Marco Polo, Philippe de Dieuleveult, Mike Horn et les autres (2) : l'aventure, ça se prépare
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Marco Polo, Philippe de Dieuleveult, Mike Horn et les autres (2) : l'aventure, ça se prépare
C'est un fait que la capacité de faire face à l'imprévu et au danger est indissociable de l'aventure. Se vouloir aventurier, explorateur, et fuir le danger, c'est antinomique puisqu'en partant à l'aventure, précisément, le danger, par définition, on s'y expose ! Avec justement l'intention de le braver et d'en triompher. D'où l'association que l'on a spontanément tendance à faire entre aventure et courage, voire même témérité.
Mais il ne faudrait pas en tirer trop hâtivement la conclusion que les aventuriers sont tous des têtes brûlées et des trompe-la-mort. Et paradoxalement, le danger, la plupart des aventuriers font tout leur possible pour le minimiser, même s'il ne peut jamais être totalement écarté. En réalité, pour faire face au danger, le plus important, ce n'est pas tellement le courage... mais c'est surtout, d'abord et avant tout, une bonne préparation. Car même si le recrutement se fait pour une bonne part sur place ou en cours de route, recruter 350 sherpas pour transporter cinq tonnes de matériel comme Edmund Hillary l'a fait quand il s'est mêlé de gravir l'Everest, ça ne s'improvise pas, et ça ne se fait pas non plus sur un claquement de doigts. Je me souviens pour ma part d'une institutrice qui disait : "quand un soldat part à la guerre sans son fusil, il se fait tuer". (Elle aurait pu y ajouter le gilet pare-balles). Eh bien l'aventure c'est un peu comme la guerre : on a beau être disponible, en pleine forme, sûr de soi et incollable sur la survie et sur la maîtrise de son moyen de transport, sans un minimum de préparation, on risque de ne pas faire beaucoup plus long feu que le soldat moderne sans fusil ni gilet pare-balles - ou que le guerrier d'autrefois sans son armure, sa lance et son bouclier - sur le champ de bataille. Un aventurier peut éventuellement partir en solitaire - la course autour du monde en voilier (la Golden Globe Race ou le Vendée Globe, ou encore la Route du Rhum) se fait en solitaire avec réglementation très limitatrice des moyens de secours et des contacts avec l'extérieur - mais il ne part jamais juste droit devant lui, le nez au vent et les mains dans les poches. Ça, c'est un mythe. D'ailleurs, ceux qui se lancent - ou qui sont admis - dans la Golden Globe Race, sur la route du Rhum ou au Vendée Globe sont tous (et toutes) des marins aguerris. On ne se lance pas là-dedans quand on commence à peine à tirer ses bords, à apprendre ses nœuds de marin, ou quand on a à peine mis un pied dans sa coquille de noix que tout de suite elle se barre - ben oui, l'eau est un milieu fluide qui n'offre aucune résistance, pas comme la terre - donc que la deuxième jambe, au lieu de rejoindre la première dans l'embarcation, reste derrière à faire le plongeon, qu'avec ça on risque de faire chavirer sa barque plus qu'autre chose, qu'on risque une version miniature du naufrage et même de boire une bonne tasse, et qu'on a bien besoin de l'aide de ses instructeurs pour se retrouver là où on était censé atterrir en premier lieu. On ne part pas droit devant soi en se contentant de mettre un pied devant l'autre sans savoir à l'avance où l'on va ni comment on y va, le nez au vent et les mains dans les poches, en se disant qu'on verra bien où le vent emportera et où la route mènera. L'aventure, la vraie, demande une préparation autrement solide que ça. Si l'on ne connaît pas les exigences de l'entreprise, ni ses propres limites, ni la façon alternative dont on peut y pallier le cas échéant, ce n'est même pas la peine de se lancer. À moins d'être d'une inconscience proprement désespérante - du genre qui pousse les autres à dire : "désolé(e)s, mais on ne peut rien faire pour toi". Ce n'est pas sans raison que même en aventure assistée façon The Island ou Koh-Lanta, les candidats généralement plutôt citadins qui s'y inscrivent reçoivent au préalable toute une formation et tout un briefing avant d'être lâchés et livrés à eux-mêmes dans une nature hostile. Les aventuriers pur jus, eux, sont des gens aguerris et bien informés des risques qu'ils courent.
