De la déforestation à la pandémie
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De la déforestation à la pandémie
Voir les racines de la pandémie : déforestation, urbanisation, industrialisation effrénées, offrent aux microbes d’arriver jusqu’à nous
Depuis quelque temps je souhaite rédiger une courte page susceptible de tracer le tableau de ce que je ressens avec cette fameuse pandémie, mais je reçois ou découvre des articles à ce propos qui sans cesse repoussent cet acte d’écriture. Alors, aujourd’hui encore je donne à lire des textes qui évoquent la crise dans toutes ses dimensions : crise sanitaire, crise économique, crise sociale, crise humanitaire.
Humanitaire ! Là, je m’interroge sur l’égoïsme européen. Aux informations nous n’entendons plus parler de la frontière gréco-turque. Les familles migrantes sont oubliées. Et c’est tout juste si l’Afrique existe. Heureusement la chaîne Arte se montre plus attentive à la dimension mondiale. Heureusement, il semble que l’État ait compris que le confinement des personnes qui sont sans logement ne peut avoir lieu que si l’on donne justement des abris. Il est toujours possible de réquisitionner les logements vides. Espérons une rapide concrétisation.
Je vous livre maintenant la prise de position d’un universitaire à ses élèves (télétravail).
<< Bonjour,
« Contre les pandémies, l’écologie » : Le Monde diplomatique de ce mois de mars propose un article stimulant sur les ressorts de la crise actuelle.
Dans cette période, si l’on parle énormément des effets du coronavirus, on entend peu de réflexions sur ses causes. En voici une, en provenance d’une source fiable. La rédactrice, spécialiste des pandémies, impute le déclenchement de l’épidémie actuelle à l’industrialisation effrénée, notamment à celle de la Chine qui, depuis quelques décennies, est devenue l’“usine” de la planète tout entière. Cette industrialisation forcenée a pour revers une déforestation massive. Cette déforestation prive des animaux de leurs habitats et les met en contact, d’une façon inédite, avec les humains. Ce contact inédit conduit à la transmission de virus. Ce virus se propage ensuite du fait de l’interdépendance des pays.
À n’en pas douter, cette crise du coronavirus est un moment historique. La catastrophe de Tchernobyl, en 1986, avait symbolisé l’impasse du « communisme réel ». Le krach financier de 2008 a déjà signalé les limites du capitalisme, mais ses conséquences avaient pu rester assez abstraites pour une large partie de la population. Tel ne sera pas le cas de la crise actuelle, qui démontre très concrètement les failles d’un capitalisme hyper-industrialisé organisé à l’échelle du monde.
Lundi 16 mars, le président de la République a précisément demandé aux Françaises et Français de se montrer à la hauteur du moment. Il en a appelé à notre « sens des responsabilités », tout en nous demandant de retrouver « le sens de l’essentiel ». Il a même conseillé la pratique de la lecture ce qui, je dois l’avouer, ravit l’amoureux des lettres que je suis.
Cependant, certains doutent que le premier personnage de l’État et son gouvernement aient fait preuve de tout le « sens des responsabilités » nécessaire en prenant de haut, ces derniers mois, les alertes, les protestations, les grèves qui ont eu lieu, notamment dans les services publics – et singulièrement dans les hôpitaux dont la situation, depuis qu’ils sont soumis à une gestion purement comptable, est très problématique. Ainsi, dans le moment, je n’oublie pas les nombreuses (et vaines) manifestations que j’ai faites ces dernières semaines en compagnie de personnels hospitaliers au bout du rouleau.
Le président Macron, en contrepartie de la restriction drastique des libertés individuelles qu’il est obligé d’imposer, promet qu’il saura « tirer toutes les conséquences » de cette crise fracassante. En attendant, il annonce que les réformes en cours, dont la réforme des retraites, sont « suspendues » (ce qui, toutefois, ne veut pas dire annulées). Il annonce également que « l’État paiera » les mesures qui sont et seront prises pour soutenir le système de soin ainsi que la vie économique. Or « l’État », en l’occurrence, c’est le contribuable, prié comme en 2008 de payer la facture.
Gageons qu’au lendemain de la crise, les citoyens ne paieront pas cette facture sans exiger un changement social majeur, pour aller, espérons-le, non pas dans le sens d’un repli nationaliste au moins aussi mortifère que le coronavirus, mais dans le sens d’un modèle plus respectueux de « l’essentiel », c’est-à-dire des humains et de la terre.
