Une autre nuit 2/10
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Une autre nuit 2/10
"Je te laisse déviner le frisson que j'ai éprouvé quand j'ai pu lire les contes des Milles et une nuit, une fois appris l'arabe à Alexandrie d'Egypte", "Il. paraît que ce sont de contes magnifiques, mais je ne suis pas encore arrivée à m'en procurer une traduction". "Pour ce que j'en ai compris il s'agit d'une princesse qui raconte mille et une histoire à son Roi", intervient Remigio Barga." En réalité c'est bien plus que cela. Ce sont des histoires enchevetrés les uns dans les autres, qui se déroulent une nuit après l'autre pour déjouer la mort", "Expliquez-nous davantage" demande Barga, "Tout commece avec la cuisante déception du sultan Shaharyar, qu'en revenant à l'avance d'une battue de chasse surprends sa femme en train de coucher avec un esclave. Fou de rage ordonne à son visir de la faire executer, puis chaque nuit il prends en épouse une vierge qu'il fait executer chaque matin, afin de ne plus jamais être trompé. Bientôt le royame se trouve en proie au désarroi, puis à l'angoisse, face à ce carnage. Une soir Shérazade la fille du Grand Visir demande à son père d'être conduite à noces auprès du terrible sultan. Shérazade est une femme de sagesse, finesse, intelligence et bonté rares, le père se désespère de cette réquête. Elle insiste en lui expliquant qu'elle sait comme rendre la raison au sultan et de faire revenir le calme dans le royaume. Elle donne comme instruction que sa jeune soeur, Dunyazad, demande de la voir à l'aube, afin que sa soeur puisse lui reconter une dernière histoire. L'histoire que Sherazade commence à raconter est tellement passionnante que le sultan se rends à contre coeur aux audiences du jour. Il ordonne de ne pas tuer Sherazade afin de pouvoir écouter la fin de l'histoire. Après une deuxième nuit d'amour Sherazade reprends son conte, mais avant d'arriver à la fin un des personnages commence à raconter une histoire, encore une fois le Sultan qui doit suivre les audiences est obligé de laisser la chambre à contre-coeur, et ordonne au vizir de laisser vivre Sharazade. Les contes et les nuits d'amour se suivent de la sorte, une après l'autre, pendant mille et une nuits. Chaque histoire, émouvante, drôle, aventureuse, effrontée, passionnante, déchirante apporte un enseignement. Après mille et une nuit Shaharyar ne sera pas seulement un sultan si amoureux qu'il ne prendra plus aucune autre épouse, mais aussi tellement sage qu'il deviendra des meilleurs sultans de toute l'histoire de la Dâr al-Salaam"."Magnifique!" s'exclame Andrea."S'il te plaît, raconte nous une de ces histoires..." demande Foscarina, enthousiaste."Je suis désolé, j'en connais aucune par coeur et je ne voudrais pas en trahir la beauté avec un résumé". "Alors invente nous une autre nuit, Andrea m'a toujours dit que tu es un conteur hors pair"."Comme tu veux, Foscarina". Nous nous levons de table et nous allons dans le salon. Andrea étaint les bougies. Le feu de la cheminée éclaire notre petit cercle. Mais il y a une autre lumière, de celles qui viennent de l'intérieur, qui n'éclaire que moi. Je la trouve dans les yeux de Foscarina. Je pense qu'elle est la seule merveille qui n'est pas décrite dans les Mille et une nuits. Après l'avoir contemplée un moment, je me concentre sur les flammes de la cheminée, comme font les nomades du désert, quand ils commencent à parler dans le silence de la nuit. Il n'y a rien autour d'eux, et pourtant jamais l'espace se remplit autant de la présence humaine. Je commence à racontrer:
"Le silence s'était emparé de la démeure de Shahryar. Sheherazade, l'âme de son Palais, était partie, en fuyant à tout jamais les intrigues et les vanités de la Cour. Malgré le faste des pièces où passait son temps, ces murs qui protégeaient ses jours et ses nuits de souvrain, lui paraissent un corps froid, vide. La nuit tombée, le sultan décide de quitter les lieux qui, depuis toujours, le protégeaient de la proximité de ses soumis. Des longues heures durantes il avait parcouru dans le noir absolu, à pieds, les routes de son pays. Tous les chemins, qui pourtant lui appartenaient, lui étaient inconnus. Il s'était drapé d'un manteau trouvé dans un des coffres de son palais, un manteau en tout semblables à celui porté par Haroun al-Rachid dans les milles et une histoire qui avaient peuplé ses nuits. Il aime imaginer que le regard de Shéhérazade s’était posé une fois sur le fond de ce coffre et qu’il avait reproduit fil après fil ce vieux habit dans ses contes. Ou peut être pas. Peut être que chaque sultan qui se déguise en mendiant ne peut porter qu’un seul et unique manteau.
