Le mystère de la longévité
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Le mystère de la longévité
Ils s'étaient rencontrés par hasard. "Au bord de la route" disaient-ils depuis toujours à leurs amis. Ils mentaient moins à leurs enfants, et leur avaient raconté la vraie histoire de leur rencontre. Mais ils s'aimaient, et ils aimaient donner du mystère à leur couple. Toujours en évitant les détails. Ils réussissaient ainsi à tourmenter le plus intraitable ennemi de l'amour : l'essoufflement.
"La longévité se nourrit du mystère, car le mystère allège, alors que la certitude rabougrit !" clamait souvent Renaud devant les yeux ébahis de ses petits-enfants, après le dîner. Ce soir-là, soir de réveillon, Renaud était assis sur un tabouret en chêne, très bas, le dos chauffé par le feu de cheminée. Devant lui, ses petits-enfants étaient assis sur un épais tapis. Ils se chamaillaient comme frères et soeurs. Des bruits de vaisselle résonnaient. Dans la pièce d'à côté, ouverte sur la droite de Renaud, on rangeait la table tout en conversant tranquillement. Il s'assura que ses enfants (grands, adultes et sérieux) et son épouse (belle comme le bleu du ciel) ne leur prêtaient aucune attention, pour ensuite murmurer d'un souffle à ses petits-enfants assis en face de lui :
"Pssst ! Mamie m'a jeté un sort quand j'avais vingt-deux ans... (Les chamailleries des petits baissèrent d'un ton). Je vous assure ! Je m'en souviens très bien ! (Ils devinrent plus calmes, curieux). Un matin, je me suis levé comme d'habitude... et ploc ! (Regards interrogateurs : "Et ??? Et ???"). Et dès cet instant, je ne pus plus jamais lui dire "non". Je ne peux plus dire "non" à mamie depuis ce matin de mes vingt-deux ans. (Choc pour les deux petits garçons. Émerveillement de la petite fille). Alors comme je n'y arrivais pas en français, j'ai essayé dans d'autres langues ! Espagnol, russe, chinois... No... Niet... rien n'y faisait. Impossible de lui refuser quoi que ce soit ! J'étais désormais condamné à lui dire oui.
Edgar, le plus grand des petits, et qui était décidé à ne pas se laisser berner par son grand-père, approchait son visage pour mieux examiner son papi. Marc-Antoine, lui, celui du milieu, cherchait partout dans sa courte mémoire s'il avait déjà vu quelque chose de semblable. Quant à Linda, la plus petite, elle était en admiration devant sa grand-mère, chez qui de toute façon elle avait soupçonné depuis longtemps des pouvoirs magiques. Renaud s'écria alors avec une voix qu'il ne put qu'étouffer à moitié :
"C'était un philtre magique ! Un philtre de sorcière ! (Ses yeux de papi étaient exorbités). Elle l'a mis dans mon café ce matin-là. Sans que je m'en rende compte...
Mes petits, il fallait bien que quelqu'un vous le dise : votre grand-mère est une sorcière."
Absorbé (et ravi) par les airs ahuris et émerveillés de ses petits-enfants, Renaud ne vit pas Ilda, son épouse, arriver près de lui par sa droite. Elle se tenait juste derrière le mur de la salle à manger, pouvait sentir la chaleur du feu, mais restait invisible aux enfants. Elle dit, le plus naturellement du monde : "Renaud, tu viens nous aider à débarrasser ?"
Renaud reprit immédiatement ses esprits. Sa bouche se ferma et ses yeux appelèrent à l'aide ("Oh non ! Aidez-moi je suis encore sous l'emprise du sortilège de votre grand-mère je vais encore devoir lui dire oui !! Je ne vais pas résister longtemps...!) Il parut se débattre avec lui-meme et lutter pour que sa bouche ne s'ouvre pas, puis, comme on abandonne une lutte qui nous a épuisé, ouvrit la bouche et dit :
"Oui, chérie".
Les petits en restèrent bouche bée. Leur mamie était donc une magicienne très puissante...
Le lendemain matin ce fameux couple partit de chez leur fils aîné chez qui ils avaient fêté la nouvelle année. Ils décidèrent de rentrer à pied en cette claire journée d'hiver. Ils se prirent la main. Elle lui demanda : "Tu as bien profité des petits ?"
Renaud : "Oh oui beaucoup, beaucoup... mais qu'est-ce qu'ils sont bavards !"