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13. Clan Destin - L'incendie

13. Clan Destin - L'incendie

Published Oct 15, 2024 Updated Oct 15, 2024 Young Adult
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13. Clan Destin - L'incendie

 

Assis dans son hamac, Élias transpirait à grosses gouttes. Félix, où était-il ? Le blaireau s’était échappé. Élias devait choisir dans l’une des trois zones dans lesquelles Salween ne le menait jamais. Très logiquement, il se souvint avoir croisé le troupeau lors de leur descente en radeau. Il sauta de son lit et fonça dans la nuit jusqu’à la rivière. Courant dans l’eau, il se dirigea sans hésiter vers la pâture.

Une odeur de feu envahit ses narines ; son ventre se noua ; il avança encore plus vite et arriva enfin. Les moutons étaient tous rassemblés de l’autre côté de la rivière. Élias se cacha parmi les bêtes et analysa la situation. Il ne voyait pas grand-chose : la fumée et les flammes le séparaient du terrain.

Un milan passa à proximité. À tout hasard, Élias essaya de se concentrer pour naviguer au-dessus du pré avec l’oiseau. Comme avec la panthère, il le lui demanda mentalement.

«Toi, le milan, mon frère, permets-moi d’observer avec toi ce qu’on voit du ciel »

Élias ferma les yeux ; il planait avec l’oiseau.

Il découvrit Félix qui tirait Chebbi   avec Tessaoud, chacun lui donnant une main. Ils couraient vers de grands rochers au sommet de la pâture. Ils y étaient pris au piège ; ces récifs se terminaient par un à-pic d’une vingtaine de mètres. Le second souci était Chebbi. Complètement affolé, il avait perdu les maigres moyens dont il disposait pour réagir. Tessaoud vit le rapace ; heureux, il le montra à Félix, qui n’y fit pas attention. Le milan s’éloigna des fugitifs pour flotter au-dessus des assaillants. Quatre hommes se tenaient de l’autre côté du rideau, côté calciné. Ils étaient menaçants, criaient, maniaient des bâtons. L’un d’eux était bien entendu Borhut. Il aperçut aussi l’oiseau et il sembla l’appeler. Le rapace n’y répondit pas et continua son vol vers son nid caché dans un chêne, au-delà de l’incendie.

Élias quitta le milan et rouvrit les yeux. Le vent était en train de tourner. Il sourit. Sans se faire voir, il se glissa à la hauteur des flammes, prit un bâton et l’alluma. Évidemment, avec sa torche en main, il ne pouvait plus passer inaperçu. Les agresseurs s’immobilisèrent un moment, interdits. Il en profita pour courir et enflammer un second pan, trois pas devant le premier. Ils se moquèrent bruyamment de la manœuvre. Derrière eux se dessinaient trois autres silhouettes : Salween, son jumeau, le fameux Gaoligong et le Kadga qui devait être leur père.

Comme prévu, le vent vira et le feu s’arrêta de lui-même, laissant un écran de fumée. Élias se retourna vers Félix et hurla :

—  Mettez-vous à l’abri de l’autre côté de la rivière.

—  Je reste avec toi ! cria Félix.

—  Non, occupe-toi de Chebbi. Mouille-le entièrement. Vérifie qu’il n’est pas brûlé. Ne t’inquiète pas pour moi, Salween est derrière eux avec son frère et le Kadga.

Les hommes n’avaient toujours pas perçu l’arrivée du Kadga et des jumeaux. Interloqués, ils fixaient l’ado. Élias se planta à cinq mètres d’eux, bras croisés. Il les défiait. Il savait pertinemment qu’il ne ferait pas le poids mais Salween étant derrière eux ; il se permit de bluffer, même s’il n’en menait pas large. Silencieux, il ne bougeait pas d’un pouce.