Tout d'abord, l'aventurier sait où il veut aller. Bien sûr, il ne choisit pas de préférence une destination connue et courue qui est déjà bien desservie par des moyens plus classiques accessibles aux touristes et aux voyageurs d'affaires. Il n'est d'ailleurs pas à cent pour cent certain d'atteindre sa destination, ni non plus de ce qu'il va y trouver s'il y arrive. La plupart du temps, il est dans la découverte. Mais il a tout de même une idée assez claire de l'endroit où il veut aller, de la raison pour laquelle il veut y aller et de ce qu'il y cherche et espère y trouver. Et ça, c'est la base - parce que les contraintes auxquelles il devra faire face varieront selon l'endroit du monde où il devra se rendre. De l'anti-moustiques, par exemple, ne lui sera pas d'une grande utilité sur l'Everest ni en Antarctique, tout comme des vêtements chauds et des bonbonnes d'oxygène ne lui serviront pas à grand-chose dans la forêt amazonienne, mais de grandes réserves d'eau potable lui seront indispensables s'il compte traverser le Sahara ou le désert de Gobi. Et même s'il n'est pas à cent pour cent certain de ce qu'il va effectivement trouver une fois sur place, il sait au moins ce qu'il y cherche et pourquoi il y va. Il s'agit de sa part d'un choix délibéré qui, lui, est dû à tout sauf au hasard. Sa destination est l'objectif qui le guide. C'est sa boussole, son Étoile Polaire ou sa Croix du Sud.
Ensuite, compte tenu, soit de l'endroit où il se trouve, soit de celui d'où il compte partir, il a une idée du chemin qu'il compte emprunter pour arriver à sa destination. Et vu la nature même de l'aventure, ce chemin a toutes les chances de n'être ni le plus classique, ni le plus couru, ni le plus facile. De par sa nature même, l'aventure est un défi à relever : soit dans sa destination, soit dans le chemin à parcourir pour la rallier (même si d'habitude elle est accessible au commun des mortels par des moyens plus aisés), soit les deux à la fois. Mais il est tout aussi important de bien étudier son parcours que de connaître sa destination, afin d'être aussi bien préparé aux obstacles qu'il présente qu'aux pièges qu'il recèle, que ce soit en matière de relief, de flore et de faune, d'hydrographie, de climat, d'infrastructures (voies et moyens de communication, possibilités de se loger à court terme), de ressources disponibles (ou non) ou d'hospitalité (ou d'hostilité) des populations locales. En matière administrative et politique aussi : bien entendu, traverser des régions sujettes à conflits, à trafics en tous genres ou à guérilla est loin d'être idéal, même pour un aventurier, et s'il doit quand même en traverser de pareilles, il a tout intérêt à avoir au moins une idée de la façon dont il va bien pouvoir se débrouiller pour gérer ce genre de situations. Même si l'issue n'est jamais connue d'avance, il faut quand même avoir une notion des stratégies applicables pour avoir une chance de s'en sortir et la préparation, c'est justement ça. Un certain historique en témoigne : que ce soit pour l'amour de la science, des affaires ou simplement du risque et du défi, plus d'un et plus d'une se sont déjà retrouvé(e)s victimes de prises d'otage voire d'exécutions sommaires et soupçonné(e)s voire accusé(e)s de n'être en réalité que de vulgaires espion(ne)s auxquel(le)s l'aventure, le sport, le commerce ou la recherche ne servaient que de couverture (même si, en retour, de telles accusations pouvaient ne servir que de prétexte pour faire d'eux (et d'elles) de bien précieuses monnaies d'échange dont la valeur était proportionnelle à leur célébrité et à leur intérêt tant pour leur domaine d'activité que pour le gouvernement de leur pays d'origine). Mais il y a aussi le fait que même en ces temps de mondialisation (car même si depuis le covid on parle de plus en plus de relocaliser voire de renationaliser, le monde est encore toujours engagé dans un processus de globalisation), la planète est encore loin de ne former qu'un seul pays unifié, tant s'en faut - pour le meilleur et pour le pire - et qu'à moins de voyager à l'intérieur de l'espace Schengen en Union Européenne, jusqu'à preuve du contraire, on n'entre pas dans un pays étranger comme dans un moulin, même pour partir à l'aventure. On est au contraire plutôt exposé à subir les interrogatoires plus ou moins serrés d'agents de protection des frontières qui voudront savoir pourquoi on est là et ce qu'on a vraiment l'intention de faire sur leur territoire (et qui feront tout pour prendre en défaut celui ou celle qu'ils interrogent, histoire de s'assurer qu'il (ou elle) leur répond bien la vérité). Il faudra donc être en mesure d'apporter à leurs questions des réponses cohérentes et assez détaillées pour satisfaire leur curiosité. La plupart des pays exigent au moins un passeport et beaucoup d'entre eux aussi un visa d'entrée, et certains font dépendre son octroi de conditions très nombreuses et très complexes qui doivent être dûment documentées en plus de la complétion d'un formulaire interminable qui exige des réponses très détaillées et bien circonstanciées. Il y a donc toute une préparation à prévoir en amont pour ces questions-là aussi. Et tout cela prend du temps. Pour les pays les plus exigeants, l'octroi d'un visa peut prendre plusieurs semaines - dans le temps ça pouvait même prendre plusieurs mois dans certains cas mais à l'heure actuelle, la technologie surseoit à beaucoup de choses. Les choses vont certes un peu (beaucoup) plus vite au vingt-et-unième siècle, mais il n'en reste pas moins que même à notre formidable époque, toutes ces questions-là ne se règlent pas du jour au lendemain sur un claquement de doigts.
