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Hasard de voyage, Chapitre 2 : La démesure

Hasard de voyage, Chapitre 2 : La démesure

Published Jan 9, 2023 Updated Jan 9, 2023 Travel
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Hasard de voyage, Chapitre 2 : La démesure

Dix minutes s’étaient écoulées depuis le départ de ses deux amis. Cela peut paraître court, mais elles furent interminables pour la pauvre Camélia, inconsolable. Un mélange d’incompréhension et de tristesse avait enclenché en elle un véritable ascenseur émotionnel. Jamais elle ne se serait attendue à une situation pareille. Que devait-elle en déduire ? Elle n’en savait rien, et elle n’était clairement pas en état d’y réfléchir.

Sa peine s’intensifia lorsque la collègue au mouchoir se dirigea vers la table réservée par le groupe. Cette dernière, remarquant l’état émotionnel préoccupant de sa cliente, n’eut pas d’autre idée que de lui demander si Martin allait bientôt revenir car sa pause était terminée. La jeune femme en pleurs se tourna vers la serveuse, lui lança un regard noir et, dans un excès de rage, jeta son assiette encore bien garnie à terre en poussant un cri. Estomaqués par ce comportement révoltant, certains clients se ruèrent sur la serveuse afin de s’assurer que tout allait bien. Ils furent cependant directement renvoyés à leur table par l’employée de restauration qui semblait visiblement être la seule à comprendre ce geste incontrôlé.

Suite à cet incident, Camélia parvint à se calmer et s’excusa tout en aidant la serveuse à ramasser les débris de l’assiette. Elle en profita pour lui avouer son ignorance concernant l’éventuelle reprise de poste de son ami, lui proposa de l’appeler sur son portable, régla l’addition et quitta la brasserie. Une fois dehors, elle respira profondément, regarda le ciel menaçant au-dessus de sa tête et commença à marcher, droit devant elle. Où se dirigeait-elle ? Elle s’en moquait complètement. Il lui fallait décompresser après ce qui venait de se produire et, à cet instant, la seule façon d’apaiser son esprit fut d’avancer, portée par le vent.

De son côté, Olivia avait déjà regagné l’établissement scolaire et voulait s’isoler. Malheureusement, elle fut immédiatement alpaguée par un membre du corps enseignant qui se demandait justement où elle était passée. De nature sociable, l’institutrice demeurait pourtant très évasive sur sa vie personnelle. Celle qui se confiait déjà très peu à ses meilleurs amis risquait encore moins d’en raconter auprès de ses collègues qu’elle ne portait pas spécialement dans son cœur. Elle savait qu’il était préférable de garder pour elle tout élément qui pourrait éventuellement se retourner malencontreusement en sa défaveur. L’une de ses anciennes collègues en avait déjà fait les frais par le passé et cela lui avait coûté sa place. Depuis ce jour, nulle question de parler de soi sur son lieu de travail. Elle préféra ne pas répondre et se rendit aux toilettes, dans lesquelles elle s’installa pour pleurer à chaudes larmes.

Pensant enfin être tranquille en étant sur le trône, elle se mit à parler toute seule. Ce profond monologue dura approximativement dix secondes car sa collègue professeure de musique, qui se trouvait dans le cabinet d’à côté, prit la parole pour discuter du repas infect servi le midi-même à la cafétéria et sembla sur le point de décrire ses problèmes gastriques. C’en fut trop pour Olivia, qui ne put en supporter davantage. Elle abandonna sa cabine solitaire avant que cette dernière ne se transforme en confessionnal et arpenta les couloirs de l’école en essayant tant bien que mal de réfléchir à la situation. Mais à cette heure-ci, élèves et enseignants sortirent presque simultanément de l’espace de restauration et déambulèrent un peu partout dans les couloirs.

Se sentant oppressée par une agoraphobie grandissante, elle prit une décision radicale, bien que potentiellement lourde de conséquences. Cinq minutes plus tard, elle se retrouvait dans le bureau du directeur en compagnie de quelques-uns de ses collègues et de deux de ses élèves.