En attendant, bon confinement et, surtout, bon courage à vous !
Yann des Entommeures
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« Contre les pandémies, l’écologie. D’où viennent les coronavirus ? »
Article de Sonia Shah paru dans Le Monde diplomatiquede mars 2020, pages 1 puis 21
Serait-ce un pangolin ? Une chauve-souris ? Ou même un serpent, comme on a pu l’entendre un temps, avant que cela ne soit démenti ? C’est à qui sera le premier à incriminer l’animal sauvage à l’origine de ce coronavirus, officiellement appelé Covid-19, dont le piège s’est refermé sur plusieurs centaines de millions de personnes, placées en quarantaine ou retranchées derrière des cordons sanitaires en Chine et dans d’autres pays. S’il est primordial d’élucider ce mystère, de telles spéculations nous empêchent de voir que notre vulnérabilité croissante face aux pandémies a une cause plus profonde : la destruction accélérée des habitats[des animaux].
Depuis 1940, des centaines de microbes pathogènes sont apparus ou réapparus dans des régions où, parfois, ils n’avaient jamais été observés auparavant. C’est le cas du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), d’Ébola en Afrique de l’Ouest, ou encore de Zika sur le continent américain. La majorité d’entre eux (60 %) sont d’origine animale. Certains proviennent d’animaux domestiques ou d’élevage, mais la plupart (plus des deux tiers) sont issus d’animaux sauvages.
Or ces derniers n’y sont pour rien. En dépit des articles qui, photographies à l’appui, désignent la faune sauvage comme le point de départ d’épidémies dévastatrices[1], il est faux de croire que ces animaux sont particulièrement infestés d’agents pathogènes mortels prêts à nous contaminer. En réalité, la plus grande partie de leurs microbes vivent en eux sans leur faire aucun mal. Le problème est ailleurs : avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter.
La destruction des habitats menace d’extinction quantité d’espèces[2], parmi lesquelles des plantes médicinales et des animaux sur lesquels notre pharmacopée a toujours reposé. Quant à celles qui survivent, elles n’ont pas d’autre choix que de se rabattre sur les portions d’habitat réduites que leur laissent les implantations humaines. Il en résulte une probabilité accrue de contacts proches et répétés avec l’homme, lesquels permettent aux microbes de passer dans notre corps, où, de bénins, ils deviennent des agents pathogènes meurtriers.
Ébola l’illustre bien. Une étude menée en 2017 a révélé que les apparitions du virus, dont la source a été localisée chez diverses espèces de chauves-souris, sont plus fréquentes dans les zones d’Afrique centrale et de l’Ouest qui ont récemment subi des déforestations. Lorsqu’on abat leurs forêts, on contraint les chauves-souris à aller se percher sur les arbres de nos jardins et de nos fermes. Dès lors, il est facile d’imaginer la suite : un humain ingère de la salive de chauve-souris en mordant dans un fruit qui en est couvert, ou, en tentant de chasser et de tuer cette visiteuse importune, s’expose aux microbes qui ont trouvé refuge dans ses tissus. C’est ainsi qu’une multitude de virus dont les chauves-souris sont porteuses, mais qui restent chez elles inoffensives, parviennent à pénétrer des populations humaines – citons par exemple Ébola, mais aussi Nipah (notamment en Malaisie ou au Bangladesh) ou Marburg (singulièrement en Afrique de l’Est). Ce phénomène est qualifié de « passage de la barrière d’espèce ». Pour peu qu’il se produise fréquemment, il peut permettre aux microbes issus des animaux de s’adapter à nos organismes et d’évoluer au point de devenir pathogènes.
Il en va de même des maladies transmises par les moustiques, puisqu’un lien a été établi entre la survenue d’épidémies et la déforestation[3]– à ceci près qu’il s’agit moins ici de la perte des habitats que de leur transformation. Avec les arbres disparaissent la couche de feuilles mortes et les racines. L’eau et les sédiments ruissellent plus facilement sur ce sol dépouillé et désormais baigné de soleil, formant des flaques favorables à la reproduction des moustiques porteurs du paludisme. Selon une étude menée dans douze pays, les espèces de moustiques vecteurs d’agents pathogènes humains sont deux fois plus nombreuses dans les zones déboisées que dans les forêts restées intactes.
