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Festina Lente - Chapitre 1

Festina Lente - Chapitre 1

Published Nov 15, 2024 Updated Nov 15, 2024 New Romance
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Festina Lente - Chapitre 1

            Paris Verdi est mon quatrième client de cette journée de janvier qui n’en finit pas. Je pensais honnêtement qu’il déprogrammerait cette visite proposée sur le fil de ce début de soirée, sur une information de dernière minute, sur mes nerfs en pelote, tous missionnés pour me faire terminer plus tôt.

Cela fait trois semaines que j’ai ce client sur le dos, trois semaines qu’il me donne l’impression d’être une incapable ; je ne parviens jamais entièrement à répondre à ses exigences en termes d’immobilier. Je sais que cet homme est influent, précis et pointilleux, mais quand même... Il me fait éprouver une frustration étrangère et inconfortable, chacune de nos visites conditionne indubitablement mon humeur de la journée. 

            J’en ai honte, mais ce sentiment -désormais récalcitrant- commence à me faire douter de mes choix de carrière. Après cinq ans d’un travail acharné et irréprochable, de commissions valorisantes et de biens fièrement vendus, je me revois subordonnée à mon manque d’expérience, moi, à 23 ans, pas encore formée par le temps, faiblie par mes compères, par mes inaptitudes.

            Je souffle un air froid et brumeux devant la grande porte de cette maison de campagne isolée, immense tas de briques planté dans une végétation sauvage mais entretenue ; la grande demeure est un ancien corps de ferme rénové en un loft aux multiples facettes. Le jardin offre une vue en contrebas sur les champs de lavandes non loin de Sault, un village de Provence qui sent bon le printemps et la minéralité, le blé et les soirs de farniente à ne se soucier de rien. Avec cette proposition hors pair, je vois difficilement Paris Verdi, horloger suisse exerçant en France, me confesser une nouvelle opposition.

            Festina lentehâte-toi lentement, me dis-je pour moi-même. Cette locution est mon mantra, et m’aide dans les situations où ma patience est recommandée. Je l’espère du moins.

            J’attends patiemment que sa Porsche se gare dans la grande allée marbrée, ayant moi-même déjà ouvert le portail afin qu’il puisse me rejoindre plus facilement. Ce client m’interroge. Une fois ma journée terminée et que je m’élance sur les routes qui mènent à mon appartement, je réfléchis à sa condition. 

Milieu de trentaine, des cheveux en brosse bien fournis, et une allure de militaire à la retraite, Paris Verdi ne ressemble en rien à un horloger émérite, méticuleux et à l’heure. Il porte toujours cette paire de lunettes qui lui donne un air occupé, un trois-pièces soigneusement repassé, bleu ou sablé. Il exhibe la mer, parfois le sable, au bord de sa peau ensoleillée. Dire qu’il n’est pas attirant, pas un brin séduisant serait se fourvoyer. Pourtant, une sorte de tempête tropicale semble couvrir son regard et se manifeste d’autant plus, toutes les fois où il utilise la négation avec moi.

Non, madame Bassin, cette demeure ne me ressemble pas.

            Je ne crois pas trouver mon compte dans un endroit si pittoresque.

        Quelque chose ne me convient pas, le terrain environnant pourrait être constructible et je refuse catégoriquement de partager mon intimité avec des voisins.

       Non, non, non, c’est la chanson impitoyable qui saigne mes tympans, qui saccage mon sommeil. Ce dossier est particulièrement ardu et je crains prochainement que mon directeur ne me l’ôte, ne m’estimant pas capable de l’assumer comme il se doit.

            À cette idée, mes longs cheveux noirs pourraient tous blanchir d’un coup.

         Je resserre mon trench en laine, observant le jour quitter la vie pour laisser lentement une nuit pleine d'incertitudes s'emparer de moi. J'ai envie de croire que cette nouvelle proposition sera couronnée de succès mais je reste fatalement réaliste. Je ne vois pas ce qui pourrait changer de toutes les autres visites. Les lavandiers ne sont même pas en fleurs. Je soupire.

            Immobile sur le perron, je dépéris de la situation actuelle, lorsque j’aperçois enfin les phares de la voiture de Monsieur Verdi, illuminer la large fontaine Ginette devant laquelle il vient se garer, comme si ça avait déjà été le cas auparavant. Toute en élégance, il s’extirpe de la place du conducteur, contourne le véhicule et m’offre un sourire courtois à mesure qu’il s’approche de moi. Je suis saisie d’un frisson, je me convaincs que c’est l’air qui se rafraichit ; c’est bien d’une timide angoisse dont il s’agit réellement. Rater ma prestation une nouvelle fois.

            J’inspire et aussitôt, je revêts le masque de l’agente immobilière que je connais si bien. Servitude et amabilité. Mes dents se manifestent.

            - Bonsoir Monsieur Verdi, j’espère que la journée a été bonne ! Comment allez-vous aujourd’hui ? dis-je d’un ton jovial en lui offrant de serrer ma main en guise d’accueil.

            Je m’enquiers toujours un minimum de l’humeur de mes clients afin de m’y adapter et de rendre mes ventes plus performantes. 