Concernant notre serveur aux cheveux longs Martin, il avait pris le chemin de son domicile à toute allure. Parti en même temps qu’Olivia et sans concertation aucune, il avait foncé tête baissée droit devant lui. Sa course fut néanmoins interrompue par un feu de signalisation qui l’empêcha de se rendre sur le trottoir d’en face. Cette micro-pause lui permit de se calmer et de réduire sa tension, bien trop élevée à son goût. Il traversa immédiatement au moment précis où le caisson piéton brillait en sa faveur mais manqua de se faire renverser par un automobiliste ayant grillé le rouge. Cette grosse frayeur le fit reculer et il souffla quelques instants en s’installant sur un banc. Tant pis pour la poubelle odorante qui se trouvait juste à côté, l’heure était à la réflexion !

Une dame âgée, qui venait vraisemblablement tout juste de revenir d’un séjour chez le coiffeur, lisait son journal en lançant quelques miettes de pain à la vingtaine de pigeons présents sur les lieux. Cela permit à Martin de s’apercevoir qu’il semblait allergique aux volatiles. Ou peut-être au parfum irrespirable de sa colocataire bancale… Nul ne le saura jamais. Il salua les pigeons, regarda la grand-mère et reprit sa route jusqu’à la prochaine installation propice à recevoir son fessier. C’est en se prenant un poteau un peu plus loin qu’il songea enfin aux conséquences de sa fuite. Il se rendit soudainement compte qu’il avait déserté son lieu de travail en plein service ! Devait-il y retourner ? Son téléphone portable prit la décision pour lui puisqu’il reçut au même moment un appel d’une de ses collègues.

Ni une ni deux, il fit demi-tour et rebroussa chemin pour retourner à la brasserie. Il eut l’impression de perdre la tête car, en repassant devant le précédent banc, il vit quelques pigeons sur celui-ci et la vieille dame en train de manger les miettes de pain sur le sol… Par la suite, il se rappela être passé devant une maison de retraite, réputée pour perdre régulièrement ses pensionnaires de vue. Cela lui permit d’établir un lien qui le rassura sur son propre état psychologique. Il était temps que cette journée se termine. Sa plus grande hantise était son interrogation sur sa relation amicale avec Camélia. Après une réaction aussi impulsive, qu’allait-elle penser de lui ? Il espérait ardemment la retrouver là où il l’avait abandonnée, quelques minutes auparavant.

Anna, la serveuse qui fut témoin et « victime » de la petite crise d’hystérie de Camélia, pensait poursuivre sa journée de travail tranquillement et sans histoire, suite au départ de cette dernière. Mais le destin en décida autrement. En effet, De la même manière qu’ils étaient partis vingt minutes plus tôt, Olivia et Martin réapparurent simultanément dans la brasserie. L’accueil fut cependant loin d’être chaleureux, surtout pour Martin, qui fut reçu par son patron, et devant toute la clientèle en plein milieu de la salle. Le savon qu’il lui passa fut si mousseux qu’en contrepartie de la perte de son emploi, Martin allait pouvoir se laver pendant vingt longues années, si ce n’est plus.

Olivia, choquée de l’attitude du chef d’entreprise, l’interrompit pour défendre son ami. Elle précisa qu’elle et lui en avaient marre de cette société « pourrie et inintéressante » et qu’il était temps pour eux de s’amuser et de profiter. Elle remercia en regardant autour d’elle tous ceux qui avaient cru en son ami et avaient été attentionnés et sympathiques envers lui, et clôtura en expliquant qu’il s’agissait de la dernière fois qu’ils le voyaient. Martin en resta bouche bée, ainsi que tous les gens qui venaient d’assister à cet éloquent discours. Le patron, furieux, regagna son bureau sans un mot.

Anna souhaita une bonne continuation à son collègue, remercia Olivia pour ce qu’elle venait de faire en précisant tout en chuchotant que c’était mérité et décrivit la scène produite par Camélia un peu plus tôt. Elle mit fin à cette entrevue en leur conseillant de la rattraper. Après tout : c’était bien pour cette raison qu’ils avaient fait le choix de revenir, non ? Nos deux amis se mirent donc en quête de la retrouver et arpentèrent les rues sous la pluie battante qui venait tout juste de commencer à tomber.

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