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Published Oct 23, 2022 Updated Oct 23, 2022 Culture
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C'est pas bon, c'est trop long, c'est trop personnel...bref, c'est un début. Y'a encore un petit bout de chemin.

Je me souviens qu’un jour, en cours « d’études de genres », parce qu’on ne pouvait déjà pas dire en français « théorie du genre », j’étais assise comme à ma nouvelle habitude, plutôt devant. La salle était presque pleine, ce qui est gage de succès d’une simple option en Master 1 dans quelque faculté que ce soit. Cette année-là, comme on pouvait prendre deux options par semestre, j’avais également choisi « histoire de la bible ». C’est que j’étais en pleine reprise du sport, mon corps frêle avait retrouvé quelques fonctions musculaires, j’étais en cours d’accession au plein potentiel de celui-ci, y compris en termes de souplesse. Je réussissais le grand écart de côté, ne me manquait plus que le grand écart facial. Par contre, si on m’avait dit quelques 15 ans plus tôt que je ferais du Kung-Fu, j’aurais utilisé tout le potentiel non-maitrisé de ce même petit corps pour faire comprendre l’idiotie de la chose. Et me voilà, donc, en cours d’études de genres, avec mon sac prêt pour l’entraînement qui suivait le cours, en tenue de sport, à écouter en essayant de comprendre pourquoi je m’étais inscrite là. Il faut dire qu’à la réunion de rentrée, un prof avait prévenu tout le monde en arguant : « on ne vous demande pas de comprendre Judith Butler, c’est un peu…difficile d’accès. ». J’avais parcouru Gender Theory[1] l’année d’avant, j’avais bien aimé, mais je sentais à sa lecture que l’auteur m’emmenait là où elle voulait plutôt que de me laisser l’opportunité d’arriver où que ce soit. Si j’avais pu le sentir, n’importe qui le pouvait. Alors déclarer d’entrée à des étudiants bredouillant que tel auteur est « difficile d’accès », autant barrer directement l’auteur de la liste des bibliographies. C’est ce que chaque étudiant présent ce jour-là a fait mentalement. Je ne sais pas à quel point le prof en question était conscient de ce qu’il faisait, mais j’ai senti qu’il n’en était pas complètement inconscient. Ah quand j’aurais inventé la machine capable de le mesurer, on va bien s’amuser…

Bref.

Donc, pas de Judith Butler, trop difficile, à l’entrée en Master 1. Et une option « études de genre ».

Je suis en cours, assise à une table devant, mon sac de sport sur la table à côté de moi, puisque, c’est bien connu, il y a toujours plus de place devant que derrière. Je suis en tenue de sport, donc pas super féminine, j’en conviens. Faut-il l’être à tout instant ? Ai-je aiguisé l’appétit de certains qui ne savaient pas egzaktement pourquoi ils étaient là ?

La feuille de présence passe dans la salle, elle a déjà fait le tour de la moitié de la salle quand elle arrive à moi. Donc il y a peut-être une vingtaine de signature. Je m’apprête à signer à côté de mon nom. Ah…un petit dessin. Oh… ! un petit sexe masculin, si je déchiffre bien, une petite bite. Je sens encore mon cœur battre dans mon ventre rien qu’à me remémorer la scène. Or je pratiquais le Kung-fu à cette époque.

 

Une semaine auparavant, le Maître nous avait raconté une histoire sur l’un de ses assistants. Oui, je dis le Maître car nous avions la chance d’avoir accès aux cours d’un « véritable » moine shaolin, défroqué parce que marié à une française, mais formé dans le Temple, et pas dans une de ces 2000 écoles qui ont fleuri autour du Temple depuis 20 ans. Il avait intégré celui-ci à l’âge de 5 ans. Il avait suivi l’enseignement traditionnel, et tentait de nous en enseigner à son tour les rudiments. Il parait que les assistants, qui furent ses premiers élèves français, avaient dû faire tous les exercices que nous faisions à notre tour, mais en extérieur. Nous avions une salle chauffée, et des tapis au sol. Nous étions déjà dans la version occidentalisée de la formation.

Bref.

Sentant que plusieurs d’entre nous avaient quelques difficultés avec la gestion de nos émotions, il nous a raconté cette petite histoire : « un jour, pendant un exercice, Il s’est fait très mal. Pourtant il était vraiment très fort. Mais il a eu un moment d’inattention. Au moment où il a eu très mal, il a pris sa chaussure et l’a lancé à travers la fenêtre. Je suis venu le voir et lui ai demandé pourquoi il avait lancé sa chaussure. Il m’a répondu qu’il avait eu très mal. Je lui ai dit « mais c’est très bien !!! remercie celui qui t’a permis de voir ta faiblesse !!! ».

