Marco Polo, Philippe de Dieuleveult, Mike Horn et les autres (9) : le sens de l'aventure au XXIème siècle
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Marco Polo, Philippe de Dieuleveult, Mike Horn et les autres (9) : le sens de l'aventure au XXIème siècle
L'opinion qui dit que tous les malheurs de l'humanité découlent de son incapacité à rester sur place et à se débrouiller avec son sort est certes partagée par cette majorité de gens ordinaires qui répondra, une fois encore, que si l'on peut encore comprendre l'importance du rôle joué par les aventuriers d'autrefois dans un monde confronté aux pénuries et à beaucoup d'ignorance de son environnement, la situation n'est plus la même aujourd'hui que notre belle planète est désormais bien connue et dûment cartographiée jusque dans ses moindres recoins et que nous disposons d'une technologie avancée (satellites, drones, etc...) qui sursoit à beaucoup de choses et qui devrait pouvoir rendre inutiles les risques pris par les aventuriers tout en découvrant plus de choses qu'aucun d'entre eux devrait pouvoir le faire physiquement. Leurs exploits n'en sont-ils pas devenus gratuits et dérisoires, méritant le sarcasme d'un Paco Rabanne dans un de ses livres où il écrivait à ce sujet : "à quand la traversée de l'Atlantique dans un panier à salade" ? On sait désormais où les pôles se trouvent, on y est allé physiquement, on sait que l'Antarctique et la Sibérie sont des régions inhospitalières pour l'être humain et qu'il ne fait pas bon y vivre pour notre espèce - le Sahara, le désert de Gobi et l'Himalaya non plus d'ailleurs - on sait que 75 % de la surface de notre planète sont recouverts par les mers, par les océans et par l'eau en général - qu'espère-t-on encore en savoir de plus ? Qu'attend-on encore d'une augmentation de nos connaissances pour améliorer nos vies ?
Croit-on vraiment qu'atteindre et éventuellement transformer des planètes lointaines en mondes habitables pour l'humanité est ce qui va nous sauver de notre gestion pour le moins pitoyable des ressources de notre bonne vieille Terre ? Croit-on vraiment qu'exporter notre incurie terrestre sur d'autres planètes est la solution à tous nos problèmes ? Le moment n'est-il pas plutôt venu de nous ancrer sur place entre quatre murs, de revenir à des ambitions plus modestes et surtout plus mesurées, et de nous contenter humblement de faire de notre mieux là où nous sommes ? Et d'ailleurs, les découvertes apportées par l'exploration et l'aventure ont-elles vraiment engendré autant de bienfaits qu'on le dit ? Ne sont-elles pas plutôt à l'origine de tous nos problèmes, et si elles ont changé la face du monde et le cours de l'Histoire, l'ont-elles réellement fait pour le mieux ? Les peuples de la Terre n'auraient-ils pas vécu plus heureux s'ils étaient restés dans l'ignorance les uns des autres ? Et de toute façon, même en admettant qu'exploration et aventure aient pu avoir un rôle à jouer dans l'évolution de l'humanité par le passé, leur rôle n'est-il pas aujourd'hui dépassé, jusqu'à les pousser à se caricaturer elles-mêmes ? La fameuse "traversée de l'Atlantique dans un panier à salade" ? L'aventure a-t-elle encore un sens de nos jours ?
On peut répondre que sensé ou non, et quelle que soit l'origine de ce sillon gravé dans le cerveau collectif de l'humanité, le goût de l'aventure fait partie de la nature humaine, qu'il s'est trouvé renforcé du fait d'avoir peut-être contribué à sa survie et à l'amélioration de ses conditions de vie matérielles dans le passé, et que cela, même en l'absence de toute autre raison, suffit largement à lui donner un sens. On pourrait aussi ajouter que l'être humain, en cherchant constamment à élargir son champ d'action, ne fait qu'augmenter ses chances de survie, que c'est bien là au fond le vrai but de l'opération et que cela suffit plus que largement comme justification. Comme à l'époque de l'éruption du super-volcan Toba et du refroidissement planétaire qui s'en est suivi, quand une bonne partie des humains qui y ont survécu ont décidé de quitter l'Afrique, le berceau de leur espèce, dans l'espoir de retrouver ailleurs de meilleures conditions de vie.
