Une pluie sombre dans la nuit
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Une pluie sombre dans la nuit
Suite à un défi avec des amis, je change un peu de registre pour écrire une fiction un peu plus sombre qu'à mes habitudes.
Bonne lecture.
La pluie tombait depuis des jours sans discontinuer. La ville semblait sombre, tout autant que ces habitants. Ce soir-là était une nuit sans lune. Ceci rajoutait à la pénombre de mon quartier. Les lampadaires fonctionnaient toujours aussi bien. Un seul essayait d’éclairer les quinzaines de mètres qui me séparaient de mon domicile, par intermittence de flash lumineux. Rien de choquant jusque là. La municipalité n’avait pas le temps et l’argent pour investir dans ce recoin délabré de la ville. Après tout, ils avaient raison. Nous avions déjà une chance fabuleuse d’avoir de quoi nous loger. Et puis, au moins, nous ne serons jamais importunés par la lumière. C’est un plus. C’est en tout cas comme ça que l’agent immobilier m’avait vendu ce paradis terrestre.
Il est vrai que le cadre est vivable. Si l’on ne cherche pas à être tatillon sur ce lot de poubelles renversées, déversant des jours d’une humanité crasseuse et débordant d’une mousse verte due à la décomposition des restes de nourriture. Que si l’on ne regarde pas ces personnes marchant au pas de leur alcoolisation. Si l'on ne considère pas leurs chants comme criards et aussi bien rythmés que leurs dégaines. Les criminels adorent traîner par ici. C’est un signe que c’est un quartier … vivant.
Cette nuit là, cependant, j’eus ma dose de surprise. Celle qui te donne envie de changer. De tout changer. Je rentrais du travail. Nous étions à la fin de l’hiver. J’ai toujours tendance à détester cette période. Il fait froid. Il fait rapidement sombre. Le temps est morne. Nos humeurs aussi. Les gens sont aussi glacials que cette saison. Bref, un hiver comme un autre. J’empruntais ma ruelle pour rejoindre le pas de mon immeuble. Nonchalant. Il n’y a que les non-résidents qui bizarrement se précipitent ici. L’odeur doit les incommoder. Ou la peur du noir. C’est troublant les premiers jours, mais on s’y fait vite. Cependant, ce soir-là, quelque chose troublait ma quiétude habituelle. Un pressentiment.
Le temps de savoir ce qu’il se tramait, je m’arrêtai à quelques pas de mon immeuble. Où étaient mes soûlards favoris ? Où étaient le clan des deal-moi-ca ? Pas un chat, pas un chien. Jusque là, rien d’anormal. Mais, pas d’humain. Pas un seul. Pas âmes qui vivent. En vérifiant sur ma montre, c’était pourtant bien l’heure où la poudre blanche était monnaie courante. C’était aussi le moment où les bars avoisinants accueillaient leurs meilleurs clients. Une odeur forte, bien plus qu’à son habitude, planait dans l’air. Mon lampadaire avait rendu ses dernières heures de service. Heureusement pour moi, mon portable chargé à bloc pouvait m’éclairer un minimum. J’avais beau avoir forgé des yeux bien affûtés à force de vivre dans le noir, je ne voyais rien. Rien de rien. Mon téléphone n’était pas suffisant. Mais qu’est-ce que mes convives du quartier avaient bien pu manger la veille pour que je sente cet air pourri infâme ? De la viande ? Une espèce d’odeur de putréfaction, qui me donnait l’envie de vomir.
Pour découvrir ce qu’il en retournait, je devais me rapprocher. Pas d’autre moyen. Bien que la curiosité ne soit pas assez forte pour ça, je me remis tout de même en marche. Cette puanteur était dans la même direction que mon habitat. Mon petit chez moi, que j’avais hâte de retrouver. Lors d’un énième sursaut de vie de mon lampadaire, un flash me permit de voir une forme au loin. Assez grand pour penser à un humain, allonger sur le sol de tout sa masse. Encore un qui n’avait pas tenu au quinze grammes dans le sang du liquide de sa bouteille. Non, ce n’était pas ça. L’air ne sentait pas ce piqué éthéré qui rend ivre par le simple fait de l’inhaler. La poudre magique ? Celle qui aide à rejoindre les dieux en se sentant vivre parmi les anges ? Possible.
Mais plus je me rapprochais, et plus je sentais cette odeur de chair. De sang coagulé. De la viande en décomposition. Je connais très bien cette odeur. Mon frigo m’en a fait goûter l’expérience. C’est ça quand il décide de tomber en panne. Quoiqu’il en soit, je devais avancer. Cette forme, si je l’avais bien vu, était juste devant le hall de mon immeuble. S’il gênait le passage, j’avais déjà dans l’idée de le pousser d’un simple coup de pied, pour débarrasser l’entrée. Je pris tout mon courage, de ce qu’il en restait, et mon portable éclaira enfin cette chose qui traînait si bas.
Une couverture ? Rouge. Rien de bien méchant en somme. Au moment où mon pied voulait caresser violemment ce tas de tissu, je vis un liquide coulé. Rouge lui aussi. Du vin ? Un restant de bouteille probablement. J’eus soudain un sursaut. Un rat sorti brusquement. Il s’était planqué sous la couverture. Il se nettoya les babines, en me regardant. Genre, je le gênais. Il devait avoir fini de manger. Mais quoi ? En me concentrant sur ces pattes et son museau, ils étaient tachés eux aussi d’un rouge bien opaque. Le vin ne ferait pas ça. Il ne resterait pas de la sorte sur les poils. Les habitants du quartier n’étaient pas amateurs de jus de tomate. Alors, qu’est-ce que c’était ? J’eus à peine le temps à la réflexion, qu’un autre compagnon sortit. Le corps entièrement recouvert de ce liquide. On aurait pu croire qu’il avait fait une teinture, couleur bordeaux.
Un bruit sourd survint. Non pas que la peur me prenait, mais ce son ne me plaisait guère. Mon téléphone se mit à clignoter. Ce n’était pas le moment de recevoir des notifications de Discord. Quand mon regard se posa à nouveau à mes pieds, je ne vis plus rien d’autre que les rats, mes nouveaux amis. Les deux compères me scrutèrent, complice. Le temps que je me pose la question à savoir où avait disparu la couverture, je sentis quelque chose se poser sur mon épaule. Mon sang se glaça sans que je puisse comprendre pourquoi. Mes yeux se tournèrent lentement vers la droite et je les sentis s’écarquiller à mesure où je comprenais.
Une main. Crasseuse, hideuse, la chair entamée. De gros vers blancs la parcouraient. J’ai même cru à un moment qu’ils rentraient et ressortaient de son poignet. Ne cherchant pas mon reste, je cherchai à partir vers mon appartement. Ceci aurait été aisé si cette main ne m’avait pas agrippé fortement. J’entendis de nouveau ce bruit sourd et sombre, qui était comme un murmure à mes oreilles. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, mais dans un réflexe inconditionné je jetai mon portable sur cette forme qui se tenait derrière moi. Chance pour moi, ceci l'avait fait lâcher prise. Je pus enfin partir. Partir loin. Loin de ça. De tout ça.
Le lendemain, la raison me fit prendre un nouveau départ. Je pris la décision de changer de ville. De job. De voisin. De quartier malsain. Je n’ai jamais su ce qui s’était passé ce soir-là, mais je ne cherche pas à le savoir. Ma vie, ma nouvelle vie, compte plus que tout ça.