La destruction des habitats agit également en modifiant les effectifs des diverses espèces, ce qui peut accroître le risque de propagation d’un agent pathogène. Un exemple : le virus du Nil occidental, transporté par les oiseaux migrateurs. En Amérique du Nord, les populations d’oiseaux ont chuté de plus de 25 % ces cinquante dernières années sous l’effet de la perte des habitats et d’autres destructions[4]. Mais toutes les espèces ne sont pas touchées de la même façon. Des oiseaux dits spécialistes (d’un habitat), comme les pics et les rallidés, ont été frappés plus durement que des généralistes comme les rouges-gorges et les corbeaux. Si les premiers sont de piètres vecteurs du virus du Nil occidental, les seconds, eux, en sont d’excellents. D’où une forte présence du virus parmi les oiseaux domestiques de la région, et une probabilité croissante de voir un moustique piquer un oiseau infecté, puis un humain[5].
Même phénomène s’agissant des maladies véhiculées par les tiques. En grignotant petit à petit les forêts du Nord-Est américain, le développement urbain chasse des animaux comme les opossums, qui contribuent à réguler les populations de tiques, tout en laissant prospérer des espèces bien moins efficaces sur ce plan, comme la souris à pattes blanches et le cerf. Résultat : les maladies transmises par les tiques se répandent plus facilement. Parmi elles, la maladie de Lyme, qui a fait sa première apparition aux États-Unis en 1975. Au cours des vingt dernières années, sept nouveaux agents pathogènes portés par les tiques ont été identifiés[6].
Les risques d’émergence de maladies ne sont pas accentués seulement par la perte des habitats, mais aussi par la façon dont on les remplace. Pour assouvir son appétit carnivore, l’homme a rasé une surface équivalant à celle du continent africain[7]afin de nourrir et d’élever des bêtes destinées à l’abattage. Certaines d’entre elles empruntent ensuite les voies du commerce illégal ou sont vendues sur des marchés d’animaux vivants (wet markets). Là, des espèces qui ne se seraient sans doute jamais croisées dans la nature se retrouvent encagées côte à côte, et les microbes peuvent passer de l’une à l’autre. Ce type de développement, qui a déjà engendré en 2002-2003 le coronavirus responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), est peut-être à l’origine du coronavirus inconnu qui nous assiège aujourd’hui.
Mais bien plus nombreux sont les animaux qui évoluent au sein de notre système d’élevage industriel. Des centaines de milliers de bêtes entassées les unes sur les autres en attendant d’être conduites à l’abattoir : voilà des conditions idéales pour que les microbes se muent en agents pathogènes mortels. Par exemple, les virus de la grippe aviaire, hébergés par le gibier d’eau, font des ravages dans les fermes remplies de poulets en captivité, où ils mutent et deviennent plus virulents – un processus si prévisible qu’il peut être reproduit en laboratoire. L’une de leurs souches, le H5N1, est transmissible à l’homme et tue plus de la moitié des individus infectés. En 2014, en Amérique du Nord, il a fallu abattre des dizaines de millions de volaille pour enrayer la propagation d’une autre de ces souches[8].
Les montagnes de déjections produites par notre bétail offrent aux microbes d’origine animale d’autres occasions d’infecter les populations. Comme il y a infiniment plus de déchets que ne peuvent en absorber les terres agricoles sous forme d’engrais, ils finissent souvent par être stockés dans des fosses non étanches – un havre rêvé pour la bactérie Escherichia coli. Plus de la moitié des animaux enfermés dans les parcs d’engraissement américains en sont porteurs, mais elle y demeure inoffensive[9]. Chez les humains, en revanche, E. coliprovoque des diarrhées sanglantes, de la fièvre, et peut entraîner des insuffisances rénales aiguës. Et comme il n’est pas rare que les déjections animales se déversent dans notre eau potable et nos aliments, 90 000 Américains sont contaminés chaque année.
Bien que ce phénomène de mutation des microbes animaux en agents pathogènes s’accélère, il n’est pas nouveau. Son apparition date de la révolution néolithique, quand l’être humain a commencé à détruire les habitats sauvages pour étendre les terres cultivées et à domestiquer les animaux pour en faire des bêtes de somme. En échange, les animaux nous ont offert quelques cadeaux empoisonnés : nous devons la rougeole et la tuberculose aux vaches, la coqueluche aux cochons, la grippe aux canards.
