Bon baiser de Londres
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Bon baiser de Londres
"Commencer par la saluer d’un signe de la main au pied de Westminster. Faire connaissance en traversant le Lambeth Bridge, puis longer la Tamise en essayant d’être original, mais sans trop en faire. Saluer Big Ben avec espièglerie, espérer la faire rire. Admirer la vue du haut de London Eye, puis cesser de la fixer comme un ahuri et profiter du paysage aussi…
Parler de moi, un peu, sur le pont de Waterloo, et changer de rive comme on change de sujet. Lui offrir un soda, qu’elle boira du bout des lèvres pour éviter la grimace du mieux qu’elle pourra, ne pouvant cependant contenir une larme née de la gorgée d’effervescence sucrée, que j’attraperai du bout du doigt avant de la diluer avec l’eau d’une des fontaines de Trafalgar Square. Lâcher un compliment, lui dire que je l’aime bien, sans plus, en déambulant à Piccadilly Circus, au gré des enseignes lumineuses, peser mes mots pour ne pas l’effrayer, ne jamais trop en dire, sinon que dire après…
Improviser quelques vers de médiocre qualité et s’en excuser ensuite, tout en rougissant un peu entre Green et St James Park. Le romantique est poète, le poète est timide et le timide est romantique… Cercle vicieux de l’amoureux. Ne plus rien dire jusqu’à Buckingham Palace, laisser le silence reprendre sa place. Puis effleurer sa peau, tenter tout du moins, bercé par la houle de la foule qui piétine et s’entasse aux abords et à bord du métro. Aborder sa paume à Victoria, ou South Kensington, à Earl’s Court, West Kensington ou Barons Court… À peine un murmure, plus infime qu’une brise. Un frôlement sans confiance, une vague qui se brise au bord de l’absence…
Nouveau Palais, autre jardin, peut-être enfin prendre sa main. Rejouer « Coup de foudre à Notting Hill » le long de Porto Bello Road, et dénicher quelques raretés, poussiéreuses antiquités n’ayant de valeur que l’intérêt qu’elle leur portera. Passer devant le zoo et se dire qu’il serait bien d’y revenir un jour ou l’autre avec nos gosses, puis regretter ces mots, balancés bien trop tôt, avec dix, quinze années d’avance… Changer de sujet comme on change de trottoir…
Chercher boutiques à Oxford Street, tâter le terrain l’air de rien ; un ours en peluche style londonien ? La « Clock Tower » dans une boule à neige ? L’Union Jack sur un oreiller, un mug, un porte-clés ? Une boîte à musique jouant God Save the Queen ou Let it be ? Service à thé ? Peut-être quelques paquets de sachets de Jelly ? Début d’une histoire, l’enfant devient un homme dans les allées du British Museum, au bras d’un bijou sans couronne… Lui en dire trop à Chinatown, puis s’en retourner à Westminster et l’embrasser pour la première fois…
Mais je ne suis pas à Londres. Je suis resté dans l’ombre, de mon côté de la Manche, tandis qu’elle se déhanche devant je ne sais quel palais à la con, au bras d’un autre gars. La vie, encore et toujours.
Changer de trottoir comme on change d’amour…"
Extrait de ''Nous n'avions que la vie devant nous"