J'étais à l'heure, la mine un peu trop souriante, mais présente. J'ai pu déposer mon mot dans le cercueil, à côté du paquet de Gitanes Maïs que sa fille avait posé sur sa poitrine.

Il était blanc, maigre, dur, mort. Ça m'a fait du bien de le voir comme ça, mon grand-père, de voir son nom sur la plaque dorée vissée au couvercle du cercueil. Sa fille était triste bien sûr.

Mais le problème n'était pas causé par les présents. Mais bien par l'absent. Celui dont l'absence était vécue comme une insulte incompréhensible, insupportable, intolérable : le fils. Absent physiquement mais aussi par la pensée : pas un coup de fil à son père pendant ses deux mois d'agonie (ni les 7 années précédentes), ni via l'Ehpad. Pas un mail, pas de sms, pas de lettre, pas de signe de compassion, d'attention, d'amour. Ni même de pitié ou de décence.

Mon frère et moi étions les "représentants" de l'absent, non par choix, mais uniquement par filiation, par le sang. La descendance du "fils absent" porte en elle un peu de lui, et la ressemblance physique y encourage, forcément. Alors par transfert, on hérite de l'insupportable affront, de la violence, des insultes, des menaces, des procédures judiciaires... Alors ce qui devait arriver arriva. La fille avait gardé le contrôle jusque là, mais l'absent est aussi son frère. Alors nous, la descendance, on a reçu la décharge de la fille. Dans la gueule. Avec cris, pleurs, peine, haine et toute la clique. "C'est pas contre vous, je m'excuse". Non bien sûr, sauf que c'est nous qui recevons, là présentement.

Les absents ont toujours tort ? Son absence confirme sa lâcheté, sa démence mentale mais elle l'a protégé des foudres et des émotions de la journée. Lâche et malin ? Peut-être. Et je suis en colère. Je fais mentalement la part des choses, mais cela me fait souffrir d'avoir honte de mon père, d'avoir à justifier ses actes, d'être assimilée au côté obscur. Je ne suis pas coupable, ni responsable. Je ne suis pas mauvaise, je veux juste être en paix.