Les visages de l’amitié La saga des 4 tomes d’Elena Ferrante « L’amie prodigieuse »
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Les visages de l’amitié La saga des 4 tomes d’Elena Ferrante « L’amie prodigieuse »
C’est bien l’addiction du plaisir de la lecture qui nous pousse à parcourir toujours plus cette saga de 4 tomes, ce récit envoûtant des quartiers ouvriers napolitains qui a pour fil conducteur une amitié fusionnelle et compliquée, celle d’Elena Greco et Lila Cerullo.
L’écriture d’Elena Ferrante, c’est un texte fourni, puissant, intelligent, addictif, qui va même jusqu’à stimuler l’intelligence du lecteur. Les mots se succèdent avec fluidité et abondance.
Une passionnante illustration des « différents visages » de l’amitié
S’éloigner, puis se retrouver. Partager des moments de grâce, puis s’émanciper individuellement, chercher sa propre identité, se libérer… Puis se retrouver de nouveau, réveiller ce lien indestructible, indélébile, transcendant. Depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, c’est un cheminement complexe d’une amitié fusionnelle que nous découvrons.
Ferrante sait décrire avec justesse la complexité du réel et nous plonge de manière tout à fait naturelle dans ces récits de vie. Les difficultés de la vie familiale se confondent ainsi avec celles de la relation amicale.
Entre ambitions et talents, complémentarités et compétitions, divers questionnements sont exposés. Les paradoxes humains font surface et nous donnent une belle claque d’humanité et de profondeur.
Suis-je dotée d’un talent individuel ? Ou est-ce simplement le résultat d’une compétition, d’une fusion, d’un amour porteur et transcendant ? Quelle est ma valeur sans mon amie ?
Et aujourd’hui encore, je pense qu’une grande partie du plaisir de ces journées venait justement de ce que nous pouvions oublier totalement nos conditions de vie à toutes les deux : nous avions la capacité de nous élever au-dessus de nous-mêmes et de nous isoler dans la pure et simple création de cette espèce d’apothéose visuelle (…) Nous suspendîmes le temps et l’espace, il ne resta plus que le jeu de la colle, des ciseaux, des morceaux de carton et des couleurs : le jeu de l’invention complice.
Les deux amies, toutes deux dotées d’une grande intelligence, se heurtent dès leur adolescence à leurs différentes ambitions et leurs différents destins. Et si leurs vies respectives étaient un frein à la longévité de leur amitié ?
A intelligences égales, la différence des personnalités et des ambitions ne conduit pas les deux personnes aux mêmes endroits ni aux mêmes actions. La manière et la logique d’appréhension des données et des informations, subsistent néanmoins.
Une sociologie du Naples ouvrier ?
Sans amour, non seulement la vie des personnes est plus pauvre, mais aussi celle des villes
Naples est de ces villes où le désordre devient attachant et plaisant. Ce dernier s’allie avec les personnalités extrêmes de ses habitants : la haine y est en effet aussi forte que l’amour. C’est sans nul doute pour ces raisons que les personnes y vivent des années voire des vies entières.
L’amitié des deux protagonistes prend vie dans ce Naples imprégné de mal-être ouvrier, et nous plongeons dans le drame de l’inégalité sociale toujours subtilement décrit par Ferrante.
L’origine sociale va ainsi de pair avec la manière d’appréhender son futur, et la fatalité de la naissance semble tragiquement irréparable.
Il ne s’agissait pas uniquement d’étudiants qui réussissaient leurs examens avec brio, que ce soit en latin, en grec ou en histoire, mais de jeunes gens (…) qui excellaient parce qu’ils savaient tout naturellement à quoi serviraient les efforts investis dans leurs études. Ce savoir, ils le tiraient de leurs origines familiales, c’était comme un sens de l’orientation.
Nous immergeons dans la vision d’une jeune femme qui se compare à celles venant du milieu aisé et qui constate le charme et l’aisance naturelle de ces dernières. Elles ne semblent pas être conscientes de cette aura assigné à la naissance et n’ont pas même notion de supériorité ou infériorité entre les êtres. Ce qui n’est pas le cas d’Elena Greco, bridée par ce ressenti d’infériorité « inévitable ».
Féministe ? Moi ? Mais c’est quoi une féministe ?
L’amour et le rêve existent évidemment dans ce Naples ouvrier. Certaines rêvent de mariage et d’amour, et d’autres adoptent une vision que l’on pourrait qualifier de féministe, sans même connaître ni savoir nommer cette notion-là.
Eh bien, nous les filles du quartier, nous voulions depuis notre enfance devenir des épouses, de fait en grandissant nous avions presque toujours eu de la sympathie pour les maîtresses, qui nous semblaient des personnages plus passionnés, plus combatifs et surtout plus modernes. Et puis, nous espérions que l’épouse légitime (en général une femme très perfide, ou en tout cas infidèle depuis longtemps) tomberait malade et mourrait, permettant à la maîtresse de quitter ce statut et de couronner son rêve d’amour en devenant une épouse. Bref, nous étions du côté de la faute mais seulement pour que celle-ci confirme la valeur de la règle
Plus tard dans le roman, l’essence féministe prend son envol à travers la vision des femmes, mais aussi à travers celles de certains hommes lettrés :
-Il faut que tu laisses plus de temps à ta femme.
-Elle a toute la journée à sa disposition.
-Je parle sérieusement. Si tu ne le fais pas, tu te rends coupable non seulement d’un point de vue humain, mais aussi politique.
-Coupable de quel délit ?
-Le gâchis d’intelligence. Une société qui trouve naturel d’étouffer toute l’énergie intellectuelle des femmes sous le poids de la maison et des enfants est sa propre ennemie et ne s’en aperçoit pas.
J’en conclus que…
Les récits de Ferrante sont destinés à tous les âges, à toutes les femmes en particulier.
Ces tomes exposent des périodes de vie diverses auxquelles nous pouvons toutes réfléchir, nous questionner, nous comparer comme bon nous semble. Chaque aspect de la vie d’une femme est abordé : la passion, le mariage d’amour ou de raison, la grossesse, les adultères anecdotiques ou celles qui déclenchent le divorce.
L’intégralité de ces vies figées sur le papier démontre sans aucun doute à la jeune génération la complexité d’une vie, et invite avec brio à la prise de distance.
Telle une couleur vive sur une peinture qui s’estompe pour finalement devenir une couleur pâle en toile de fond, cette relation omniprésente à ses débuts prend une tout autre forme au fil du temps. Disparaît-elle ? Perd-t-elle de sa vivacité similairement aux êtres qui vieillissent ?
Est-ce ainsi qu’une amitié d’enfance se doit d’évoluer pour perdurer jusqu’à la vieillesse ?
Encore une fois, Ferrante nous stimule et nous questionne. Aucune réponse n’est apportée, beaucoup de questionnements sont soulevés. Une seule certitude se dégage en fin de course : l’amitié est un mystère délectable.
N.B Chaque citation de cet article est un extrait d'un des quatre tomes de la saga "L'amie prodigieuse" de Elena Ferrante.
Julien Guyomard 3 years ago
Livre frustrant, à chaque fois que ma copine ou qu'on m'en parle, j'ai vraiment envie de m'y plonger, mais ça a échouer à chaque fois. Et pourtant, j'ai l'impression de passer à côté de quelque chose qui pourrait me plaire !