Tout à coup, le poil de la panthère lui caressa la jambe et, menaçante, elle grogna sur les quatre assaillants. Élias prit un peu d’assurance. Il ne douta pas que le fauve aurait plus d’arguments que lui pour les dissuader d’attaquer. Les hommes autour de Borhut changeaient de tête : Élias lisait une sorte de crainte respectueuse qui se dessinait, de plus en plus forte, dans leur esprit. Ce félin devait signifier bien plus qu’un simple animal de gardiennage, pensa-t-il. Il faudrait qu’il approfondisse le pourquoi de cette appréhension ; plus tard...

Les agresseurs reculèrent d’un pas puis se retournèrent. Ils tombèrent nez à nez avec le Kadga et ses deux fils. Le bruit du feu empêcha Élias d’entendre ce qui s’échangeait à mi-voix. Les hommes quittèrent le lieu et disparurent dans les bois. Le Kadga les suivit peu après, laissant les jumeaux sur place.

Chebbi était étendu sur le sol et s’accrochait au bras de Félix. Élias s’approcha calmement et lui donna à boire. Il lui glissa la main sous la nuque et lui parla tout doucement. Il lui envoya au bout de ses doigts ce qu’il appelait un courant chaud ; c’était un petit truc qu’il avait inventé. Quand il devait soigner un enfant qui était trop turbulent, Élias se plantait dans le sol, captait l’énergie sereine de la Terre (celle qui l’avait remis d’aplomb lors de son bras de fer avec Salween) et il la transmettait au blessé via ses mains.

Chebbi se détendit totalement. Dans un dernier sursaut de détresse, il le fixa intensément et lui achemina une image qu’il avait gardée en tête depuis longtemps. Élias reçut le flash comme un coup de poing dans le ventre : Borhut était responsable de la noyade. Élias ferma les yeux, furieux. Il hésita à réagir tout de suite ; c’était trahir une de ses facultés. Il avala sa salive et il se jura que cette fois il ne laisserait plus Salween se perdre dans ses hésitations. Il fallait qu’il sache pourquoi Borhut avait carte blanche pour faire du mal aux autres. Il soupira, rassura Chebbi en lui serrant la main puis, se tournant vers les autres, il dit :

—  Personne n’est blessé ?

—  Non, ça va, juste une petite brûlure de rien du tout, lui assura Félix. Quel coup de bol que tu te trouvais par là !

—  Tu m’as appelé, non ?

—  C’est moi qui t’ai convoqué, déclara Tessaoud.

—  Convoqué ?

Tessaoud lança un regard penaud vers Salween et Gaoligong et il ajouta :

—  Je n’avais pas le choix !

—  Tu as bien fait, le rassura Salween.

—  Et pourquoi moi ? demanda Elias

—  Mais enfin Élias, qui voulais-tu que j’appelle d’autre pour nous tirer d’affaire ?

—  Je n’ai rien fait de plus intelligent que de me jeter dans la gueule du loup ! Heureusement que la panthère est arrivée !

—  Tu plaisantes ? continua Tessaoud. Toi seul nous as sauvés. J’ai bien vu que tu intégrais le milan, puis tu as éteint le feu en détournant le vent. La panthère était là juste pour appuyer ce que l’on sait.

Élias était légèrement ennuyé qu’il signalât la présence du rapace et cette faculté qu’il venait d’acquérir en se glissant entre ses yeux. À la manière de Salween, il répliqua :

—  Tessaoud, je n’ai pas détourné le vent ! Et que veux-tu dire par «la panthère était juste là pour appuyer ce que l’on sait » ?

—  Ça suffit, Tessaoud ! intervint Salween, aussi calme que ferme. Nous allons rentrer.

Élias se retourna lentement vers Salween et, méfiant, il lui lança :

—  Salween, c’est quoi ce «ça suffit », et de quoi parle Tessaoud ?

—  Je t’expliquerai plus tard.

—  Tu m’as promis : ni entourloupe ni mensonge. Maintenant, je veux que tu m’expliques tout. Ça a assez duré.

