Le Complexe : chapitre 04
Le Complexe : chapitre 04
Le Complexe : chapitre 04
La réserve
La quiétude s’était réappropriée les lieux, grignotant les heures tardives avec une voracité insatiable. Les derniers lampadaires, telles des sentinelles fatiguées, n’offraient plus le moindre réconfort et leur lumière vacillante s’éteignait peu à peu, au rythme des programmateurs de Cap aux Basques, laissant place à une obscurité oppressante. Seul le murmure entêtant des vagues, semblable à un chant funèbre, apportait une ombre de réalité à la nuit. Sur l’esplanade, quelques rayons de lune, timides et hésitants, osaient s’aventurer comme des âmes perdues. Ils enveloppaient d’une lumière astrale les trois adolescents qui attendaient au 51 de la rue Karaiskaki, immobiles et silencieux, devant la bouche béante du Complexe. Cette ouverture délabrée, semblable à une gorge béante prête à les engloutir, s’ouvrait sur les entrailles de l’ancien centre de loisirs. La frontière était mince, mais palpable, entre l’air encore chaud poussé par la mer, et le souffle glacé qui remontait des profondeurs du bâtiment abandonné.
— Vous savez, tenta timidement Laurent, on peut encore se dire qu’on a vécu une hallucination collective et on va se finir ailleurs, n’importe où, mais ailleurs.
— Ou alors on entre, contredit Anaïs, on affronte nos peurs, et on en rigole tout l’hiver.
— Aussi, soupira Laurent.
Antoine ne disait rien. Il restait pétrifié, son regard rivé sur la trace macabre que son corps avait imprimé contre le mur. Son visage, figé en un masque de cire, dissimulait le tumulte qui grondait en lui. Une rage incandescente couvait sous sa peau, sa joue brûlant d’une fureur volcanique. Dans un geste lourd de sens, Anaïs se plaça entre les deux hommes. Le temps s’offrit un moment de répit lorsqu’elle glissa sa main dans celle d’Antoine. Il la serra aussitôt, comme un naufragé s’accrochant à une bouée providentielle. Pour Anaïs, son cœur manqua un battement, pour Antoine, ce contact fut l’étincelle qui embrasa sa détermination. D’un pas résolu, il franchit le seuil de cette pièce maudite qui l’avait marquée de son empreinte glaciale et brûlante. Les deux autres le suivirent, comme attirés par une force invisible. La pièce les engloutit, bête affamée gobant ses proies.
Une chape de plomb s’abattit sur les trois adolescents tandis que leurs épaules s’affaissèrent sous le poids invisible d’une terreur grandissante qui ne disait pas son nom. La lumière blafarde de la lune semblait reculer, repoussée par la corruption qui imprégnait ce lieu dévasté. À terre, des détritus usés par la morsure du temps gisaient tels des cadavres pourrissants sous un linceul de poussière. Les empreintes de pas, derniers témoins de leur fuite, étaient encore là, griffures anachroniques sur un sol fissuré. Ils restèrent un moment plantés dans cette entrée figée. Les secondes ou les minutes n’avaient plus d’existence et se mêl
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