D'autres questions qui ne se règlent pas du jour au lendemain sont celles du matériel et du moyen de transport. Ce dernier peut être mixte, et certains tronçons du trajet peuvent même se parcourir par des moyens assez classiques et facilement accessibles, le plus difficile (mais non le moindre) étant réservé à l'ultime approche de sa destination (qui est souvent située dans une région moins facilement accessible et pourvue de moins d'infrastructures, et qui recèle plus de dangers aussi). Mais le choix de l'aventurier peut aussi se porter sur un moyen de transport moins classique et aussi moins commode, en partie parce que cela aussi fait partie du défi (ou en constitue même un à soi tout seul), et en partie aussi pour en conserver le contrôle, et avec lui celui de son trajet et de toute son entreprise (utiliser un moyen de transport classique, et surtout en commun, rend dépendant de ses conditions d'utilisation, notamment de sa disponibilité, de ses horaires et de ses conditions d'accès telles que son prix, le maximum de bagages autorisé ou le contrôle de leur contenu, de l'identité du voyageur et des autorisations qu'on lui a données (ou non) d'être là). Quant au matériel, choisir une destination difficile d'accès et un chemin qui la plupart du temps ne l'est pas moins requiert de prévoir un équipement adéquat. Se contenter du strict minimum en la matière n'est même pas forcément une solution : Sylvain Tesson, par exemple, a beau avoir voulu traverser la Sibérie du nord au sud à pied (ou en vélo sur certaines parties de son trajet), il devait alors transporter lui-même sa tente, son sac de couchage, ses quelques vêtements de rechange, son nécessaire de toilette, quelques bouquins qu'il tenait absolument à emporter avec lui, de la nourriture, de l'eau et du menu équipement. Porter une charge qui devait peser au moins une douzaine de kilos sur son dos sur des kilomètres et pendant des heures tous les jours pendant des mois n'a rien d'une sinécure. Parfois même l'équipement est réalisé sur mesure par rapport aux exigences du défi qu'on s'est fixé, comme la veste que portait Edmund Hillary, ses chaussures d'alpiniste ou ses crampons et piolets. Et puis, même en ne prenant en compte que des "bagages" plus ordinaires, l'ensemble de son matériel et de ses provisions, une fois rassemblés, pesait tout de même pas moins de cinq tonnes. Eh oui, on ne prend pas tout simplement le chemin de l'Everest sans autre forme de procès juste après s'être dit lors d'une promenade : "tiens, joli sommet, il a l'air intéressant, j'irais bien y faire un tour pour savoir de quoi le paysage a l'air vu de là-haut". Certes, ce type de curiosité peut servir d'élément déclencheur, mais bon, comment dire, l'Everest, ce n'est pas juste la colline derrière chez soi, même quand on vit dans une vallée encaissée et que la colline en question tient plutôt de la falaise. L'ampleur du défi n'est tout de même pas comparable...
