Pourquoi notre relation à la nourriture est-elle si compliquée ?
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Pourquoi notre relation à la nourriture est-elle si compliquée ?
Comme près de 7,8 milliards d'êtres humains sur notre planète, votre quotidien est rythmé par la nourriture que vous ingérez. Peu importe sa composition et les rituels qui entourent les moments du repas, chaque jour, nous devons tous répondre à l’appel du ventre.
Pourtant, derrière l'apparente simplicité de cet acte, nous semblons plus que jamais nous prendre la tête avec la nourriture. Entre la médiatisation des troubles de l’alimentation, les diktats esthétiques qui pèsent sur les corps, les scandales agro-alimentaires, les nouveaux régimes à la mode, l’avancée de la médecine et de la nutrition, manger n’a jamais paru aussi complexe.
Savoir (bien) manger est-il inné ?
Il n’a pas fallu attendre le XXIe siècle pour que nous nous intéressions à ce que nous mangeons et aux effets de la nourriture sur le corps et l’esprit. Les scientifiques et les médecins d’antan s’interrogèrent sur le régime alimentaire à adopter pour conserver la santé le plus longtemps possible. Parmi les plus célèbres, Galien ou Hippocrate à l’Antiquité, Avicenne au Moyen-âge, y ont consacré une partie de leurs traités : chacun y va de ses conseils. Les religions et les écoles philosophiques préconisent également certaines pratiques alimentaires comme le jeûne tant pour entretenir le corps qu’éveiller l’esprit, sans compter les règles alimentaires à respecter au quotidien. Pas de viande le vendredi. Interdiction de manger du porc, et tant d’autres que vous connaissez sûrement.
Les exemples sont multiples mais la question demeure : que doit-on idéalement manger ? Il n’y a pas de consensus.
Les savoirs nutritionnels élémentaires que nous avons appris dans l’enfance, ou nos habitudes familiales, sont sans cesse remis en question par de nouveaux régimes prônés par tel médecin, sportif ou naturopathe. Régime sans gluten, régime low carbs, régime Kousmine, régime Seignalet, Régime cétogène, régime hygiéniste. Les noms et les modes défilent. Nous adoptons nos propres règles, craquons parfois sur des aliments interdits, nous tenons bon puis, un jour, un article scientifique vante les mérites d’un régime diamétralement opposé venant d’un médecin qui paraît tout aussi crédible. Qui croire ? Nous finissons par hausser les épaules et demeurons sceptiques. Avec ça, nous ne savons toujours pas quoi manger...
Une addiction comme une autre
Nous avons désormais à portée de main pléthore de nourriture dont des aliments transformés contenant des quantités importantes de sucre, de gras et d'éléments de synthèse. Puisque ces aliments sont en outre peu onéreux (comparez le prix d'un paquet de gâteaux à celui d'une viande), il est facile de s'en procurer.
Lorsque nous mangeons un aliment gras ou sucré, notre cerveau sécrète une substance qui crée le plaisir, la dopamine. Le circuit de la récompense est activé. Le même mécanisme est à l'œuvre lorsque nous consommons de la drogue. Ainsi, comme l’alcool, les jeux d’argent ou la drogue, la nourriture peut devenir une véritable addiction.
Les régimes mettent davantage l’accent sur les aliments à exclure que ceux à privilégier. La frustration engendrée crée des pulsions qui peuvent tourner à l’obsession et se transformer en véritables problèmes alimentaires. Boulimie, anorexie, hyperphagie, orthorexie, autant de noms de troubles qui témoignent d’un rapport problématique avec la nourriture.
Savoir bien manger est difficile alors que mal manger est facile, et se paye parfois au prix fort. Malheureusement, contrairement à l’alcoolique qui stoppe sa consommation d’alcool et peut le tenir à l’écart de sa vie, on ne peut pas s’arrêter de manger.
L’impact de la culture gastronomique
L’aspect psychologique et émotionnel joue une composante essentielle dans notre relation à la nourriture. Il n’est pas uniquement question de se nourrir pour survivre ou de conserver la santé mais c’est également une question de plaisir et de culture.
