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-RE- La réponse
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-RE- La réponse
Une carte postale mérite une réponse
Suite de "l'exercice" précédent, le destinataire de la carte postale entreprend de répondre...
La consigne était de faire entre 500 et 1000 mots lors d'une séance d'écriture.
Je n'ai pas pu... emporté par la fougue, et surtout avec l'idée de compléter ce que j'avais initié dans le texte précédent, j'ai complètement dérapé... et écrit 2000 mots.
Alors non, ce n'est pas grave en soi. Mais voilà, vous êtes prévenus.
Au bord de la Renarde
Gojira Tannhäuser essuyait une table avec application lorsque Zipper enfonça littéralement la porte battante de la taverne de La Tour d’Airain. Le bois claqua tellement fort que son père sursauta.
— Doucement les alcoo… Zipper ? Qu’est-ce qui te prend ?
— Rien. Trop d’élan.
Si elle évoquait le nom de Théras, son père allait encore tenir deux heures à insulter sa famille ou à casser des assiettes. Elle s’approcha de son père et lui posa la main sur l’épaule en guise d’affection avant de soupirer. Celui-ci lui répondit d’une bousculade et d’un sourire.
— Tu t’es trompée. Aujourd’hui c’est ton frère qui doit me relever pendant que je fais les comptes. Toi, tu as quartier libre.
— Je sais. Je suis venue étudier dans ma chambre.
— Hmm… siffla son père en tortillant sa barbichette tressée. Tant que tu n’as pas quitté la ville pour un mari, ou des études, ta chambre est à l’étage… à la maison. Cette remise que tu occupes, c’est pas une chambre, c’est une cabane. Tu n’y as tout de même pas installé un lit ?
— C’est juste une remise. Et toi, tu vas t’en remettre. J’ai des manuscrits à lire, et à la maison on me dérange tout le temps.
— Et dans une taverne on est au calme. Première nouvelle, ricana Gojira de sa voix gutturale.
Zipper désigna la pièce principale de la taverne du plat de la main.
— À cette heure, oui. Tu ne comptes pas t’installer dans la cabane pour faire tes comptes à l’abri des regards, j’imagine ?
— Non. Je fais les comptes ici. Les habitués ne me dérangent pas.
— Au calme donc. Je monte. À tout à l’heure.
Zipper lui posa à nouveau la main sur l’épaule, et Gojira lui effleura les doigts.
— Travaille bien, mais ne t’enferme pas dans ton œuf.
La jeune fille gravit lentement l’escalier qui menait à la terrasse extérieure surplombant Grand’Passage. La terrasse était vide. Elle couvrait presque toute la surface du bâtiment et servait à l’occasion pour des banquets ou des réceptions plus prestigieuses que les beuveries du rez-de-chaussée. De là, Zipper avait une vue imprenable sur la ville dont les seuls bâtiments plus hauts étaient le temple Drahkkhen et la cité administrative du bourgmestre. À l’angle Sud-Ouest se tenait la fameuse remise. Gojira y stockait les tables et chaises de la terrasse entre chaque banquet. Le dernier avait eu lieu il y plus d’un an.
À l’intérieur, le mobilier était savamment entassé pour permettre de circuler autour des piles de chaises sans les faire tomber. Au bout de la cabane construite tout en long, une petite fenêtre surplombait une table et une chaise plus fatiguées que les autres. C’était le bureau que s’était installée Zipper depuis plusieurs mois. Le secret du calme de l’endroit ne résidait pas que dans l’absence de dérangement familial. Il aidait Zipper à se concentrer, car de la fenêtre, elle voyait la Renarde, la rivière où elle posait des nasses étant enfant. Elle avait beau habiter près de l’Ourse, l’autre fleuve de la ville, elle avait toujours préféré la première.
Zipper sortit la carte postale de sa besace. Elle s’était convaincue de répondre à cet abruti de Théras, mais impossible de laisser la carte dans sa chambre, au risque que sa fratrie ne tombe dessus et ne fasse un esclandre. Le pli méritait une réponse, possiblement salée, mais qui n’enflamme pas la colère jamais tarie de leurs familles. Bien décidée, elle fouilla un vestige d’étagère à la recherche d’une griffe ou d’une plume. Le meuble tanguait si bien qu’elle l’avait adossé au bureau pour atténuer sa gigue. Elle dénicha une griffe de dragon montée sur une fausse patte en résine à réservoir et un carré de papier sec.
Cher abruti…
Elle s’arrêta net, sentant que l’entrée en matière était un peu abrupte. Elle ratura sans réfléchir puis soupira. Elle se prit la tête à deux mains et poussa un râle de colère avant de regarder le lointain par la fenêtre.