Et puisque nous sommes en train d'évoquer l'Everest, ne perdons pas de vue non plus que si l'Histoire avec un grand H retient surtout le nom d'Edmund Hillary, et avec plus de réticence celui de son compagnon le sherpa Tenzing Norgay (qui est pourtant arrivé lui aussi au sommet avec lui et sans l'aide duquel il n'y serait peut-être jamais arrivé), cela ne veut pas dire qu'ils étaient tous seuls dans cette entreprise. Il n'est pas inutile de le rappeler, son expédition comportait en tout cinq tonnes de matériel et de provisions, et on imagine mal Edmund Hillary porter toute cette charge tout seul sur son dos, même en faisant de nombreux allers-retours, et même avec Tenzing Norgay pour le seconder. De fait, l'expédition dans son ensemble comptait pas moins de 350 sherpas recrutés sur place. Et c'est le moment de dire qu'à part des exceptions comme les skippers qui font le Vendée Globe, la Golden Globe Race ou la Route du Rhum, les aviateurs des débuts qui volaient en monoplace ou des gens comme Sylvain Tesson ou Béatrice Saubin, la plupart des aventuriers ne se lancent pas dans leurs entreprises tous seuls mais qu'ils emmènent au contraire toute une équipe avec eux. Ni Roald Amundsen, ni Ernest Shackleton, ni Robert Scott ne sont partis tous seuls à la conquête du pôle Sud. Cristobal Colombo n'est pas parti tout seul tenter de rejoindre les Indes par l'ouest (et de prouver par la même occasion la rotondité de la Terre à une Europe sceptique) : il a affrété pour ce faire non pas un, mais trois bateaux (en emmenant avec lui notamment Hernán Cortes et cet Amerigo Vespucci qui a donné son prénom à l'Amérique). Fernando de Magalhães a lui aussi affrété toute une petite flotte pour ce qui est devenu par accident la première circumnavigation connue dans l'Histoire (même si seuls deux navires en ont revu leur port d'attache et même si lui-même est mort avant le voyage de retour). Marins des Grandes Découvertes ou marchands de la Route de la Soie traversant le désert, il voyageaient les uns et les autres avec tout un équipage dans leurs caravelles ou leurs caravanes (des caravanes qui n'avaient rien du véhicule annexe que l'on désigne aujourd'hui sous ce nom : à l'époque, c'était le terme employé pour désigner l'ensemble des participants à une traversée du désert, de leurs montures, de leurs bêtes de somme, de leur matériel, de leurs provisions et de leurs marchandises). Marco Polo n'est pas allé lui non plus tout seul jusqu'en Chine, même s'il a fait les choses en plus petit comité. Et les aventuriers de nos jours, de Nicolas Hulot à Mike Horn en passant par Philippe de Dieuleveult, montent leur petite entreprise ad hoc avec un personnel qui les assiste dans la préparation logistique et administrative comme dans le soutien sur place comme à distance en cours de route (d'ailleurs Mike Horn, de son propre aveu dans une interview, a pensé abandonner l'aventure après le décès de sa femme Cathy, qui jouait ce rôle, et il n'a continué que parce que ses filles ont décidé de reprendre le flambeau de leur mère).
L'aventure, c'est certes se poser des défis à relever, mais ce n'est pas pour autant partir droit devant soi à l'improviste sans aucune préparation. L'aventure, cela demande toute une logistique, et pour cette raison-là, cela demande une longue période de préparation préalable dans l'ombre, sur tous les plans, plus exigeante encore que ce que peut être la préparation d'un voyageur d'affaires ou d'un touriste vacancier. Une période de préparation qui n'est pas le sujet abordé avec le plus grand luxe de détails quand on évoque les exploits d'un aventurier, et que l'on ne soupçonne pas a priori de la part de quelqu'un qui apparemment s'expose au danger, à l'incertitude et à l'inconnu. Une période de préparation qui se passe dans l'ombre et dans la discrétion, loin des feux des projecteurs, mais qui non seulement n'est pas la moins active mais en représente peut-être aussi la part la plus nécessaire au succès de l'entreprise. Une partie qui consiste en documentation, en évaluation des moyens et ressources disponibles ainsi que des contraintes à prendre en compte, en élaboration de divers plans A, B, C et autres (parfois c'est carrément tout l'alphabet qui y passe), puis en fonction de tout cela en rassemblement de tout le nécessaire avant de se mettre en route.