En France peut-être plus qu'ailleurs, où nous avons fait de la fameuse baguette et du croissant du dimanche un symbole national au même titre que la Tour Eiffel, nous portons la gastronomie en fière estime. Les traditions culinaires font partie du patrimoine culturel du pays. Nous aimons ainsi mettre en avant les cépages et les recettes de nos régions qui attirent, chaque année, leur lot de touristes.
Manger comme nos parents, nos grands-parents ou nos voisins est un moyen comme un autre d’affirmer son appartenance à un groupe. Il n’est d’ailleurs pas rare, au sein des familles, de voir une variante ou une recette améliorée circuler comme héritage de l’aïeul aux petits-enfants.
Chacun d’entre nous a sa madeleine de Proust culinaire, son plat chargé de souvenirs et sentant bon la tradition et le temps passé. Moi, c’est le lapin à la sauce brune que cuisinait ma grand-mère après l’abattage d’un de leur lapin. Je n’ai plus jamais mangé un lapin de la sorte depuis. Il faut dire qu’il était né à la maison, avait gambadé et mangé du foin fauché par mon grand-père. Le tout servi avec des pommes de terre du potager. Maintenant, bien que végétarienne, je garde ces souvenirs en moi et continue de les chérir.
La nourriture est ainsi fondamentalement attachée à notre être. Ce n’est pas seulement un élément extérieur, factuel, mais un élément qui participe à notre construction identitaire.
Tu es ce que tu manges
L’adage « Tu es ce que tu manges » ne pourrait être plus vrai.
Notre système digestif joue le rôle d’interface entre l’extérieur et l’intérieur. Il est tapissé de bactéries qui nous aident à digérer et à assimiler ce que nous mangeons. Cet écosystème, unique pour chaque individu s’appelle le microbiote.
Le microbiote de notre mère colonise notre système digestif à la naissance. Puis, selon ce que nous mangeons, notre microbiote change, évolue. Un régime très carné favorisera la prolifération d’une flore de putréfaction tandis qu’un régime plus végétal, avec une haute teneur en glucides, favorisera la prolifération d’une flore de fermentation. Nous sommes ainsi habitués à notre régime alimentaire et chaque changement provoque un changement d’une partie essentielle de notre système digestif, à savoir les millions de petits êtres qui nous habitent. Si vous n’êtes pas habitués à manger des légumes secs, il y a fort à parier que vous finissiez ballonnés !
« Tu es ce que tu manges » ne prend pas uniquement un sens philosophique, mais possède également un sens concret, physiologique. Notre intestin, en plus d’assurer un rôle immunitaire, est également connecté à notre cerveau par le biais de neurones spécifiques. Notre alimentation influe sur notre corps et notre esprit via le microbiote : ce dernier sécrète des substances qui agissent sur notre cerveau, influencent notre état d’esprit et modifient notre métabolisme. D’après Giulia Enders, gastro-entérologue auteur du livre à succès Le Charme discret de l'intestin, notre microbiote serait à l’origine de pathologies comme la dépression. Un pan entier de la recherche s’attache désormais à identifier le rôle précis du microbiote et son rôle dans la santé.
Si ce sujet vous intéresse, je vous invite à voir cette petite vidéo instructive produite par Arte : Pourquoi le microbiote pourrait changer l'avenir de la médecine ?
Bibliographie
Le Charme discret de l’Intestin, trad. par Isabelle Liber, ill. de Giulia & Jill Enders, Arles, France, Actes Sud, coll. « Sciences humaines », 2015.
https://sos-addictions.org/les-addictions/les-addictions-theme-par-theme/les-addictions-alimentaires
https://rcf.fr/culture/nourriture-et-sacre
https://sos-addictions.org/les-addictions/les-addictions-theme-par-theme/les-addictions-alimentaires
https://hommes-et-faits.com/carnet/af_alimen.html
Crédits photo : © pexels