artpenti, au début de sa formation, c’est justement de se rendre compte quand il fait quelque chose. Tu ne te souviens pas avoir dormi je présume ?
-Non.
-Hé bien, tu as dormi. Ou au moins rêvé. Et ton rêve a débordé.
-C’est moi ai fait ça en rêvant ?
-N’essaye pas de comprendre. Essaye juste de sentir. Comment te sens-tu là maintenant ?
-Je ne sais pas…rien de particulier.
-Attends je regarde le texte…j’ai même pas eu le temps avec tout ça…ah oui, quand même. Si je te dis « Onze barré », ça te parle ?
-Je crois…je vois quelque chose. Mais je ne sais pas ce que c’est.
-Ce sont des sous-venirs. Des traductions d’images qui viennent d’en-dessous, c’est pour ça qu’on appelle ça des sous-venirs.
-…
-Ne t’inquiètes pas. Je suis là pour t’apprendre. Va à ton établi, je vais t’apporter la phrase que tu vas travailler aujourd’hui, je vais la préparer en la séparant du reste.
-…
L’artpenti ne comprend rien. Les deux orbites dans lesquels des yeux devraient pousser restent vides.
-Va à ton établi.
Youri met ses gants et scrute le texte pendant que l’artpenti se traine littéralement jusqu’à l’établi. Le métamicien prend ses outils, il coupe, raffine, prend soin de ne pas laisser tomber n’importe où les déchets, il récupérera plus tard les lettres, une à une. Rien ne se perd, rien ne se crée.
Au bout de plusieurs moments, Youri revient vers l’établie de l’artpenti. Il tient la phrase dans ses pinces.
-Tiens, voilà ce que j’ai récupéré pour toi. Attends quand même qu’elles aient refroidies.
Sur l’établi, la phrase est encore rougie des opérations. Les lettres semblent avoir souffert, mais ne se plaignent presque pas.
« J’avais réussi à m’évader, le temps d’une larme. »