Et "last but not least" comme disent les Anglo-Saxons, il faut bien évoquer aussi le nerf de la guerre, le nerf de tout en fait : l'argent. Le nécessaire à rassembler pour partir à l'aventure, même en se limitant au strict minimum, ce n'est pas gratuit. Pendant l'aventure en soi, il faut également subsister. Et pendant qu'on se prépare, il faut aussi faire ses courses et payer son loyer... et vivre sa vie quotidienne ordinaire comme on le fait tous les jours. Alors de quatre choses l'une : ou bien on a la chance de disposer d'une fortune personnelle et on l'utilise pour financer son projet ou même plus généralement sa passion ; ou bien on est juste un citoyen tout à fait ordinaire, donc on s'intègre temporairement à la vie active, mais on vit très frugalement et on consacre l'essentiel de ses rentrées à préparer son prochain projet de voyage-découverte, comme le faisait en son temps Béatrice Saubin ; ou bien on va de lieu en lieu et on vit au fur et à mesure de petits boulots sur place juste le temps de rassembler de quoi continuer sa route, comme le fait Sylvain Tesson ; ou bien on rentabilise ses voyages et ses découvertes en écrivant des livres à leur sujet comme Alain Gerbault ou Sylvain Tesson, ou en tournant des documentaires à destination et en les vendant à des chaînes de télévision comme l'ont fait en leur temps des gens comme Philippe de Dieuleveult ou Nicolas Hulot. Ou encore en se faisant sponsoriser comme les skippers de la Golden Globe Race, du Vendée Globe ou de la Route du Rhum. Certains montent même leur propre boîte de production pour réaliser documentaires, émissions de téléréalité ou événements divers, dont les bénéfices leur servent à financer leurs prochaines expéditions (on pense entre autres à Nicolas Hulot ou à Mike Horn). D'autres se servent de leurs exploits pour créer un nouveau secteur économique et deviennent des hommes (ou femmes) d'affaires, comme Charles Lindbergh ou Louis Blériot fondant leurs propres compagnies aériennes. Certes, tout cela écorne quelque peu l'image d'Épinal romantique et romanesque de l'aventurier qui part droit devant lui tout à fait gratuitement, juste pour l'amour de l'exploit et de la découverte et aussi par goût foncier du risque (et bien entendu sans se soucier le moins du monde de considérations plus terre-à-terre). Mais il ne faudrait pas se faire d'illusions sur les aventuriers de l'ancien temps. À l'époque de ce que l'on a appelé en Europe "les Grandes Découvertes", et même ailleurs bien avant ça, tout le monde savait que l'exploration constituait un risque vital - surtout avec les moyens dont on disposait à l'époque et la part d'inconnu qui était beaucoup plus grande que ce qu'elle est aujourd'hui - donc personne ne se lançait dedans juste pour l'amour de l'art. La notion même d'exploit était d'ailleurs étrangère aux mentalités de l'époque. Si un voyage de découverte était entrepris, c'était avec l'intention de réaliser un gain économique, par exemple la découverte d'une nouvelle zone de pêche plus poissonneuse ou bien d'une nouvelle route commerciale qui donnait un avantage économique à un pays. De telles expéditions étaient d'ailleurs financées par les princes de l'époque - qui jouaient un rôle analogue à celui des sponsors d'aujourd'hui - et les routes maritimes comme les zones de pêche étaient des secrets aussi jalousement gardés que le sont aujourd'hui les procédés industriels brevetés (et les histoires de monstres marins qui circulaient alors jusque sur les cartes marines servaient aussi entre autres à protéger ces routes en espérant décourager les explorateurs trop audacieux et trop curieux). Et les volontaires pour braver le danger et l'inconnu étaient aussi appâtés par la promesse d'une rente à vie qui, une fois l'exploration menée à bon terme, mettrait eux-mêmes et leurs familles à l'abri du besoin pour le restant de leurs jours. Ce qui signifie qu'aux yeux des gens de l'époque, celui qui signait pour une deuxième exploration après en avoir mené une à bien n'était qu'un grand inconscient et un tout aussi grand irresponsable (à moins, bien entendu, de ne pas avoir de famille à nourrir). Comme quoi tous ces gens qui nous font rêver n'étaient finalement pas aussi désintéressés que l'on pourrait se l'imaginer à force d'entendre tant de monde les célébrer et si peu de gens évoquer les contraintes matérielles de ce genre d'existence (le plus souvent résumées assez lapidairement par "un risque vital et un gagne-pain aléatoire").
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