Le souvenir d'une maman
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Le souvenir d'une maman
La ville dormait. Le calme régnait et seule la lumière de ma chambre demeurait allumée. Je tentais de trouver le sommeil à la veille de cette journée sombre qui m’attendait. Je m’étais préparée. Je décidai de me relaxer en écoutant des chants marins qui me rappelèrent cette journée de Novembre 1988. Les larmes me vinrent.
Nous étions parties, Lucie, toi et moi. Pauvre petit papa, sa demande de congé avait été refusée… Allons, inutile d’être médisante, cette journée fut tout de même inoubliable. Tu avais voulu nous faire découvrir la plage de Berck mais ne t’étais pas doutée que les chiens ne seraient pas admis. Tu avais donc décidé d’attendre sur un banc pour que tes deux filles puissent jouer dans le sable. Enfin…surtout Lucie, car j’avais estimé qu’il faisait trop froid pour construire un château. Toutefois, l’appel de la Manche couplé à la douce bise qui caressait mon visage m’avait ôté toute réticence et je fus transportée de joie en entrant dans l’eau fraîchement salée.
Cinq minutes suffirent pour clore ce moment. La douce voix de ma sœur extasiée par la beauté de son chef d’œuvre sablé me ramena à la réalité. Dans un élan spontané de bienveillance je me dirigeai vers son art pour le contempler, lorsqu’une substance visqueuse se fit sentir sur ma belle écharpe tricotée par mémé Yvonne. Mon cadeau de communion que j’avais tant de fois refusé de porter… Souillé. Estomaquée, j’enlevai ce que je portais autour du cou puis le lançai devant moi. Ah… Combien de fois ai-je pu m’en rappeler de cette anecdote ? Même si ce souvenir est loin d’être le meilleur pour moi, il me rappelle le plus important.
Nous avions donc décidé de quitter la plage après seulement une quinzaine de minutes. Le rire de ma tendre sœur se fit entendre à des kilomètres à la ronde, tandis que j’essayai tant bien que mal de retrouver le peu de dignité qu’il me restait suite à ce fâcheux incident. Je laissai Lucie se décrasser et me dirigeai vers le banc, sur lequel tu n’étais plus. Mon sang ne fit qu’un tour, je me retournai pour l’avertir…mais elle avait également disparu.
J’étais désormais seule, inondée d’odeur saline et désemparée, lorsqu’un charmant jeune homme fit irruption afin de me rassurer. Ses paroles, aussi belles qu’elles furent, ne suffirent cependant pas à me consoler. Conscient de l’importance de la situation, il prit les devants et décida d’arrêter chaque passant afin de les interroger. Ce que je fis également, malgré les difficultés rencontrées à ce moment-là pour correctement former mes phrases. Je ne saurais te dire combien de personnes nous avons vu… Je m’étonnai d’ailleurs d’en voir autant, étant donné le temps qu’il faisait.
Á mesure que nous poursuivions nos recherches j’observai, inquiète, l’éloignement de l’astre solaire et regrettai amèrement l’absence de mon père, jusqu’à ce qu’une lueur d’espoir éclaira mon visage submergé par les larmes. Un homme d’une trentaine d’années, vêtu intégralement de noir au regard menaçant, apparut devant moi. Il tenait dans ses bras notre petit toutou, comme si ce dernier lui avait toujours appartenu. Bien que perplexe sur l’identité de cet inconnu et sur son heureuse intuition de me rapporter l’animal, je ne pus contenir ma joie.
Celle-ci fut bien entendu de courte durée puisque l’individu, que nous appellerons Monsieur Jack, m’expliqua rapidement sa rencontre avec Rubis : alors qu’il entamait sa promenade journalière qui le menait le plus souvent au restaurant « A Table » qu’il appréciait tant, il remarqua au bout de la Rue Carnot une Chevrolet Corvette noire, dont il eut juste le temps d’identifier les deux premiers chiffres « 61 » de la plaque d’immatriculation. Si ce véhicule le marqua sur le coup, c’est à cause de l’atroce bruit qu’il fit lors d’un démarrage un peu trop ambitieux. Celui-ci monta sur le trottoir, manquant de renverser une dame en fauteuil roulant, puis fit demi-tour en dérapant violemment, laissant ainsi une trace de pneu indélébile sur la voie publique.