— Ah ! Je vais pas raturer encore et gaspiller deux carrés pour toi… Pourquoi j’ai écrit ça, moi ? Bien sûr que t’es un abruti, avorton.
Cher asticot,
Je t’ai croisé sur Grand’Passage ce matin. J’étais tout près de toi, et même à cette distance tu avais l’air petit. Comme quoi, tu as traversé les années tout en restant court sur pattes. Un exploit quand je pense…
— Quand je pense que t’as des jambes et qu’on dirait que tu sais pas t’en servir… Allez, viens. Quel traine-pattes !
— J’ai des petites jambes et j’ai pas envie de courir. Si je tombe et que j’abime ma tunique, je vais me faire arracher les écailles. En plus c’est plein d’épines ton chemin.
— Les écailles ! Oh le raseur à sa môman… Allez, bouge !
Zipper et Théras s’extirpèrent d’un bosquet aux racines épineuses le long des berges de la Renarde.
— C’est pas ta piaule là-bas ?
— Si, mais c’est assez loin pour qu’on nous voie pas. La preuve, je t’ai jamais vue poser tes masses.
— Mes nasses… souffla Zipper avant de s’arrêter net. Attends... Tu m’espionnes quand je suis là ?
— Mais non… Je… Pour quoi faire d’abord. M’en fiche de tes poissons.
Ils s’approchèrent du fleuve. En contrebas de la demeure de Théras, le cours d’eau était calme, l’eau claire. On pouvait, à condition d’être attentif, voir passer les poissons sous l’onde.
— Là ! s’écria Théras.
Mais Zipper avait jeté son sac dans l’herbe et retirait ses chaussures. Elle s’avança plus près.
— Attend ? Mais qu’est-ce que tu fais ?
— Avoue que t’as rien compris. Les nasses, c’est des pièges. Les poissons ils sont dans de petites cages sous l’eau. C’est ça qu’on ramasse.
Théras soupira alors que Zipper entrait dans le fleuve. Derrière lui un glapissement résonna dans le bois.
— C’est pas parce que je sais nager que je viendrai te chercher si tu tombes.
— Je vais pas tomber.
Zipper semblait marcher sur l’eau. Théras regarda de plus près, et aperçut sous les reflets de grosses pierres grises bien alignées. Zipper, en bonne habituée des lieux, s’était construit un pont sous-marin. L’eau lui arrivait à la cheville et elle avançait gaiement, s’éloignant de la rive. Lorsqu’elle s’arrêta, elle retroussa son pantalon de tablier et plongea le bras sous l’eau. Elle en extirpa une cage en bois grosse comme une citrouille dans laquelle se débattait un poisson. Elle en récupéra une seconde sur le retour avant de rejoindre Théras.
— Y’en a encore deux. Tu viens ?
Théras ne bougea pas. Zipper lui attrapa le bras et vint coller son pied contre sa jambe. Le jeune garçon hurla.
— Mais t’as les pieds froids !
Zipper éclata de rire. Théras l’imita rapidement et la jeune fille lui donna un coup de coude amical dans les côtes. En réponse, le garçon lui attrapa le poignet et la fit chuter dans l’herbe fraiche. Elle riait à gorge déployée, cherchant le faire tomber lui aussi, mais il recula et son visage se referma. il scrutait le bois qu’ils avaient traversé quelques minutes plus tôt.
Devant son air grave, Zipper se retourna à quatre pattes dans l’herbe. Devant eux se tenaient trois adolescents. Au centre, Altas Hacride, le dernier né des propriétaires du plus gros commerçant de la ville. Chaque bourgade de la région possédait une enseigne à son nom. Et sur son épaule, un dragon de poing montrant les crocs.
Zipper se releva vite et Théras la tira par le bras.
— Altas, déclama le garçon, un air de défi dans la voix.
— Silmarils, Tannhäuser. Ils seraient bien aises vos parents de savoir que vous fricotez dans les prés en plein après-midi.
— On t’a pas tiré la sonnette, serpent ! lâcha Théras dans un souffle.
— Ok. On va se passer des politesses. Videz vos poches. Et ton sac.
Théras ne flancha pas. il se tenait tellement droit que Zipper, pieds nus et collée contre lui, eut l’impression qu’il était plus grand qu’elle, pour une fois.
— Fais demi-tour. Va dévaliser l’étal d’un magasin de ton voleur de père. C’est de famille apparemment.
— Je vais te faire mal, toi.
