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Comment être plus rationnel et moins cartésien ?

Comment être plus rationnel et moins cartésien ?

Published Feb 24, 2021 Updated Jan 6, 2022 Travel
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Comment être plus rationnel et moins cartésien ?



Étienne Klein étudie la physique depuis plus de 30 ans, mais lorsqu'il échange avec des chefs Indiens d’Amazonie, il est mal à l'aise. Lui qui a passé sa vie à étudier le monde, vient de se rendre compte qu’il lui était radicalement étranger

La solution à ce malaise se trouve dans un verre de whisky, mais d'abord la rencontre.

 

La sauvagerie

 

Étienne Klein est assis face à un groupe de chefs Indiens d’Amazonie. Il est physicien, dirige le laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au Commissariat à l’Énergie atomique (CEA) et enseigne à l’École Centrale. Il a les cheveux en bataille.

Les Kapayos, eux, ont fait le voyage depuis le Brésil. Ils sont connus pour porter des plumes jaunes représentant les rayons du soleil sur la tête et pêcher le piranha.

C’est dans son petit livre, Allons-nous liquider la science (2013), qu’Étienne Klein nous parle de son malaise. Habitué des voyages autour du globe, de l’ouverture vers l’extérieur et du contact avec d’autres cultures, il ressent un trouble naître en lui.

Ces Indiens vivent sur la même planète que lui, mais en les écoutant, il comprend que leur nature est différente. Pendant que notre nature est abstraite, mécanique et insensible. La leur est habitée de qualités sensibles. Elle est vivante. Ils en font partie au même titre que les plantes, les arbres, les animaux, l’eau et la terre. Ils l’observent, l’écoutent, la comprennent et l’analysent.

 

Civilisée

 

Qu'est-ce qui explique ce décalage de perception ? L'environnement déjà. Parfois, en rentrant dans une rame de métro qui sent la sueur, dans le souterrain qui sent le goudron chaud, on se sent porté par le courant d'individus qui fourmillent partout.

Pour la majorité d'entre nous, refaire surface signifie d’abord retrouver la vie urbaine. Et parfois en fixant un citadin bloqué dans les bouchons, lui-même immobilisé dans son auto, je me demande ce qui nous amène à nous entasser les uns sur les autres.

Certains diront qu'ils aiment la ville. Car on y trouve du travail, un accès simple aux besoins de premières nécessités, de multiples boutiques, tous les lieux culturels et la proximité avec les amis.

La vie urbaine demande toute notre attention. Trottoir. Slalom entre piétons. Bus. Enseignes publicitaires. Beau mec/jolie fille. Trottinette. Déjections canines. Cris.

Tout comme la technologie qui nous accompagne tous les jours. Notifications. Push. Fils de suggestions. Messages non-lus. À faire. Vitesse de lecture accélérée.

Mais une fois qu'on s'y habitue, le rythme et les bruits de la ville deviennent rassurants. Ce sont les bruits d’un monde qui bouge, où tout se passe, où tout peut arriver. Ce cocktail entre vie urbaine et vitesse technologique est grisant. Jusqu’à la saturation. Et le besoin de ralentir.

On ressent le besoin de s'échapper au calme. Pour certains, c'est le moment d’expérimenter une sorte de malaise: quelques heures après l’arrivée au vert, le monde s’arrête. Trancher net. Vide et sans intérêt. Alors, le cerveau commande. Il sort le téléphone comme si le monde autour n'existait pas.

 

Les temps modernes


Le mode de perception du monde ensuite. L’Occident appréhende le monde le visage tourné vers les écrans, à partir de jeux de données. La méthode scientifique fait l'économie des sens. Et la philosophie de Descarte nous invite à nous rendre maîtres et possesseurs de la nature. Le monde vivant est une grande mécanique. Les animaux sont des automates que l'on peut frapper sans cas de conscience, car ils sont insensibles.

