Dans les méandres de la Croatie et de la Bosnie
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Dans les méandres de la Croatie et de la Bosnie
07 Aug 14
Les choses prennent un nouveau tournant pour moi. Cela fait maintenant une semaine que nous voyageons, et je ne dors toujours pas. Les nuits sont longues, le bouton switch-off ne fonctionne plus, je repose le corps à défaut de parvenir à m'endormir. Je me couche pourtant serein et apaisé, mais le sommeil ne me gagne pas. Le jour, c'est le calvaire. Mon esprit est tel un cheval en furie, indomptable et inapaisable, qui part dans toutes les directions telle une girouette dans la tempête, impulsif et sensible à la moindre émotion, à la moindre vexation et sujet à toutes les inquiétudes, sans qu'il ne soit aucunement possible de le raisonner.
Je prends conscience que la route avançant, mon état ne s'améliore guère et que nous nous éloignons fortement de la France, alors même que j'aurai besoin de revenir pour me faire soigner. Je ne me reconnais plus, je me sens malade, j'ai besoin d'être aidé, je suis de plus en plus pesant pour mon compagnon d'infortune, et pourtant je continue de m'éloigner. Devant moi, mon voyage de rêve, un roadtrip avec mon camion, un festival de musique dans les Balkans, un bon compagnon de route, la perspective de retrouver mon frère actuellement en Hongrie avec qui je n'ai pas passé de vrais moments depuis au moins dix ans, la culpabilité de planter Alvaro, et une humeur tellement fluctuante que je ne sais plus à quel saint me vouer. Je fais donc le yoyo, emporté par l'enthousiasme et l'envie de faire face et d'en profiter, démonté par l'anxiété et le désespoir quelques heures après, sans être capable de me tenir à la moindre décision.
Visite du parc de Krka, dans le nord de la Croatie. Grand lieu de tourisme croate, on déambule à travers le parc pour remonter le cours de la rivière et en admirer la féérique succession de cascades. Alvaro mitraille avec son appareil, quand moi-même je ne prends quasiment aucune photo. Nous faisons le point le lendemain. Je lui parle de mon besoin de rentrer. Nous négocions d'aller jusqu'à Sarajevo et de revenir. Nous passons ainsi la frontière et nous voici en territoire bosniaque.
Si la Croatie peut se prévaloir de belles autoroutes bien entretenues, la Bosnie à côté fait criant contraste. Nous constatons sur le bord de route des ruines de maisons, vestiges d'une guerre qui a ravagé le pays, et progressons lentement sous des trombes d'eau qui stagnent lamentablement sur la chaussée. L'histoire du (des) conflit(s) serait trop complexe à expliquer, mais il faut bien comprendre que les bosniaques en ont été les grandes victimes, envahis par les serbes d'un côté, soutenus puis envahis par les croates de l'autre, ravagées par les milices serbes de l'intérieur, qui engagent notamment le blocus complet et le bombardement de Sarajevo. Je me fais la remarque, comme je me l'étais déjà faite au Cambodge, qu'il y a dans l'Histoire des nations qui ont toujours été conquérantes et dominatrices, et d'autres qui ont toujours été les victimes des vélléités d'expansion de ces premières. Les Bosniaques me semblent malheureusement être de ceux là.
Nous arrivons ainsi à Sarajevo, ville historique par excellence, où se mélange pour moi rien qu'à l'évocation du nom tout un imaginaire d'une guerre qui a bercé mon enfance. Sarajevo. Ca sonne un peu comme Bagdad ou Kaboul pour ceux qui ont grandi dans les années 2000. Ville centrale du conflit, ville ravagée par les bombes et la terreur des snipers à chaque coin de rue. Point de départ aussi de la guerre de 14-18 lors de l'assassinat de Francois-Ferdinand. Ville centrale culturellement, multiconfessionnelle, point de rencontre des influences chrétiennes, orthodoxes, juives et ottomanes, lui donnant un air de Jerusalem lorsque l'on passe en quelques rues d'un minaret à une église ou une synagogue. Ville très riche et d'une histoire multiple et fascinante dans tous les cas.
Nous y faisons la connaissance d'un groupe de suisses avec qui nous allons passer les 2 jours à visiter la vieille ville. Celle-ci est agencée en d'étroites ruelles pavées, aux façades anciennes et reliant de nombreux édifices historiques et religieux, très animées avec de multiples boutiques, cafés et restaurants, et il est quand même très agréable de constater que celle-ci s'est relevé de son triste passé. Mais ce passé reste dans toutes les têtes, et il est important derrière la reconstruction de laisser en exergue les stigmates de ce qu'elle fut il y a seulement quelques années. Nous passons donc d'un lieu saint à un autre, d'impacts de balle sur un mur à une plaque commémorative d'une exécution. La visite de l'exposition sur le massacre de Srebenica, puis le témoignage du garçon de café au bar d'en dessous resteront des moments marquants de cette visite.
Le contrat est terminé. On avait dit qu'on allait à Sarajevo et qu'on rentrait. Le Guca Festival est du côté opposé, en Serbie, à 8-10h de route de plus, et il va commencer. Alvaro aimerait y aller. Mais je n'ai plus confiance en mon état, toujours plus versatile et soumis à un harassement grandissant. Mon frère Tim est toujours en Hongrie, il s'est fait voler ses papiers, il n'arrivera pas avant quelques jours. Nous prenons donc dans une ambiance pesante la route du retour.
Zaghreb en fin de journée. Nous faisons escale dans la capitale de la Croatie pour y passer la soirée et la nuit, après une grosse journée de route. Cette fin ne plaît pas du tout. Nous sommes le 7 août, et demain c'est mon anniversaire. Le Guca Festival serait un magnifique endroit pour le fêter. Je n'ai pas envie de rentrer sur un échec. Je n'ai pas envie d'être raisonnable, ni d'obéir à mes peurs plutôt qu'à mes envies. Et puis, rentrer pour quoi ? Je n'ai rien qui m'attend, je n'ai absolument plus l'âme de soigner les autres quand je suis incapable de prendre soin de moi, être ici ou chez moi, qu'est ce que cela va changer à mon état ? Ce projet est mon rêve, il ne se passe pas du tout dans les circonstances dans lesquelles je le souhaitais, mais je n'ai pas envie de tout gâcher. La route est longue pour y arriver, mais de toutes façons je ne dors pas, alors pourquoi ne pas utiliser ce temps là pour rouler ? Je motive Alvaro, exaspéré, par mes revirements de position. Il me demande une heure pour réfléchir. Finalement il accepte.
Et nous voilà repartis en sens inverse, direction : Guca !