10.
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10.
30 juin 2018, commissariat central d’Ajaccio, 15h04
-Salut Martin ! Tu voulais me voir ? Demande l’inspecteur Barot au médecin légiste.
-Oui, c’est au sujet de la femme que l’on a retrouvé au niveau de Cargèse.
-Jeanne Borin ?
-Oui. En fait, ça ne colle pas…
-C’est-à-dire ?
-D’après les relevés, cette femme est restée dans l’eau environ dix heures. Or, j’estimerai plus sa date de mort autour des onze-douze heures.
-Comment-est-ce possible ? Elle serait tombée dans l’eau ?
-Et bien, c’est plutôt qu’elle aurait été poussée…
Dit le médecin légiste en se grattant la tête.
-Ce ne serait donc pas un suicide ? Mais alors pourquoi…
-ça, c’est à vous de me le dire… En revanche, j’ai remarqué autre chose.
-Quoi donc ? Demande l’inspecteur, intrigué.
-Regardez par vous-même…
Le médecin légiste soulève légèrement le drap qui recouvre le cadavre de la femme allongée sur la table d’opération. L’inspecteur frémit. Le corps de la femme, qu’il a vu tant de fois assise devant lui, les yeux dans le vague et présent sous ses yeux, mais cette fois-ci, ses yeux ne semblent plus regarder dans le vague mais à l’horizon, vers le ciel, loin de la terre, près des étoiles. Là où son âme repose certainement en ce moment.
Au niveau du nombril de la femme, il aperçoit ce dont le médecin voulait parler. Une petite entaille est présente, elle semble être profonde, elle semble même traverser tout son abdomen. L’inspecteur tressaille. Alors cette femme ne se serait pas suicidée après la mort tragique de son fils mais quelqu’un l’aurait tuée ? Mais qui ? Et pourquoi ?
-De quand date cette blessure ? Demande l’inspecteur.
-Je ne suis pas encore sûr mais je dirais entre six et sept heures hier matin. En revanche ce dont je suis sûr c’est que cette blessure-là elle provient d’un couteau de cuisine d’environ 30 cm je dirais. Le coup a été porté dans le dos. C’est la cause de sa mort.
30 juin 2018, commissariat central d’Ajaccio, 15h45
-L’homme est toujours hospitalisé ? Demande l’inspecteur.
-Non, ils l’ont laissé partir. Il s’agissait seulement d’un malaise vagal dû au choc. Il a beaucoup souffert. Ils l’ont ramené à Cargèse. Répond la policière à côté de lui.
-Très bien, parce que j’ai du nouveau dans cette affaire… Ce n’est pas un suicide mais un meurtre.
Les trois agents de police présents dans la pièce se regardent.
-Jeanne Borin ! S’exclame l’inspecteur tout en prenant une photo d’elle et en la plaçant sur le tableau derrière lui à l’aide d’un aimant.
Sur la photo, elle sourit, elle a l’air d’avoir dix ans de moins que les dernières fois où il l’a aperçue, et pourtant, cette photo date d’il y a à peine deux semaines.
-Reprenons depuis le début, commença l’inspecteur, elle a trente-trois ans, elle vient passer ses vacances en Corse seule avec son petit garçon car son mari l’a quitté voilà maintenant un an.
Il accroche une photo de l’homme juste à côté d’elle où il inscrit son nom juste en dessous.
-Cependant, les choses ne se passent pas comme prévu, continue-t-il, le 20 juin, alors qu’elle et son fils Ezéchiel étaient sur une petite plage près de Cargèse, vers 10h30, l’enfant est porté disparu.
Il colle une photo du petit garçon en dessous de celles de ses parents.
-Elle le cherche de partout, et prévient la police. Son mari arrive quelques heures après le drame, tous deux sont déboussolés… Malheureusement, un homme venu de nulle part, du nom de Fritini était sur la même plage et a filmé la scène de la noyade sans le vouloir. On voit le petit garçon s’enfoncer dans la mer mais il ne revient pas. Les vagues étaient immenses et il ne savait pas nager. Plus tard nous retrouvons le corps d’un petit garçon près de Sagonne que la mère identifie comme le sien. Nous concluons à la noyade.
L’inspecteur trace une croix sous l’image du petit garçon.
-Où voulez-vous en venir Inspecteur ? Demande un agent.
-Nous n’allons quand même pas rouvrir l’enquête, ce garçon s’est noyé… Continue-t-il.
