Hasard de voyage, Chapitre 1 : Le déclic
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Hasard de voyage, Chapitre 1 : Le déclic
Olivia le sentait : ce mercredi 10 Avril allait marquer son renouveau. Âgée de trente-six ans, cette ancienne institutrice avait décidé de mettre fin de à sa carrière après douze années de bons et loyaux services. La raison ? Un désir profond de changement, tout simplement. Cela faisait déjà plusieurs mois qu’elle sentait que sa vie manquait de piquant. La linéarité de son quotidien lui était devenue insupportable mais elle se refusait de tout quitter. Elle avait le sentiment que cette routine se créerait de nouveau plus tard et cette pensée lui faisait abandonner toute idée novatrice.
Nous sommes toutes et tous confrontés à des choix durant notre existence. Tout un tas de décisions prises, qu’on le veuille ou non, mais qui toujours nous inflige une réflexion profonde. Souvent, il ne nous suffit que d’un seul petit déclic pour que nous trouvions la force de nous lancer. Ce déclic, notre protagoniste l’eut lors d’un déjeuner avec ses amis du même âge qu’elle, Martin et Camélia.
Le premier fit des études de droits qui n’aboutirent pas et le dégoutèrent du métier. Il entama par la suite une formation qualifiante pour le métier d’ébéniste qui lui plut mais se blessa lors d’un atelier. Il manqua de perdre l’usage de l’un de ses pouces et par conséquent décida d’arrêter. Commençant à redouter l’avenir et l’instabilité professionnelle, il commença à postuler pour plusieurs métiers divers et variés, requérant peu ou pas d’expérience et fut finalement embauché en tant que serveur dans un établissement, certes réputé mais dans lequel il était sans cesse confronté à une clientèle très exigeante et peu aimable.
La seconde avait mis fin à ses études après l’obtention de son Baccalauréat car elle ne s’épanouissait pas dans l’apprentissage. Romantique en série, elle avait enchainé les conquêtes jusqu’à trouver la perle rare, trois ans après sa majorité : un médecin tout juste diplômé avec lequel elle avait fini par emménager. Rapidement, il y eut un projet de mariage, concrétisé quelques mois plus tard. Suite à cet heureux évènement, elle se promit de fonder une famille avec son mari. Cependant, après plusieurs essais infructueux elle découvrit, lors d’un rendez-vous médical avec une collègue de son époux, son infertilité. Très affectée par cette nouvelle et refusant catégoriquement d’avoir recours à l’adoption, elle sombra dans une dépression qui dura six mois environ, jusqu’à ce qu’une promenade en ville, un beau jour, y mit fin. En effet, elle croisa le chemin d’un musicien itinérant qu’elle écouta durant une vingtaine de minutes avant de poursuivre sa route. Cette expérience lui fit découvrir son goût pour la musique et elle décida d’apprendre à jouer de quelque chose. Détentrice d’un harmonica suite à un héritage familial, son choix se porta sur cet instrument qu’elle ne connaissait guère mais dont la mélodie singulière l’apaisait. Son statut de demandeuse d’emploi ne lui permit pas de s’ennuyer car ses journées furent rythmées par de nombreux visionnages de tutoriels sur Internet. Elle avait décidé de maîtriser l’harmonica en autodidacte. Une fois un peu plus à l’aise, elle passa le plus clair de son temps en extérieur, dans les rues ou les forêts à en jouer, pour un public souvent pas très regardant, mais elle aimait énormément cela.
Le groupe de trois se connaissait depuis la Maternelle et chacune de leurs rencontres était un prétexte pour se raconter quelques anecdotes hilarantes et innombrables souvenirs respectifs. Il était environ midi trente quand Olivia rejoignit ses compagnons pour ce fameux déjeuner dans la brasserie qu’ils fréquentaient régulièrement. Située juste en face du collège dans lequel elle travaillait, il lui était aisé de pouvoir s’y sustenter lorsqu’elle le souhaitait, loin du vacarme provoqué par ses « immondes collègues » de la salle des profs. De plus, il s’agissait du lieu de travail de Martin, par conséquent il n’en fallait pas plus pour que cet endroit devienne le quartier général de la bande. Le petit groupe avait pris l’habitude de se retrouver ici deux à trois fois par semaine en fin de journée, excepté les vendredis car la pause du midi des deux travailleurs coïncidait, leur permettant ainsi de pouvoir déjeuner ensemble.
Camélia attendit que tout le monde soit installé et ait fait sa commande pour faire une annonce. Cette dernière laissa Olivia sans voix. Quant à Martin, il fit tout pour retenir ses larmes. Leur amie avait décidé de…partir en voyage. Mais pas un simple voyage qui durerait un weekend ou une semaine. Non, elle prévoyait de s’absenter pendant plusieurs mois pour réaliser un tour du Monde. Cette idée sortie de nulle part lui était venue en s’apitoyant sur sa relation de couple quelques jours auparavant. Son mari ne la regardait plus depuis des mois et rentrait de plus en plus tard le soir. Elle avait dans un premier temps soupçonné une tromperie et en souffrait, puis cette rage qu’elle ressentait au fond d’elle s’était peu à peu transformée en source d’inspiration pour un projet libérateur de sa vie monotone. Elle ne voulait pas d’un divorce car elle s’entendait très bien avec son homme et ne lui reprochait absolument rien, mais elle avait tout de même décidé de partir sans le prévenir. Cette envie d’évasion, elle précisa l’avoir toujours ressentie, depuis toute petite grâce à sa mère, ancienne hôtesse de l’air à la retraite, qui lui comptait sans cesse les péripéties de ses voyages dans les airs. La seule chose qui la fit hésiter jusqu’au dernier moment fut son instabilité financière. Mais le goût du risque et de l’aventure l’avaient tout de même fait sauter le pas.
Lorsque Martin lui demanda la date du départ et que Camélia répondit « En réalité… Je pars ce soir. » Olivia parvint finalement à prononcer une phrase, qui pour le coup cloua sur place ses deux amis en retour : « Je t’accompagne. » Cette absence de réflexion surprit Camélia, qui la savait extrêmement prudente et réfléchie dans la vie de tous les jours. Mais ce qu’elle ignorait, c’est que son amie, comparée à elle, demeurait relativement discrète sur sa vie et ses ressentis. Sans doute ne voulait-elle pas inquiéter ses deux amis avec ses problèmes ou ses coups de blues. Martin rétorqua pour clôturer cette annonce « Jamais deux sans trois ! ».
Á cet instant précis, les trois mousquetaires se mirent à pleurer si intensément que l’une des collègues de Martin dut leur apporter des serviettes en papier supplémentaires. Après deux ou trois minutes d’émotion forte, chacun reprit ses esprits et Camélia, bien qu’extrêmement heureuse sur le moment, coupa court aux ambitions de ses deux amis en insistant sur leur impossibilité de l’accompagner. Non pas qu’elle préférait voyager seule, bien au contraire, mais il fallait tout de même réfléchir. Qu’allaient-ils faire de leurs emplois respectifs ? Pour elle, il était impossible qu’ils soient prêts et qu’ils veuillent réellement tout quitter. Certes, tous deux étaient célibataires et sans animaux, mais tout de même. Elle affirma que, malgré son intention de ne pas avertir son mari, ses affaires étaient déjà prêtes et sa décision mûrement réfléchie. Suite à cette réplique, Olivia et Martin se regardèrent sans prononcer le moindre mot, enfilèrent leurs manteaux et quittèrent la brasserie.