Festina Lente - Chapitre 2
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Festina Lente - Chapitre 2
- Pourquoi y a-t-il un volet de la sorte sur la porte d’entrée ?
À vrai dire, je peine à trouver mes mots depuis que nous nous sommes retrouvés dans cette situation. Dix minutes maintenant d’incompréhension, dix fois trop de temps pour m’aider à expliquer ce contretemps. J’ai essayé d’actionner les boutons intérieurs, de vérifier les sorties du rez-de-chaussée, mais rien ne réagit à mes tentatives. Je ne m’explique pas ce qui se passe. Je subis, et je subis en face d’un énorme client. Je tremble déjà à l’idée d’en faire part à mon directeur.
Tout comme moi, Paris Verdi a laissé son téléphone dans sa voiture. De mon côté, j’ai dû mal à admettre que j’ai fait cette erreur de débutante. J’ai toujours deux téléphones sur moi, mon personnel et mon professionnel. Ça me fait trembler de frustration de savoir qu’à quelques mètres d’où je me trouve, je dispose de ressources auxquelles je ne peux accéder.
Monsieur Verdi tourne dans le hall, m’assénant de questions auxquelles je n’ai pas les réponses les plus sûres. C’est difficile pour moi de trouver quoi redire, si ce n’est traduire que la maison subit une sorte de défaillance qui n’agit pas dans mon intérêt.
- Je ne comprends pas, Monsieur Verdi, j’ignorais que la maison était autant sécurisée. Cela dit, tout ceci est rassurant quant à la protection du bien.
J’essaie de garder la face. Ça ne fonctionne que partiellement, ma voix est tordue et mon corps se crispe à chacune de mes interventions. Je n’ai rien de concret à lui dire. Je prie pour qu’il ne remarque pas que tout ceci m’échappe.
- Appelez-moi Paris s’il vous plaît, Bevess. Au point où nous en sommes !
Bien que sa voix prenne des octaves stimulant ma nervosité, je le sens plutôt indigné de notre situation commune. J’imagine qu’il a l’intelligence de se dire que ce n’est pas exclusivement de ma faute, que je n’ai pas une prime « séquestration » qui m’attend à la fin de mes ventes.
Jamais aucun de mes clients ne m’a appelé par mon nom, mais sans doute que dans un moment pareil, le souci de convenance paraît bien désuet. Bevess Bassin perd sa cape de protection quand l’inattendu vient lui serrer la gorge. Je m’installe sur la première marche de l’escalier ouvrant sur le hall pour m’apitoyer sur mon sort, comme si j’étais seule dans la pièce, comme si la situation suffisait à justifier mon manque de professionnalisme.
- À cette heure-ci, plus personne n’est à l’agence, dis-je de façon désabusée. Je suis navrée de vous avoir éconduit ici, j’ignorais que ce genre de chose surviendrait. Je n’ose même pas vous proposer de visiter l’étage.
- En effet, vous feriez mieux de vous abstenir. La visite est terminée.
J’accuse le coup, avalant ma salive en fixant le sol. Cet entretien est un désastre et je ne sais pas comment y remédier.
- Écoutez, Monsieur Verdi...
- Paris.
- Monsieur Paris Verdi...
- Appelez-moi juste Paris, ces formalités ne servent plus à rien désormais, assène-t-il avec une nonchalance que je sens réductrice.
Il ôte son blazer écru pour l’accrocher à la poignée ronde de la porte d’entrée. Il s’y adosse en croisant les bras, me fixant d’une manière différente de toutes les autres fois où nous nous sommes retrouvés. Trois fois déjà ce mois-ci. Ce quatrième moment ne nous réussit pas plus que les autres, pour ne pas dire qu’il est le plus désastreux. Je fixe tantôt sa grosse montre, tantôt le bois de la porte comme si elle allait s’ouvrir d’elle-même à la simple force de ma pensée.
- Bevess, est-ce que vous m’autorisez à vous tutoyer ? annonce-t-il d’un air grave mais mesuré.
Je hoche la tête derechef, lui adressant un sourire faussement éprouvé. Tout ce qu’il désire, je suis prête à lui offrir gracieusement, au point où nous en sommes. J’ai l’impression de manquer de professionnalisme et de réduire mes années d’expérience à une mascarade. C’est très dur à encaisser. Impossible pour moi d’inventer un sourire honnête, je brave mon masque dans ce genre de situation.
