4. Clan destin - Les recherches
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4. Clan destin - Les recherches
Les ados se firent réveiller par les sirènes qui hurlaient dans le lointain. Ils furent directement debout et firent de grands signes aux hélicoptères qui tournoyaient au-dessus de leurs têtes. Les villageois étaient déjà au travail. Ceux-là s’amusèrent un temps à les voir gesticuler sans résultat, puis se remirent à bêcher.
Salween passa à son tour ; il leur montra le potager en parlant en dialecte.
— Rien à cirer de tes légumes, Caporal ! lâcha Élias vainqueur. T’as vu ? On nous recherche ; ce soir, on est dans notre lit ! C’est ta dernière chance pour nous laisser partir, après tu auras la responsabilité d’envoyer ton clan sur les routes.
Salween fit signe qu’il ne comprenait pas ce qu’il lui disait. Élias entreprit une séance de mimes assez ironiques. Salween en rit à gorge déployée, il ébouriffa la chevelure d’Élias et continua son chemin tranquillement, le plantant, interdit, sur la place du hameau.
— Il m’énerve, s’écria Élias, en regardant ses compagnons. Il est bien trop sûr de lui, ce bouffon !
— Venez travailler, intervint Tessaoud à mi-voix dans leur dos. Ça ne sert à rien de crier comme ça, ils ne vous entendent pas et ne vous voient pas. Je vous le jure. Ce n’est pas la première fois que des hélicoptères passent au-dessus de nos têtes, pour surveiller les incendies. On n’a jamais été inquiétés. Si vous ne bossez pas au potager, vous n’aurez pas à manger et vous avez déjà raté le premier repas.
— Tessaoud, on ne peut pas rester ici ! s’exclama Zoé, affolée.
— Chut ! Je ne peux pas te parler dans la langue universelle, répliqua-t-il. Vous n’avez pas le choix, vous vivrez parmi nous jusqu’à l’accomplissement de la septième lune.
— Tu ne peux pas nous aider à nous échapper ? supplia Manon, doucement.
— Non, ça n’aurait aucun sens, rétorqua l’autochtone fermement, presque choqué. Voilà un outil ; suivez-moi.
Tessaoud hésitait à expliquer autre chose quand il aperçut Salween au bout du chemin ; il soupira et partit rapidement. Salween le fixait d’un œil sévère. Le jeune arriva à sa hauteur ; l’aîné l’attendait, bras croisés. Ils conversèrent quelques secondes. Tessaoud désigna la hutte « médecine » avec la dame plus âgée qui observait l’échange de loin. Elle fit un signe, Salween acquiesça.
Tessaoud continua sa progression vers le potager. Élias et Félix n’avaient pas perdu une goutte de la scène qui s’était déroulée devant leurs yeux. Élias déclara d’une voix à peine audible :
— Le bouffon n’est pas content que la vieille lui ait donné son accord !
Salween tiqua en le pointant, un peu marri. Élias fut surpris par cette réaction : il avait émis sa remarque tellement bas qu’il ne pouvait pas l’avoir captée. Il se tourna vers ses compagnons, complètement désappointé :
— Putain ! grommela Félix. C’est presque pas possible qu’il t’ait entendu !
— Je crois qu’on doit se rendre à l’évidence, constata Manon, ils sont trop forts. Ils ont parcouru la moitié de la terre sans qu’on les aperçoive. Combien de guerres, combien de peuples ont-ils connus avant de trouver refuge ici en passant à travers les mailles du filet ? Ils ont un truc ! C’est comme la langue universelle... Ils sont bien trop puissants pour nous ! On va séjourner sept lunes dans cette prison.
— T’as raison, allons-y dit Félix. On devra ruser pour se barrer. La meilleure tactique n’est sûrement pas de se révolter.