Comme pour l’opposition du droit au fait en philosophie, je n’ai pas tout compris. Mais j’ai écouté. Et cette histoire d’un coup m’est revenue en mémoire, au moment de voir le petit dessin à côté de mon nom.

J’ai pris quelques secondes, la feuille en main, le cœur dans les tripes, avant de savoir quoi faire.

J’ai levé la main et j’ai demandé à la prof si je pouvais parler à la classe quelques secondes. Elle a accepté sans savoir de quoi il retournait.

Je me suis levée, le cœur toujours dans les tripes, comme au moment où je l’écris, mais un peu moins fort quand même.

Je me retourne pour parler aux autres étudiants.

« Je voudrais …sincèrement…remercier la personne qui s’est permis de dessiner à côté de mon nom. Merci…vraiment. » Je mordais chacun des mots qui sortaient de ma bouche. A sang.  Je me rassois en rage. Le cœur battait dans tout mon petit corps.

 

La prof, interrogative, prend la feuille de présence et note le petit dessin.

 

« Alors, j’ajouterai, en voyant de quoi il s’agit, que la personne qui a fait ce dessin, n’a rien à faire ici…mais vraiment rien. Il serait bon que cette personne s’abstienne de venir à l’avenir. »

J’entendais, mais je m’en foutais. Je sentais bien dans mon dos, et je savais que mon petit corps pouvait s’occuper en même temps de deux ou trois d’entre eux, surtout vu le taux d’adrénaline présent dans mon corps à ce moment-là.

Le cours se passe et tout ce dont je me souviens c’est de ce cœur qui bat, partout. Je n’ai presque pas pris de notes ce jour-là.

En sortant, je me rends au cours de Sanda, la boxe chinoise, qui permet de frapper avec les pieds et les poings et de faire des prises. J’ai toujours eu « besoin » de ce genre de sport. Je me prépare et j’arrive dans la salle. Les mâchoires quasiment soudées entre elles. Echauffement. Puis séance de combat. Il y a là trois jeunes hommes, de 15 à 18 ans. Je les vois rire entre eux. Mais ils n’auront pas le choix, ils ne sont que trois. J’attends qu’ils en désignent un pour m’affronter. Je ne pense certainement pas. J’ai juste…besoin qu’ils se décident vite. Au bout d’un moment, ils vont voir le prof. Aucun d’eux ne veut m’affronter, ils veulent faire des combats entre eux. J’explose. Je retire mes gants et les jette dans la salle à côté, je pleure et hurle en même temps. Le maître me suit, il est plus petit que moi et encore plus fluet. Mais ne vous y trompez jamais, un simple geste et je finis sur le mur d’en face. Mais je n’arrive pas à me contrôler, je le repousse. Mes phrases n’ont ni début, ni fin. Il essaye de me calmer. Et je lui raconte l’épisode de l’après-midi, et le fait que je me sois levée devant toute la classe pour « remercier » l’auteur du dessin.

 

Il rit !

Et étrangement, ça me calme.

« mais il ne suffit pas de le dire, Alexia ! Il faut le penser, à l’intérieur… »

Ah…fis-je dans ma tête. Le penser ? Mais comment ? Comment puis-je remercier celui qui…

Et depuis, c’est, quand je m’en souviens, ce que je cherche. C’est un autre entrainement. Que je n’ai pas lâché.

Comment… ?

 

[1] Judith Butler, 1990. Gender Trouble. 1st ed. Routledge.

 

 

Crédits photo: PHOTOGRAPHIE DE Daniel Pomarède, IRFU, CEA, représentant Laniakea.

" Ainsi, les mouvements des galaxies permettent de repérer l’architecture de l’Univers, non seulement la matière cosmique ordinaire, mais aussi la matière noire, celle que l’on n’observe pas. Les cartes ainsi produites nous renseignent sur la question cosmologique de l'uniformité de la distribution de la matière où toutes les structures seraient nées de petites fluctuations primordiales, donnant naissance à la toile cosmique avec des vides, des filaments, des galaxies, des amas de galaxies, des superamas,..."

Mehdi Benmakhlouf, "Laniakea, le superamas de galaxies dans lequel gravite la Voie lactée", 31 mars 2022, disponible à https://www.nationalgeographic.fr/espace/laniakea-le-superamas-de-galaxies-dans-lequel-gravite-la-voie-lactee , dernière consultation le 23/10/2022

 

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