Surpris d’assister à un tel spectacle, Jack se rendit sur les lieux afin de s’assurer qu’il n’y avait pas de victime. C’est à l’emplacement précis du marquage noir qu’il trouva l’animal, visiblement secoué par la scène à laquelle il venait d’assister. Il remarqua vite que personne ne semblait s’occuper de lui et prit par conséquent la décision de le prendre avec lui. C’en suivit alors une recherche intensive du propriétaire, ce qui lui permit d’ailleurs de dépasser très largement l’objectif de pas qu’il s’était mis en tête d’atteindre avant la fin d’année.
Alors qu’il arpentait chaque recoin de la ville en espérant pouvoir rapidement se séparer de l’animal, qui venait d’uriner sur lui pour la troisième fois consécutive, il croisa le chemin d’un jeune homme qui criait à la suite et sans interruption plusieurs prénoms, dont un qui retint immédiatement l’attention de la petite boule de poil. Ni une ni deux, il se retourna, vint à sa rencontre et lui demanda de répéter le prénom qui avait tant excité le bichon frisé. Le garçon le prononça et lui expliqua les faits.
Je compris alors comment m’avait été restitué Rubis. Bien que fort reconnaissante pour cette action, la méfiance perdura. Il faut dire que tu me disais toujours de me méfier des inconnus et que, même si mon corps durant cette période m’initiait à la vie d’adulte qui m’attendait, j’avais à peine l’âge pour intégrer le lycée. Ce fut donc par un simple remerciement que je coupai court à cette rencontre, rendant ainsi sa liberté à ce courageux salvateur canin.
Pendant que je cherchais, les bras chargés, le bienfaiteur qui m’épaulait depuis plus d’une heure, je fus soudainement préoccupée par une interrogation : qui était au volant de cette voiture ? Je ne pouvais m’empêcher de faire le lien avec mon chien car cela ne pouvait de toute évidence pas être qu’une simple coïncidence. Je finis par retrouver Jean-Charles, qui s’était finalement présenté, et nous reprîmes nos recherches. Finalement, sous les coups de vingt heures, alors que nous étions épuisés et sans réponse, il me proposa de l’accompagner chez lui, ce que j’accepta volontiers car Rubis tombait lui aussi de fatigue.
Lorsque je pénétrai cette maison, située Rue de Lhomel, je fis la connaissance de Solange et eut la surprise de revoir Jack, qui se révéla être le père de Jean-Charles, ce dernier s’étant bien caché de me le dire. Mais ce qui me surprit le plus, c’est la marque de tendresse dont fit preuve la mère, qui me prit dans ses bras en pleurant. Cette étreinte chaleureuse me rappela celle que tu m’avais faite juste avant de partir au matin. Jack nous installa au salon et Jean-Charles me ramena un petit carnet intitulé « Sarah ». C’est alors que je découvris une photo…de moi. J’exigeai des explications, qui durèrent des heures. Je compris tout : les disparitions, la voiture noire… Tout était lié. Oncle Georges était venu vous chercher. Cette journée était préméditée.
Je sais que vous ne m’avez pas abandonnée, que c’était votre seul moyen de me dire la vérité et sache qu’aujourd’hui encore, je reste inconsolable mais vous ai pardonné. Ce fameux lendemain où je t’ai enfin retrouvée…pour te dire au revoir, restera gravé dans ma mémoire pour l’éternité. Tu m’as aimée malgré mon histoire, je t’aime en retour malgré tes déboires.
Prince Of Panodyssey Alias Alexandre Leforestier 2 years ago
Votre texte est sublime. Très émouvant.
Bulbicka 2 years ago
Je vous remercie sincèrement pour ce joli commentaire. Il s'agit là de ma toute première histoire terminée, alors votre avis me va droit au coeur. Excellente soirée à vous.