Résignés, ils se dirigèrent vers le potager. Le travail était lent, monotone, coupé par des chants lancés par l’un ou l’autre. Quand arriva l’heure du repas, les ados étaient affamés. Félix et Zoé suivaient Tessaoud qui leur montra la hutte « réfectoire ». Manon et Élias traînaient un peu derrière, en silence, profondément abattus par leur situation. Salween les attendait, adossé à la porte de la case. Rien qu’à voir sa mine de surveillant-éducateur, Élias se cabra.
— Stop ! J’entrerai pas dans cette cantine, déclara-t-il à Manon. Je ne lui ferai pas ce plaisir. Fais ce que tu veux, Manon, mais moi, je saute le déjeuner !
— Je te suis ! décida-t-elle.
Tous les deux bifurquèrent pour aller se réfugier sous l’eucalyptus. Élias ne quittait pas le regard de Salween qui, furieux, le fixait, les lèvres pincées. Un bras de fer s’était engagé entre leurs deux paires d’yeux ; Élias, aussi déterminé que son adversaire, le toisait avec une pointe d’arrogance.
— Le premier qui baisse les yeux a perdu ! pensa Élias, frondeur.
Lisu vint parler à Salween et l’entraîna à l’intérieur.
— Gagné, bouffon ! murmura Élias, avec une mine de vainqueur.
Salween repassa la tête par la porte, pointa Élias du doigt en le scandant, prêt à lui balancer n’importe quel reproche. Élias le défia par un sourire insolent, attendant le réquisitoire, le sourcil relevé. Salween garda le silence, rentra dans la hutte en bouillonnant de rage.
Félix essaya de sortir une galette, pour la donner aux deux autres. Salween la lui prit des mains avec une mimique hautaine en lançant une phrase dans sa langue. Félix n’insista pas.
Après le repas, quelques enfants leur montrèrent le sentier de la rivière ; ils nagèrent avec eux jusqu’au coucher du soleil. Tous les baigneurs réintégrèrent le village, sauf les quatre captifs qui n’arrivaient pas à s’y résoudre. Allongés sur une grève de sable près du bassin, ils remâchaient sans cesse la tournure des événements.
Ils avaient clairement réalisé qu’ils étaient en dessous de la chute ; les secours avaient dû emprunter ce chemin alors qu’ils travaillaient au potager. D’un commun accord, ils décidèrent de dormir sur place, espérant une seconde battue le lendemain.
— Regardez qui voilà ! annonça Élias en désignant la panthère qui les observait calmement à quatre ou cinq mètres de là, assise sur un rocher.
— Elle a aussi dormi près de nous hier, c’est pas un problème ! dit Manon en regardant gentiment la bête.
Elle éprouvait une indescriptible attirance vers cet animal. Elle lui sourit en penchant délicatement la tête.
— Cette fois, elle n’est pas là pour ça ! déclara Salween avec force, de l’autre côté de la berge. Remontez au village immédiatement.
Les quatre ados se tournèrent comme un seul homme vers lui. Il traversa la rivière d’un pas sûr comme s’il ne percevait aucun caillou sous ses pieds. Il désigna du bras le chemin à emprunter pour rejoindre les maisons. Aucun des ados n’obéit.
— Ne vous bloquez pas, dit Salween plus calmement. Vous gaspillez votre énergie inutilement.
— Aurait-on retrouvé l’usage de la parole ? lâcha Élias sarcastique.
L’effort pour ne pas prendre la mouche se lisait sur la figure de Salween. Cela fit sourire Élias qui marqua le point.
— Hou, mais tu suis la méthode «Zen, pour les nuls » ! persifla-t-il.
Salween bouillonnait ; il toisa l’ado en serrant la mâchoire. Il déglutit, se calma et somma :
— Retournez au village, personne ne dort ici.
— Nous préférons dormir ici. Le sable est plus doux, répliqua Élias avec une pointe d’ironie.
— Il n’y a pas de discussion possible. Tout le monde dort au village !