Aux temps d'avant, innombrables audiences exténuaient ses jours. Lors d'un après midi déséspérement ensoleillé, dans le geste d'impatience bien dissimulé d'un de ses courtisans, il avait aperçu le vrai. Il avait deviné les milliers de gestes qui se composaient à son passage, pour simple complaisance.. Il comprit alors que son royaume ne valait rien, que chaque mère en invente un de meilleur pour consoler son enfant de l’arrivée de la nuit. Il sourit. Comme seulement les souverains et les mendiants savent faire. Magistralement.
Dès la première nuit Schahryar avait compris que Shéhérazade enchaînait ses contes pour ne pas mourir. Ce que Shéhérazade ignorait c'est que depuis la première nuit, sa vie était sauve.
Il continuait à pénetrer le coeur de cette ville sur laquelle il étendait son pouvoir avec des mains autres que les siennes. Au fond d'une rouelle, il aperçoit un meunier, maître d’un seul et unique savoir, fait de graines, pierre, eau et farine, avec une femme à ses cotés dont le front est couronée juste par une natte. Il retient le souffle, puis il reprends son chemin. car la jalousie n’est pas sentiment digne d’un roi.
Quand le Vizir, quelques années auparavant, avait emmené Shéhérazade à ces noces d'une seule nuit qui se terminant par une immancable mort, après avoir contemplé les yeux plein de douceur de la fille de son vizir, Shaharyar avait décidé de la rendre vierge à son père. Il ne voulait pas de son sang sur ses main. Il le lui avait annoncé, dès qu’ils étaient restés seules dans la chambre. En secouant la tête, Shéhérazade lui avait saisi le poignet. Effleuré par ses doigts, il s’était dit qu’aucune chaîne au monde aurait pu retenir la violence de son bras plus parfaitement que la tendresse qui avait ceint ses veines dans ce moment précis.
Dès la première nuit Shéhérazade avait su que sa vie était sauve. Ce que Shaharyar ignorait c'est qu'elle tissait ses contes, l'un après l'autre, pour éviter que la mort s'empare à tout jamais du coeur du sultan .
Shaharyar savait que Shéhérazade s'était réfugiée dans le palais de sa soeur, Dunyazade. Il était bâti en lisière de la ville, caché entre allées d'arbres et fleurs. A la fin du chemin, Shaharyar s'était trouvé face à un imposant portail. Une servante l'avait conduit le long des couloirs. Les chambres se succédaient une après l'autre, jusqu'à quand se trouve face à un visage connu, si semblable à celui de Shéhérazade, mais déporuvu de la majestueuse melancholie qui habitait le regard de son épouse. En attendant cette dérnière, Dunyazade le fit assoir. Il contempla l'immense tapis qui s'étendait devant ses yeux, dont les milles volutes attiraient inlassablement son regard. Shéhérazade et Dunyazade l'avaient tissé ensemble bien avant les noces. A Shaharyar parut enfin comme une évidence, que chaque vol d'oiseau, chaque branche, chaque feuille, chaque géométrie qui répondait à une autre, chaque asymmetrie qu'en compensait une autre, chaque fleur qui s'épanouissait éternalement devant ses yeux avaint étaient là pour témoigner d'un soin, d'une attention, d'un amour inépuisables. Il sourit comme seuls les méndiants et les souvrains savent faire. Magistralement.
Dès la première nuit les vies de Shéhérazade et Schahryar étaient sauves, ce qu’ils ignoraient tous les deux, c'est que cela s'était fait bien avant que les contes commencent…"
Terminé le récit je regarde Foscarina, la lumière des braises n'est pas grand chose comparé à celle que je vois briller maintenant dans ses yeux.
Il Consiglio dei Dieci, éd. Supernova, Venezia 2022 p. 68-71, Trad fr
Bagdad, Palais Abbaside, photo du net.