-Eh bien justement c’est après que ça se complique… Le lendemain du jour où Jeanne Borin a identifié le corps de l’enfant comme étant son fils, elle est retrouvée morte au large de la même plage où son fils s’est noyé. Après l’enfer de la perte qu’elle a vécu, nous pensons tout de suite au suicide. Cependant, le médecin légiste m’a affirmé cet après-midi que Jeanne était morte deux heures avant d’être plongée dans l’eau et qu’elle présentait une plaie au niveau de l’abdomen. Une plaie provenant d’un long couteau de cuisine. Or elle n’a pu s’infliger ce coup elle-même, sinon on aurait retrouvé l’arme au niveau de la plage ou des taches de sang auraient été retrouvées. Mais ce n’est pas le cas. Car Jeanne Borin a été tuée.
Les trois policiers présents sont sous le choc.
-Mais qui aurait pu vouloir ça ? Quel serait le mobile ?
-Et bien justement c’est là que je bloque, déclare l’inspecteur. J’ai besoin de votre aide… Euh, Farot !
-Oui Monsieur, répond un des agents.
-J’ai besoin que vous me cherchiez un maximum d’informations sur l’ex-mari. Sur son travail, sa rupture avec Jeanne, ses relations personnelles et professionnelles… S’il y a bien quelqu’un qui pourrait savoir quelque chose c’est lui. Mes premiers doutent reposent sur lui. Il pourrait avoir un mobile. Imaginons que la rupture ait été très difficile. Il veut voir son fils. Jeanne l’en empêche. Le garçon se noie pendant les vacances. Il a bu, bref, il pète un plomb. Après tout, on a pu voir comment cet homme se comporte sous l’influence de l’alcool. Mais j’ai besoin de preuves pour pouvoir l’inculper.
-D’accord Monsieur, répond l’agent Farot.
Celui-ci se dirige vers son bureau et s’installe directement devant son ordinateur tout en sachant qu’il risque d’y rester toute la journée…
-Dupuit.
-Oui inspecteur, répond la policière à qui il s’est adressé plus tôt.
-Epluchez moi le dossier de la noyade du petit garçon, peut-être qu’on a pu passer à côté de quelque chose.
-D’accord Monsieur ! S’exclame-t-elle.
Et enfin, il se tourne vers le dernier policier, le sergent Braun.
-Et toi Braun je veux que tu m’accompagnes à Cargèse où nous allons interroger quelques personnes. Qui sait peut-être que quelqu’un a vu quelque chose…
L’homme acquiesce, tout en sachant qu’il n’a pas le choix.
-Réunissez les autres ! J’ai eu la confirmation du procureur pour ouvrir une enquête. S’exclame l’inspecteur. Je veux que l’on retrouve cet assassin le plus vite possible. Il déclare, déterminé.
2 janvier 2017, Calvi, 21h05
Voilà trois heures maintenant que Marcellin attend Noah, son petit garçon, parti plus tôt avec des infirmiers vers la salle d’opération.
Il aurait voulu les tuer lorsqu’ils lui ont dit qu’il ne pouvait pas accompagner Noah. Il aimerait tellement être à sa place. Être dans ce lit d’hôpital en train de se faire charcuter. Il aimerait tant, prendre toute sa souffrance, pour que son fils puisse à nouveau courir, sauter. Mais surtout qu’il puisse à nouveau sourire et grimper sur son vélo comme il aime tant le faire.
Pourquoi la vie est-elle si injuste ? Ce genre de chose devrait arriver à des adultes mauvais, qui font du mal, qui blessent des innocents. Pas à des enfants qui n’ont rien fait à part découvrir la vie. Pas à Noah.
Il est assis sur un banc dur. Les murs autour de lui sont d’un blanc froid. Il déteste l’hôpital, et son ambiance stressante. Son odeur de médicaments. Ses infirmières qui n’ont pas envie d’être là. Ses patients qui donneraient tout pour sortir de cette prison.
Et lui est là au milieu. De temps en temps, il voit des infirmières passer devant lui. Des médecins qui courent à droite à gauche. Il a le regard fixé vers les portes battantes vers lesquelles Noah est parti tout à l’heure. A chaque fois que l’une d’entre-elles s’ouvre, il croit que c’est lui, qu’il va revenir. Il l’imagine pédaler vers lui en traversant ces portes rouges à toute vitesse, sur son vélo avec ses petites roues.
Mais lorsque, dix minutes plus tard, il voit le visage déboussolé du chirurgien qui s’approche de lui pour lui parler, il comprend que c’est fini.
Son petit Noah ne reviendra pas.
Il s’est envolé vers les nuages.
Et il traverse les cumulus à cheval sur son vélo.
Il fait le tour du monde vu du ciel, en espérant que son père le regarde.