Certes, il est toujours possible de répondre à ce sujet que si les conditions de survie de l'humanité se sont finalement améliorées à cette époque-là, c'est plus parce que le climat planétaire a quand même fini par se réchauffer de nouveau à un moment donné (quand les cendres de l'éruption du Toba sont enfin retombées et ont enfin fini d'obscurcir le ciel et de voiler le Soleil) que parce que ceux qui avaient émigré ont fini par trouver mieux ailleurs, qu'à l'heure actuelle la Terre a été entièrement cartographiée et que sa surface n'a pratiquement plus de secrets pour personne - en tout cas on ne trouve plus sur les cartes les zones blanches d'autrefois qui indiquaient des terres encore inexplorées et même si c'était encore le cas, on disposerait de la technologie suffisante pour les explorer sans que quiconque soit obligé de se rendre physiquement sur place - et que pour ce qui est d'élargir le champ d'action de l'humanité, il n'y a pas vraiment l'urgence que certains semblent vouloir nous faire croire. Vivre sous des climats extrêmes, dans un environnement souterrain ou même sous la mer donne déjà l'occasion de faire assez d'expériences et de tester suffisamment de limites en environnement contrôlé, et même si d'aucuns évoquent la possibilité pour l'humanité de migrer vers d'autres corps célestes - à l'instar d'un Elon Musk qui apparemment rêve de mourir sur Mars - on peut dire qu'avec un horizon de cinq milliards d'années avant que la Terre se fasse absorber par un Soleil vieillissant, ou même de deux milliards d'années avant que notre bonne vieille Voie Lactée et la galaxie Andromède entrent en collision avant de s'unir pour former une seule galaxie elliptique, euh, comment dire... on a le temps de voir venir, quoi qu'en disent certains astronomes sur Discovery Science ou ailleurs, et qu'il y a peut-être quelques problèmes un peu plus urgents à résoudre sur notre bonne vieille Terre entre-temps. D'ailleurs j'avoue qu'à titre personnel, je ne suis pas vraiment sûre qu'exporter notre incurie terrestre sur d'autres planètes (de toutes façons pas habitables par les humains dans l'état actuel des choses) soit vraiment la voie à suivre ni la solution à tous nos problèmes.
Il n'en reste pas moins que partir à l'aventure, même en préparant soigneusement son coup pour réduire l'incertitude autant que possible, c'est expérimenter l'extrême et tester ses propres limites. Et expérimenter l'extrême, tester ses propres limites et les limites humaines en général, c'est surtout augmenter ses propres chances de survie ainsi que celles de l'humanité. C'est un fait que par exemple, être tout perdu en mer sans navigation par satellite ni communication avec la terre ferme n'est pas un avantage quand on se retrouve en haute mer, et que le marin qui est capable de se débrouiller avec un simple sextant dispose d'un avantage indéniable dès qu'une technologie plus sophistiquée fait défaut. Savoir qu'il est possible de se débrouiller avec peu ou de tirer parti de son environnement dans des situations extrêmes a quelque chose de rassurant, pour soi-même bien sûr mais aussi pour les possibilités humaines en général. L'aventure en télé-réalité a au moins l'avantage de faire prendre conscience aux citadins que beaucoup d'entre nous sont devenus de leurs limitations en cas de rupture de ce confort que nous avons appris avec le temps à considérer comme la normalité sans plus réaliser à quel point il est fragile, et peut-être peut-elle contribuer à déclencher au moins chez certains quelques réflexes salutaires. L'aventure fait prendre conscience de l'essentiel à celui qui la vit, et elle lui enseigne aussi à quel point il est possible de vivre en se contentant de peu.
Et puis, surtout, Philippe de Dieuleveult, de son vivant, disait aussi que l'aventure est la meilleure école de dépassement de soi et le meilleur exemple de dynamisme et de refus de la résignation qu'il soit possible de donner, surtout en temps de crise quand tout le monde a un peu beaucoup tendance à baisser les bras et à se convaincre de son impuissance. C'était le message qu'il tentait de faire passer dans les années quatre-vingt avec son association "Passeport Bleu".