Paris Verdi accepte ma poignée de main, je lui reconnais cette fermeté que je retrouve toujours dans sa parole, à mesure que nous évoluons dans nos échanges.

            - Pour tout vous dire, cette visite corrobore la trajectoire de ma journée. J’avais le vernissage d’un ami à moi ce soir, à Carpentras. Je suis son mécène. 

            Forcément, cet homme est le mécène de quelqu’un. Forcément, je le regarde en me disant que pour un jeune trentenaire, il a déjà tout pour lui. Excepté son foyer. Je décide de recentrer notre propos tout en enrobant sa déception.

            - Ce mas en vaut le détour, Monsieur Verdi, j’ai l’impression qu’il va vous apporter tout ce que vous espérez. Il y a même un appentis transformable en atelier d’horloger. Je suis certaine que votre coup de cœur se dissimule derrière cette porte.

            Mon client étudie la double porte en bois massif, d’un air songeur, se frottant la barbe tout en laissant parcourir son index sur sa bouche. Je détourne mon regard pour me munir des clefs, m’attarder sur ses attributs physiques n’est pas mon objectif. Il est vrai que Paris Verdi incarne toutes les qualités physiques de l’homme stable, entreprenant, sûr de lui, soigné et méticuleux. Pour autant, je ne suis pas là pour faire étude de ce qu’il expose au monde. 

            C’est l’heure du spectacle et je suis la cheffe d’orchestre, j’enfile mon costume.

Je lui présente vastement ce dont est constitué la cour centrale : les deux garages mitoyens qui encadrent la demeure, la fontaine Ginette, les arbousiers et la prédominance des oliviers, pour ensuite m’attarder sur l’historique de la maison, ses habitants, ses rénovations, son potentiel. Je me révèle à moi-même lorsque je prends le temps de présenter les rouages qui font une demeure présente. Je suis spécialisée dans les biens d’exception, des maisons d’architectes, d’artistes, d’artisans du temps. Vendre ainsi me stimule et me donne l’impression que je ramène à la vie, des éléments du passé qui ont encore une histoire à raconter.

            - Je vous propose de ne pas tarder davantage et d’entrer, Monsieur Verdi.

Il opine à mon attention, noyant son ressenti dans un silence qui n’augure rien et dans lequel je peux traduire n’importe quoi, surtout n’importe quoi. C’est bien évidemment ce que je fais. Ce n’est pas mon genre de me laisser décontenancer, mais ces refus à répétition m’ont fait perdre pas mal de mon courage. C’est une nécessité pour moi de me reprendre.

Dès notre entrée, j’allume les lumières et notamment le grand lustre en cristal qui trôle majestueusement, dès les premiers pas effectués dans la maison. L’atmosphère est chaleureuse, faite de marbre et de pierre, de bois et de verre. N’importe qui se sentirait bien ici.

            Mes bottes à talons claquent sur le carrelage laqué, alors que je poursuis le spectacle de ce soir.

            J’ouvre grand les bras pour exposer aux doutes de Paris Verdi -si toutefois ils demeurent- le raffinement et l’effet de rareté qui émane du lieu que je lui présente. Bien évidemment, je me poste sous le lustre pour le mettre en valeur et ainsi réhausser ma présentation. Je me râcle la gorge.

            - Voilà votre nouveau chez vous. Comme vous pouvez le voir, le bien n’est pas meublé. Mais déjà, avec ses murs sobres, la pierre d’origine et la cheminée à foyer ouvert, il est facile de se sentir accueilli par l’authenticité qui se dégage de ce lieu. 

Paris Verdi referme la porte de l’entrée, pas vraiment investi dans notre échange.

- Il fait une chaleur ici, m’annonce-t-il en déboutonnant son manteau, ignorant manifestement ce que je viens de lui dire.

            Mon moral en prend un coup. Monsieur Verdi dépose avec une certaine grâce, son vêtement sur la rambarde de l’escalier, je l’imite pour gagner ses faveurs et pour mieux me focaliser sur ma réponse.

            - Nous sommes en hiver, Monsieur, la maison est chauffée pour les visites de ce genre.

            - Les visites de ce genre ?

            Son ton me déstabilise d’autant plus qu’il plante ses yeux bleus dans toute mon infériorité et que, combinés à l’obscurité de ses cheveux dans ce contexte précis, je sens que je perds le contrôle de notre rendez-vous. Pourquoi ai-je dit quelque chose d’aussi bizarre ? Je tente une pauvre riposte, mais je suis coupée dans mon élan par un bruit étrange.

            - Mais que se passe-t-il ? argue-t-il, aussi stupéfait que moi.

            Sa voix calme parait me gronder. Je regarde autour de nous et ne peux que constater de la situation surréaliste dont nous sommes les victimes : les volets électriques du mas se sont mis en route et viennent de nous enfermer dans la maison.


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Comments (5)

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Jackie H 1 day ago

Ça commence bien, ça accroche, c'est vivant et plein d'humour. Je vais de ce pas lire le reste 🙂👍🏻

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Marissa Brugallé 1 day ago

Merci beaucoup pour ce super retour, j’espère que la suite vous enthousiasmera tout autant !! 😄

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