— C’est ce qu’on verra ! le défia Élias, bien décidé à ne pas bouger.
— Mais c’est tout vu ! répondit Salween d’un ton doucereux.
D’un geste de la tête, il donna un ordre à la panthère. Celle-ci bondit et se jeta sur Manon, qui bascula et se retrouva en dessous de la bête, plaquée au sol, ses crocs autour de la gorge. Le fauve releva la tête et scruta Élias tout en gardant Manon prisonnière. Le ventre d’Élias se noua immanquablement. Il ne pouvait supporter que Manon subisse les conséquences de ses actes ou de ses paroles. Il resta un instant subjugué par la scène. La panthère montra ses crocs d’un air menaçant.
— Ça va, t’as gagné, déclara Élias, tout en fixant la bête.
La panthère sembla avoir compris et libéra Manon. Elle rejoignit son maître docilement. Élias se leva, il toisa une dernière fois Salween et précisa entre les dents :
— La bataille, pas la guerre ! Bouffon !
Élias tourna les talons et réintégra le village sans attendre les autres. Il était en larmes, de rage et d’impuissance. Drapé dans sa dignité, il n’avait aucune envie qu’on le surprît en pleurs. Surtout pas Salween. Il se dirigea vers le potager, déserté pour la nuit, et rumina sa colère en plantant des haricots.
Élias resta dans son champ à triturer le sol jusqu’à ce qu’une vieille femme, celle qui habitait la hutte longeant le jardin, lui posât une main sur l’épaule. Elle lui tendit un bol de cacao chaud et retourna chez elle, sans un mot.
Assis par terre, entre les légumes, Élias essaya de boire une gorgée de ce réconfort. En vain. Son désespoir était trop grand, son amertume trop forte pour avaler quoi que ce soit. Il déposa la tasse à côté de lui et demeura fiché comme un vulgaire poireau, au milieu du potager.
Manon arriva près de lui, elle s’assit et lui proposa un morceau de galette qu’on venait de lui donner. Élias déclina et présenta à son tour le cacao.
— Waw, tout fumant ! Qui te l’a offert ?
— La vieille dame qui habite cette hutte. C’est celle qui m’a soigné.
— Elle savait que tu aimais tant ça ?
— Sans doute un autre de leurs trucs ! répliqua-t-il, désabusé. Je n’arrive pas à réaliser que tout ce qui se passe n’est pas qu’un cauchemar !
— Moi non plus, souffla-t-elle.
— La panthère ne t’a pas blessée, au moins ? demanda-t-il en scrutant son cou.
— Pas du tout. Il y avait dans ses yeux une drôle de lueur. J’étais certaine qu’elle ne me ferait pas de mal. Elle a juste voulu t’impressionner
— C’était réussi !
— Elle m’a regardée fixement comme si elle voulait m’hypnotiser, ajouta Manon pensive. Ou plutôt comme si elle voulait me dire quelque chose. D’ailleurs, j’ai vu une drôle d’image, C’était un aigle sur un fond bleu turquoise.
Manon, un peu interloquée, décrivit sa vision.
— Cela pourrait être un des médaillons du bracelet... C’est stupide, murmura-t-elle, en balayant l’air d’une main agacée.
Élias réfuta d’un mouvement de tête ; rien n’était stupide dans ce monde-ci. Il fallait qu’ils fassent attention aux moindres détails s’ils voulaient comprendre pourquoi on les maintenait prisonniers.
— Ils te veulent autre chose qu’à nous, dit-il, j’en suis certain.
— Non, si c’était le cas, on vous aurait largués sur la rive du Maroc.
— Je les emmerde avec mon insolence et c’est pour cela qu’ils ne nous ont pas séparés. Ils veulent nous mater. Je ne te laisserai pas seule avec ces barbares !
— Avoue que tu as un certain plaisir à faire mousser Salween !
— C’est vrai, murmura Élias avec un premier sourire.