Confidence épistolaire
On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy9 articles to discover this month.
To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free!
Log in
Confidence épistolaire
Antibes, le 30 mars 2020
Chère Karine,
Je n’aurais jamais cru t’avouer cela un jour, mais la vie me manque.
Moi qui avais transformé le vice de l’enfermement en un art de vivre, me voilà perturbée à l’idée de rester cloitrée chez moi. Surement parce qu’on me le demande. J’ai tendance à vouloir faire exactement le contraire de ce qui est exigé de moi.
Est-on lundi, mardi, ou bien jeudi ? J’ai le sentiment absurde de débuter chaque jour la même journée.
Aujourd’hui je crois que j’aurais envie de te voir, peut-être même de te serrer dans mes bras. Ne ris pas, je sais que tu sais. L’amour me séduit lorsqu’il se tient à distance. Il n’empêche que j’ai ce matin un étrange besoin de chaleur humaine. Comme si les « autres » étaient passés du statut de menace à celui d’élément fondateur de mon intégrité.
On ne peut pas être un mercredi puisque ce matin nous avons fait les devoirs dans le jardin.
Ce qui est étrange ces derniers jours c’est que plus j’ai envie de voir le monde, plus il m’est difficile de m’y aventurer. Si je te croisais là, maintenant, sur le trottoir, je ne sais pas si je serais capable de m’approcher par crainte d’être contaminée. La peur et ses paradoxes émotionnels m’épuise et pourtant, la peur rôde à nouveau dans mes quartiers.
Je crois que cette privation de liberté me renvoie à un statut de victime étrangement familier. Alors je me demande, comment allons-nous sortir et rejoindre la réalité ? Enfin je dis « nous », mais je pense surtout à ma famille, parce que moi la réalité je n’y ai jamais mis les pieds.
Impossible de connaitre à l’avance les cicatrices que nous devrons porter mais quelque chose me dit que nous découvrirons sur nos corps hébétés des gravures aux allures d’amour et d’exaspération, de tendresse et d’oubli, de paresse et d’ennui.
On ne peut pas être un week-end, ce midi on a réchauffé des restes.
Hier j’ai supprimé FB et Insta de mon portable. Déchirée entre complots et statistiques de mortalité, je n’arrivais pas à extraire de légèreté de mes séances de scrollage immodérées. On crée des groupes, on chante, on joue, on aide son voisin… on simulacre une vie de prison rêvée qui disparaitra à peine les grilles du zoo brisées.
L’identité de groupe m’a toujours paru une absurdité, et la perspective de taper dans une casserole en toute impunité sous les vitres de ma voisine détestée ne suffira pas à me faire abdiquer. J’aime les gens pour la beauté de leur âme, ou je ne les approche pas. Nul besoin de prétendre se sentir concernée quand on sait pertinemment qu’ils cherchent juste à se sentir rassurés.
Ah je sais ! Les éboueurs m’ont réveillée ce matin donc on est lundi.
A l’heure où je finis cette lettre tu en es surement à ta troisième réunion Zoom et je t’imagine courbée devant la table de ta salle à manger, casque sur les oreilles, à rêver en fond d’écran de campagne et de coquelicots.
Alors dis-moi, ma douce Karine, comment va la vie dans ton salon ? Cette période loin de l’agitation t’inspire-t-elle de nouvelles vocations ? J’attends de tes nouvelles avec impatience mais s’il te plait mon amie prends ton temps. Ecris-moi, avec la lenteur requise par ces instants, la violence de tes sentiments.
Je vais à présent devoir te laisser. Il est à l’évidence impossible de rester indéfiniment cachée… La vie saute, crie et chante dans mon salon. Elle m’attend et me sous-tend, cadeau de l’instant présent.
Ton amie,
Séverine
Fabrice Laurendon 2 years ago
La pandémie comme si vous y étiez, bravo à toi !
Séverine Gambardella 2 years ago
Merci Fabrice pour ton coup de coeur ! Je cours te lire de ce pas :)