Le progrès a rendu la vie confortable. Nous avons chaud et le ventre repu. Mais il a tué Dieu au passage, en laissant un vide métaphysique que rien ne rempli. Et la culture qui a construit cette opposition.

Nature contre humanité. Sauvagerie contre culture. Quand on observe les animaux, on voit les phéromones, le mâle dominant, sa femelle, les dominés qui luttent pour leur place dans le groupe, les jets d’urines pour marquer son territoire et les combats pour l’élargir.

Est-ce qu’il y a de l'animal en nous? Chez certains, c’est même une évidence...

On est sauvage depuis le bas âge - Kalash Criminel, A.D.N.

Les bagarres de bac à sable que l'on retrouve en entreprise. Le gros SUV en ville, l'argent, parfum Chanel, les titres symboliques et les privilèges. Grandes écoles et donc écoles inférieures. Groupes sociaux sous forme pyramidale. 

Nous faisons partie de la famille des 6 grands singes aux côtés du Gibbon, de l’Orang-Outan, du Gorille, du Chimpanzé et du Bonobo. Nous avons une biologie, un corps, des hormones, un cerveau reptilien et tout cela joue sur nos comportements.

Vivre toute sa vie dans le bitume des villes, même en voyageant autour du globe, c’est n’avoir connu que peu du monde.

 

Du jus de céréales fermentées

 

J’ai une piste pour retourner sur terre. Et elle passe par mon expérience autour du whisky.

Je n'ai pas compris l'intérêt du whisky tout de suite. En réalité, ça a bien même pris plusieurs années, jusqu'à ce que je goûte un whisky tourbé. Un whisky tourbé, c’est un whisky qui sent le feu de bois. Pas besoin d’être un expert pour le reconnaître. Vous ouvrez la bouteille, une odeur de cheminée s’installe dans la pièce.

C’est tellement différent d'un whisky classique, que l'on sent instantanément la palette de possibilités. Je ne sais pas exactement ce qui m'a fait basculer vers le whisky plutôt que le vin ou la bière. J’aime l’idée qu’un petit verre puisse concentrer autant d’arômes et de goûts.

Je me rends compte qu'on a parfois presque plus de plaisir à le sentir qu'à le boire.

La clef pour moi, c'est de le découvrir verre après verre. Le contact régulier avec une bouteille permet de voir le whisky et ses arômes s'ouvrirent au fil du temps. Plus lentement qu’un vin. Notre appréciation n'est pas toujours la même selon la fatigue ou bien un nez bouché. Frustrant.

Si vous y ajoutez une ou deux gouttes d’eau, on commence à creuser le sujet et à découvrir les odeurs qui s'y cachent. Comment il change au nez, dans la bouche. On se souvient de la dernière fois qu'on l'a bu. C'est important.

Un champ de blé vert

On prête aussi attention à la texture. L'odeur, le goût, mais aussi le contact physique. Avec le temps, je m'aperçois que les whiskys peuvent produire des sensations physiques différentes.

J'ai goûté un whisky breton tourbé qui m’a projeté dans un feu de cheminée, par l'odeur oui, le goût aussi, mais aussi de façon physique à travers la brûlure de l'alcool. Doux au début, l'alcool arrive progressivement, monte en puissance puis redescend et se termine par un petit goût sucré grâce au vieillissement du liquide dans un fût de Sauternes, un vin blanc de Bordeaux, doux et sucré.

J’ai l’impression d’avoir une flamme dans la bouche. On pourrait penser que c'est le hasard, mais à force de goûter des whiskys, j'ai le sentiment que la distillerie peut travailler à construire ces sensations. Le whisky propose davantage qu’un goût uniforme. Oui, c'est bon, mais monotone. Un verre d’eau ou de soda fait aussi bien l'affaire.

Tout l'intérêt réside dans le fait de trouver des whiskys qui soient vivants, complexes, particuliers. Une identité. Pour moi, ça a été l’élément déclencheur qui m'a donné envie de partir à l’aventure des saveurs du whisky.