—  Et je tiendrai ma promesse ; on s’occupe d’abord des moutons puis je te raconte tout.

— Chebbi prit la main d’Élias et montra les jambes de Félix : des brûlures lui mangeaient la moitié des mollets.

—  Bravo Félix, dit Élias, fâché. C’est ça «une toute petite brûlure de rien du tout » ? Tu dois crever de mal ; marche au centre de la rivière, le froid te fera du bien.

Durant tout le trajet du retour, Élias observa Gaoligong. Il ressemblait à son frère comme deux chats siamois, mais lui il se taisait. Il ne prononçait pas un mot de trop. Il évoquait ces oiseaux de haut vol qui ont une autorité naturelle sur les autres. Il y avait de l’aigle dans cet homme. En une fois, Élias se souvint de son passage dans l’arbre, le premier jour. Il comprit enfin que les jumeaux s’étaient amusés à s’interchanger. C’était Gaoligong qui l’avait forcé à monter jusqu’à la cime. C’était cette autorité-là qu’il avait suivie, plus que celle de Salween.

Gaoligong regardait au loin, l’œil sévère ; il veillait sur les alentours. Son regard s’arrêta sur une musaraigne. L’animal s’était redressé. Il lui envoya quelques images, sans doute celles qu’elle venait de capter : on ne voyait que des pieds qui couraient vers les grands rochers. Puis un écureuil dans les branches se mit à lui parler également. Gaoligong se tourna vers Salween et déclara :

—  On doit rapatrier les filles dès ce matin. Je crains pour Zoé.

—  De toute façon, cela ne sert plus à rien de l’isoler puisque Félix est de retour ! répondit Salween.

—  Pourquoi est-il si lent ? Il devrait déjà avoir passé plusieurs caps !

—  À chacun son rythme ! Il a quand même entendu Tessaoud.

—  Oui, mais ça, c’est un jeu d’enfant !

—  Je te rappelle que c’est la première fois qu’on fait ce genre de manipulation, on ne sait pas trop s’il lambine ou non.

—  Bégawan trouve aussi qu’il n’évolue pas assez vite et Manon est bien plus loin que lui. Il ne lui reste que des broutilles et elle sera tout à fait prête. On doit peut-être le changer de précepteur…

—  Prends-le en charge.

Si Élias accueillait avec joie la première partie de ce dialogue, la seconde lui faisait peur. Comment retrouverait-il Manon ? Était-elle complètement asservie par Gaoligong ? Cette fois, il exigerait une explication claire, dès que Félix serait soigné. 

Le jour était en train de se lever quand la petite troupe rejoignit le village. Félix et Élias se dirigèrent directement chez Bégawan. Félix serra les dents sans émettre aucune plainte, Bégawan finit par le sermonner doucement :

—  Félix, ce n’est pas mauvais de montrer qu’on a mal : cela permet de savoir jusqu’où s’étend la blessure.

—  J’ai mal, j’ai mal, j’ai mal, avoua Félix. J’ai mal partout.

—  Bien, dit Élias avec un petit sourire compatissant. Voilà qui est nettement plus clair !

—  Élias, demanda Bégawan, passe ta main au-dessus de l’ensemble du corps de ton frère et dis-moi ce que tu perçois.

—  Tu crois que c’est le moment de faire une leçon ? lui répliqua Élias.

—  Ce ne sera pas long et Félix est un dur !

—  Ça t’apprendra à ne pas être douillet ! dit-il à l’adresse de Félix. Couche-toi, que je m’amuse un peu !

Félix obéit sans broncher. Élias accomplit l’exercice et, suivi par les conseils de Bégawan, il constata non seulement les brûlures mais aussi une épaule déboîtée. 

Bégawan lui expliqua la manœuvre pour remettre son épaule dans l’axe. Élias devint aussi blanc que son frangin ; il regarda son bras sans oser bouger. Il la soupçonnait de lui laisser faire ses premières armes sur Félix parce qu’il était coriace.