Quant à Mike Horn, il affirme qu'en entraînant ses deux filles dans l'expérience du Grand Nord, il ne leur a pas seulement donné des leçons de survie, mais il les a emmenées à la meilleure école de vie, de solidarité et d'attention à l'autre - parce qu'en environnement extrême, là où il vaut mieux ne pas tenter l'aventure vraiment tout seul, soit on se sauve ensemble, soit on se perd ensemble...
Connaître ses limites, les tester, se dépasser soi-même, prendre conscience de l'essentiel, donner à soi-même et aux autres la confiance de savoir qu'il est possible de survivre avec peu et de vivre de peu, sortir les gens de la résignation, du marasme et de la dépression en leur donnant un exemple de dynamisme et d'esprit d'entreprise qui, en les faisant rêver, peut les mettre en mouvement et changer les choses jusque dans la société établie, montrer aux gens que rien n'est impossible à quelqu'un de suffisamment déterminé, approfondir la connaissance de son environnement, des ressources qu'il recèle et des moyens d'en tirer parti et d'y faire face, et surtout prendre conscience du caractère vital de notre environnement et donc de l'importance de le respecter et de ne pas le saccager aveuglément comme on le fait trop souvent par ignorance, par négligence, par inconscience ou par cupidité : voilà tout ce que peut encore apporter l'aventure, même de nos jours. Être confronté à un environnement extrême peut faire prendre conscience du caractère indispensable de la solidarité, de l'interdépendance et de la complémentarité. Et tout cela, c'est l'apport, potentiel comme réel, de l'aventure, non seulement pour l'aventurier lui-même ou pour l'équipe qui l'accompagne et le soutient, mais aussi pour le monde dans lequel il vit. L'aventure n'est donc pas juste un business gratuit où ceux qui y prennent part gagnent leur vie et font vivre leurs familles juste en vendant au reste du monde un peu de rêve. Elle a un rôle à jouer dans la société, dans le monde et dans l'évolution de l'humanité. Elle a des valeurs à transmettre. Même de nos jours.
Peut-être même surtout de nos jours.
Crédit image : © Getty images - pixdeluxe
Chantal Perrin Verdier 7 months ago
Un point de vue intéressant et constructif. Je doute cependant que l'aventure favorise le meilleur en nous ; à cause de notre nature instable elle peut nous pousser à détruire toute solidarité ou complémentarité justement pour une question de survie.
Je rejoins Jean-Michel Joubert sur la notion de curiosité : c'est je crois ce qui distingue la race humaine des autres espèces. Notre évolution (au sens le plus strict) en a souvent dépendu.
Jean Michel Joubert 7 months ago
point de vue à discuter car dans la plupart des sociétés humaines et animales, c'est au contraire le fait de rester en groupe qui augmente les chances de survie de la tribu , de la horde ou du troupeau.
Jackie H 7 months ago
Pour ma part, je dirai plutôt que l'aventure, comme toute activité humaine, n'est jamais que ce qu'en fait celui qui s'y livre, de la même manière qu'un outil ne vaut jamais que par l'usage qu'en fait celui qui l'utilise. Quant à la question de savoir si l'aventure et la survie extrême renforcent la solidarité ou au contraire exacerbent l'individualisme voire l'égoïsme, je pense que tout dépend de la situation : l'autre est-il perçu comme un concurrent, voire un danger, ou au contraire comme un allié indispensable ?
Chantal Perrin Verdier 7 months ago
Merci beaucoup à tous deux. J'ai obtenu les précisions que je désirais.
Jean Michel Joubert 7 months ago
Belle démonstration et très exacte mais tout peut se résumer en un seul mot : la curiosité, héritée peut-être de nos lointains ancêtres qui avaient besoin de connaitre et d'utiliser au mieux leur environnement et détecter l'approche du gibier et des prédateurs.
Jackie H 7 months ago
Tout à fait !