Le dragon feula et le transperça de son regard jaune et hargneux. Altas avança d’un pas et tendit le bras tandis que son dragon glissait de son épaule jusqu’à son poignet.
— Tu feras rien. À part demi-tour. Si tu pars pas, je te promets des problèmes.
— Théras, trembla Zipper, attention, il a un dragon !
— Un dragon ? C’est pas un dragon, ça.
Théras porta ses doigts à ses lèvres et siffla trois notes aigües. Derrière Altas, le bois trembla et une masse immense s’en extirpa en volant.
— Ça, c’est un dragon, annonça fièrement Théras alors qu’un saurien de deux mètres se posait avec fracas entre lui et le trio de vauriens.
— Dildundee… lâcha Zipper, choquée.
Le dragon poussa un glapissement en direction de son maître et un rugissement face au dragon de poing qui détala comme un rat, lacérant le bras d’Altas au passage. En hurlant, le jeune homme l’empoigna violemment pour le jeter sur Théras, mais la pauvre bête se libéra de son étreinte et lui mordit la joue. Altas tomba en arrière alors que son arme s’était retournée contre lui et lui lacérait le visage. Ses deux comparses s’enfuirent aussitôt, abandonnant leur chef sans se retourner.
Zipper pleurait, morte de peur. Théras n’en menait pas plus large. Il jeta un œil dans son dos. Le manoir familial était tout près. Il empoigna Zipper et grimpa sur le dos de son dragon. Il ne l’avait jamais chevauché en plein vol, encore moins à deux passagers. Mais il ne pouvait plus jouer les fiers.
Dildundee s’élança sans sourciller vers la maison. Mal équilibré, il s’abîma dans la cour intérieure, écrasant les deux enfants de tout son poids.
Théras appela à l’aide.
Zipper perdit connaissance.
À son réveil, Zipper reconnut son père et se jeta dans ses bras malgré la douleur qui la lançait jusqu’au poignet et à la tête. Elle était allongée sur le canapé du grand salon des SIlmarils. Théras reposait en chien de fusil à même le plancher, en larmes, se tenant la jambe. Zipper apprendrait plus tard qu’il s’était cassé le fémur. Les Silmarils et les Tannhäuser ne s’adressèrent plus jamais la parole et on empêcha les enfants de se fréquenter.
…tes fréquentations ne regardent que toi. Pars donc te marier sous la lave si ça te chante.
Zipper lâcha la griffe, prise d’une vive douleur au poignet. Cela lui arrivait encore depuis l’accident lorsqu’elle forçait trop. L’encre goutta sur le papier, laissant quatre petites traces semblables à une patte de lézard.
Elle regarda sa main, comme si au travers elle pouvait lire le passé, puis se massa le poignet.
La lettre n’était pas finie, elle avait écrit vite. C’était impulsif et décousu. Au fil des mots, le ton devenait hargneux. En la relisant elle constata que certains passages lui avaient complètement échappé. C’était donc ça l’écriture automatique ? Elle se mordit la lèvre d’avoir écrit pareille ânerie, chiffonna le carré de papier et l’écrasa sur le bureau.
Pleinement consciente, cette fois, de s’être remémoré la fin de leur amitié, Zipper se souvint qu’elle ne revit jamais Altas en public. Sa famille avait accusé les deux enfants d’avoir attaqué et défiguré leur fils. Ses importantes blessures au visage désignaient Dildundee comme l’arme du crime. Personne n’écouta Zipper ni Théras lorsqu’il défendirent le dragon qui leur avait chacun cassé un membre. L’animal, tout sacré qu’il soit, fut condamné et mené au temple pour y être exécuté. Seuls les Drahkkhens pouvaient éclore les dragons ; eux seuls pouvaient les tuer sans risquer le courroux du Dieu-Continent.
Théras passa plusieurs mois en convalescence avant de pouvoir marcher à nouveau. Elle-même dût rester à la maison quelques temps, incapable qu’elle était de se servir de son bras ni de son poignet. Elle abandonna le luth et son rêve de rejoindre un orchestre pour dragons.
Les relations déjà tendues entre leurs deux familles s’envenimèrent sérieusement. Dix ans plus tard, leurs parents s’accusaient toujours mutuellement des conséquences de cette partie de pêche.
Zipper chercha la Renarde par la fenêtre, se laissa vagabonder dans son sillon. Le long du cours d’eau, elle oubliait sa peine.
Au rez-de-chaussée, on jouait de la musique. Elle décida de rejoindre son père et son frère et referma soigneusement la porte de sa cabane.
Crédits photo
Photo de Titre: Pixabay
Photo dans le texte: Pixabay
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