—  Vas-y, l’encouragea Félix. Je ne peux pas avoir plus mal que maintenant ; je ne crierai pas, je te le promets.

En un mouvement, Élias se décida et, rapidement, il appliqua la manipulation prescrite. Félix hurla puis il se tut.

—  Voilà ! C’est fini, déclara Bégawan.

—  Tu m’avais juré que tu ne crierais pas, souffla Élias encore sonné, les jambes tremblotantes et transpirant à grosses gouttes.

—  J’ai pas pu, c’était trop fort ! Mais, bravo, je n’ai plus mal !

Ils regagnèrent leur hutte où ils s’endormirent comme deux marmottes.

Dans un demi-sommeil, Élias sentit un animal qui considérait son corps comme un terrain d’aventures, se baladant çà et là en pinçant pour mieux grimper. En ouvrant les yeux, il découvrit un perroquet, qui observait son visage d’un œil rond. D’un bond, il se redressa ; l’oiseau s’envola, surpris. Devant lui, Manon et Zoé se gondolaient.

—  Manon ! Zoé ! s’exclama-t-il. Que le temps est long sans vous !

—  Dis donc, vous puez le cramé ! Vous avez fait un feu de camp sans nous ? demanda Zoé.

—  Vachement trop puissant pour chanter autour ! précisa Félix derrière eux.

—  Mais grâce auquel nous voilà tous réunis ! ajouta Élias.

—  Et nous pouvons manger à quatre ! annonça Manon en exhibant quatre galettes. Vous avez loupé tous les repas d’aujourd’hui et Salween a manifestement très peur que tu entames une «petite grève de la faim ».

Ils s’assirent sur le sol et les grands racontèrent joyeusement leurs aventures. Élias observait Manon du coin de l’œil. Apparemment, il n’y avait aucun changement notoire dans son comportement. Toujours aussi silencieuse, elle écoutait les grands avec une mine très détachée, presque indifférente. Élias voulait lui parler seul à seul, pour percevoir les tenants et aboutissants de cette transformation. Elle lui lança un œil complice, lui sourit candidement. Élias reçut ce sourire avec une certaine inquiétude. Il plissa les yeux et fronça les sourcils.

—  Je voudrais que tu me dises sincèrement comment ils t’ont traitée, lui souffla-t-il.

—  Bien, ne te tracasse pas !

—  Je veux connaître les détails. Il y a toujours des trucs pas nets qui m’échappent totalement.

—  Tu vas trop loin, je te jure que je vais bien.

—  Oh les amoureux ! intervint Félix en désignant les deux plus jeunes. Et toi, Élias, tu nous racontes ?

Élias se tourna vers son frère en souriant.

—  D’abord, je voudrais m’excuser : si vous avez dû quitter le village, c’est à cause de mon sale caractère...

—  T’inquiète ! intervint Zoé. Je ne regrette pas avoir eu ces vacances, je me sens complètement transformée par ce que j’ai appris.

—  Moi aussi ! le rassura Félix en le frappant amicalement sur l’épaule.

—  En quoi avez-vous changé ? demanda immédiatement Élias, déjà sur le qui-vive.

—  Cool ! répliqua Zoé en voyant la mine inquiète du benjamin. Ça va pas te plaire, je vais rivaliser avec toi. J’t’explique : nous vivions dans une grotte, pratiquement comme les hommes préhistoriques. Un jour, alors que nous étions en pleine cueillette, dans la boue, j’ai remarqué...

 Salween entra comme un ouragan dans la case, interrompant le récit de Zoé.

—  Élias et Manon, vite, on a besoin de vous !

—  Holà, on bouffe ; c’est absolument nécessaire ?

—  Oui, très urgent, suivez-moi. Félix et Zoé, ne quittez la hutte sous aucun prétexte. Tarim et Narbada resteront avec vous.

 

 

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