Paris s’installe sur la marche à côté de moi.
- J’imagine qu’il n’y a rien dans les placards, ni dans le frigo de cette cuisine équipée dernier cri.
- Vous imaginez bien, mais après tout ça ne coûte rien de vérifier.
Et le voilà parti vérifier, réveillé d’une torpeur patibulaire que je ne saurais rencontrer ailleurs que chez sa personne. Je l’observe faire, ouvrir, fermer, s’arrêter, chercher, tendre le bras, trouver, exhiber une bouteille de vin rouge d’un placard que je n’ai même pas pris le temps de rendre intéressant. Je hausse un sourcil et les deux sourcils lorsqu’il sort à la suite de la bouteille une boîte d’olives.
- Je rêve ! Qu’est-ce que tout ceci fiche ici ?
Gagnée par la surprise, je me lève de ma triste assise pour évaluer les placards, fouiller les tiroirs, comprendre ce dont cette demeure recèle. Je ne saisis pas la situation.
- Tu aimes le vin rouge, Bevess ?
Je toise la bouteille en question d’un œil méfiant, parcourant les meubles un à un, lancée dans mon enquête.
Troublée, je ne pense pas à répondre à sa question. Elle n’a pas sa place entre nous.
- Ce n’est pas une bonne idée de la consommer, on ne sait pas d’où elle provient et surtout à qui elle appartient. Et puis on n’a rien pour l’ouvrir.
Paris m’arrête dans mes recherches en saisissant doucement mon avant-bras. Mes yeux se concentrent sur sa bouche, rose, pleine, étonnement intéressante, vue sous cet angle. Qu’est-ce que je raconte ? La situation doit me donner le tournis.
- Allons goûter ce vin et ces olives, Bevess. Tu pourras continuer de fouiner une fois qu’on aura trinqué.
Sans plus s’attarder, il s’installe sur l’une des chaises hautes du bar. Il s’harmonise parfaitement avec le décor, ce constat pourrait bien me servir pour achever cette vente, une fois que nous serons sortis d’ici.
Paris extirpe un limonadier de sa poche comme s’il s’agissait d’un stylo dont il allait avoir l’utilité. Je suis abasourdie par cette scène inédite se jouant si proche de moi. Sans parler de la maîtrise qu’il a de l’outil.
- Comment se fait-il que vous ayez ceci dans votre poche ?
- Je devais l’emmener au vernissage, mon ami m’a demandé de ne pas l’oublier ce matin. Tu pourrais regarder s’il y a des verres dans le vaisselier derrière toi ?
Je découvre effectivement un vaisselier fièrement établi et qui maintenant que j’y pense, n’était pas mentionné dans mon dossier. J’ai une moue dégoûtée. La situation donne l’impression de m’échapper tant elle recèle d’éléments inattendus. Une fois encore, je me retrouve offusquée lorsque j’entrevois dans ledit vaisselier, des verres à vin, des flûtes à champagne, des carafes à vin et d’autres à whisky.
- Bon sang, je... (Je réfléchis un instant à ce que je dis, un éclair de lucidité me rappelant que je suis toujours en présence d’un client qui n’a toujours rien signé). Ceci peut être utile, dis-je en saisissant deux verres et la carafe en cristal qui complète le tableau.
J’avance dans cette soirée saisie par le panorama dans lequel toute mon impuissance prend l’espace de se manifester. Que se passe-t-il au juste ? Je vais boire du vin et manger des olives avec un homme -un client- à qui je suis incapable de vendre quelque chose, c’est bien ça ? J’ignore même si ce que nous faisons est légal.
Lorsqu’il me sert un premier verre, je ne peux pas dissimuler la timide excitation qui s’empare de mon être. Le caractère désinvolte et imprévisible de ce moment me révèle un homme qui me regarde avec une intensité que jusque-là, je n’avais jamais vue. Était-elle là les autres fois ? Étais-je juste trop concentrée dans ma prestation pour ne rien voir de tel ? Cette intensité nouvelle, je la ressens à mon tour lorsqu’il porte à ses lèvres une gorgée de vin, tout en laissant voguer trop naturellement, ses iris sur moi.
Jackie H 1 month ago
J'adore la "prime de séquestration" 😆😆😆
(updated)