Le processus s’est poursuivi pendant l’expansion coloniale européenne. Au Congo, les voies ferrées et les villes construites par les colons belges ont permis à un lentivirus hébergé par les macaques de la région de parfaire son adaptation au corps humain. Au Bengale, les Britanniques ont empiété sur l’immense zone humide des Sundarbans pour développer la riziculture, exposant les habitants aux bactéries aquatiques présentes dans ces eaux saumâtres. Les pandémies causées par ces intrusions coloniales restent d’actualité. Le lentivirus du macaque est devenu le VIH. La bactérie aquatique des Sundarbans, désormais connue sous le nom de choléra, a déjà provoqué sept pandémies à ce jour, l’épidémie la plus récente étant survenue en Haïti.
Heureusement, dans la mesure où nous n’avons pas été des victimes passives de ce processus, nous pouvons aussi faire beaucoup pour réduire les risques d’émergence de ces microbes. Nous pouvons protéger les habitats sauvages pour faire en sorte que les animaux gardent leurs microbes au lieu de nous les transmettre, comme s’y efforce notamment le mouvement One Health[10].
Nous pouvons mettre en place une surveillance étroite des milieux dans lesquels les microbes des animaux sont le plus susceptibles de se muer en agents pathogènes humains, en tentant d’éliminer ceux qui montrent des velléités d’adaptation à notre organisme avant qu’ils ne déclenchent des épidémies. C’est précisément ce à quoi s’attellent depuis dix ans les chercheurs du programme Predict, financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). Ils ont déjà identifié plus de neuf cents nouveaux virus liés à l’extension de l’empreinte humaine sur la planète, parmi lesquels des souches jusqu’alors inconnues de coronavirus comparables à celui du SRAS[11].
Aujourd’hui, une nouvelle pandémie nous guette, et pas seulement à cause du Covid-19. Aux États-Unis, les efforts de l’administration Trump pour affranchir les industries extractives et l’ensemble des activités industrielles de toute réglementation ne pourront manquer d’aggraver la perte des habitats, favorisant le transfert microbien des animaux aux humains. Dans le même temps, le gouvernement américain compromet nos chances de repérer le prochain microbe avant qu’il ne se propage : en octobre 2019, il a décidé de mettre un terme au programme Predict. Enfin, début février 2020, il a annoncé sa volonté de réduire de 53 % sa contribution au budget de l’Organisation mondiale de la santé.
Comme l’a déclaré l’épidémiologiste Larry Brilliant, « les émergences de virus sont inévitables, pas les pandémies ». Toutefois, nous ne serons épargnés par ces dernières qu’à condition de mettre autant de détermination à changer de politique que nous en avons mis à perturber la nature et la vie animale.
Sonia Shah est l’auteur de Pandemic : Tracking Contagions, From Cholera to Ebola and Beyond, Sarah Crichton Books, New York, 2016. Ce texte a été publié dans The Nation.
[1]Kai Kupferschmidt, « This bat species may be the source of the Ebola epidemic that killed more than 11,000 people in West Africa », Science Magazine, Washington, DC – Cambridge, 24 janvier 2019.
[2]Jonathan Watts, « Habitat loss threatens all our futures, world leaders warned », The Guardian, Londres, 17 novembre 2018.
[3]Katarina Zimmer, « Deforestation tied to changes in disease dynamics », The Scientist, New York, 29 janvier 2019.
[4]Carl Zimmer, « Birds are vanishing from North America », The New York Times, 19 septembre 2019.
[5]BirdLife International, « Diversity of birds buffer against West Nile virus », ScienceDaily, 6 mars 2009, www.sciencedaily.com
[6]« Lyme and other tickborne diseases increasing », Centers for Disease Control and Prevention, 22 avril 2019, www.cdc.gov
[7]George Monbiot, « There’s a population crisis all right. But probably not the one you think », The Guardian, 19 novembre 2015.
[8]« What you get when you mix chickens, China and climate change », The New York Times, 5 février 2016. En France, la grippe aviaire a touché les élevages durant l’hiver 2015-2016, et le ministère de l’agriculture estime qu’un risque existe cet hiver pour les volatiles en provenance de Pologne.
[9]Cristina Venegas-Vargas et al., « Factors associated with Shiga toxin-producing Escherichia coli shedding by dairy and beef cattle », Applied and Environnemental Microbiology, vol. 82, n° 16, Washington DC, août 2016.
[10]Predict Consortium, « One Health in action », EcoHealth Alliance, New York, octobre 2016.
[11]« What we’ve found », One Health Institute, https://ohi.sf.ucdavis.edu