Dans un petit verre de whisky, on peut découvrir tellement de choses. La dernière fraîcheur que j'ai appréciée était un whisky gallois. On est à l'opposé de ce whisky tourbé breton plus haut, et c'était génial !

L’odeur et le goût se suivent, c’est cohérent, pas de piqûre d'alcool. En comparaison avec d’autres whisky, je l’ai trouvé élégant, toutes les sensations se suivaient les unes après les autres, toutes allaient dans la même direction.

 

La pilule rouge ou la pilule bleue

 

Nous regardons des films qui montrent le monde, plutôt que de découvrir le monde nous-même. Nous ne le sentons plus. Nous ne l’entendons plus. Nous ne le goûtons plus. Boire du whisky est un prétexte pour prêter de nouveau attention aux odeurs et aux sensations physiques. Mais un danger guette, particulièrement visible dans le domaine du vin:

La tonalité est un rouge grenat moyennement foncé. L’attaque en bouche est assez souple avant d’être assez chaude. Ensuite, on a un milieu de bouche qui est délicat et des saveurs à levain, des notes minérales. Une belle extraction. Des tanins très compacts et une belle finale en queue de paon.

Ce danger, c’est celui de boire pour le statut social. D'utiliser des mots compliqués pour marquer la limite entre le connaisseur, toujours supérieur, aux non-initiés. De boire pour l’histoire marketing plutôt que pour les sensations.

Boire du vin, c'est boire du jus de raisin fermenté. Faites fermenter des céréales et vous obtenez du whisky. L’emballage est classe, la bouteille est élégante, et les deux finiront à la poubelle.

Mais il y a un danger encore plus grand qui guette. Celui de croire qu’il faudrait passer par des mets exquis hors de prix et des boissons de compétition pour ressentir ces sensations. De rester le nez dans le verre.

 

Éprouver le terrain

 

Regarder un vieux film est difficile. Le rythme lent, la trame scénaristique, le noir et blanc parfois, l'absence d’effets spéciaux. Lorsque l’on est plongé depuis petit, dans les films à gros budgets, avec une histoire intense, des effets spéciaux saisissants, il y a une résistance à devoir faire sans. De la même façon, le monde réel devient inintéressant pour certains. Figé, silencieux, vide, angoissant, car il n'y a rien à y voir, rien à y faire. L’intensité de notre style de vie anesthésie nos sens.

Il faut un temps d’adaptation avant que les effets de dissipent. Si l’on parvient à passer ce cap, on peut faire l’expérience d’un véritable renversement.

La nature immobile se meut à nouveau. Les parfums et odeurs reviennent chaque année, pour signaler la plante, un animal, des arbustes, des fleurs, la chaleur de la terre ou l'humidité de l'air. Le silence s'efface. Le toc toc d’un oiseau contre l’écorce d’un arbre. Les aboiements d’un chien. Une grenouille qui saute dans l’eau. Le bruissement du vent dans les branches. Le cliquetis d’une chaîne au loin dans une ferme. Le hululement d’une chouette.

Le confort nous engourdit. Le froid, la pluie, un terrain vallonné, toutes les résistances physiques sont des occasions d’engager le corps entier dans l’expérience. Ce sont des réveils qui nous rappellent qu’il est temps de sortir de notre torpeur.

Il faut éprouver le terrain, ne pas rester en arrière. Goûter, sentir et toucher le monde. C’est le meilleur moyen de contrecarrer les carences du point de vue théorique. De lester des idées qui sont trop légères, si elles ne sont pas mises à l’épreuve du réel. De trouver un rythme et sa place dans le monde.



Photo de couverture par Joshua Sukoff et photo de Mayank Gaur sur Unsplash.

 

 

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Comments (1)

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Gouair 1 year ago

Merci pour cet article qui nous mène par le bout du nez :)

J’aurais bien aimé en savoir plus sur le ressenti de Klein, qu’est-ce qui l’a tant perturbé ?

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Paris (2024)
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Crédits photographiques Jean-Marc Sire

Jean-Marc Sire
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