Holoruine ou holothurie, selon l’angle du désir
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Holoruine ou holothurie, selon l’angle du désir
La chaise tombe, le nœud se serre, mon cœur s’éteint… Plus de sang, plus de sens, un départ vers le lointain, sans vraiment savoir où allais-je me poser, tant je portais en mon seing l’intime conviction, celle des jurés, d’être : un raté ! « Tu es mauvais dans un bon film. Une erreur de casting ! » une phrase entendue dès mon plus jeune âge, ma mère me la répétait souvent.
La mort, bien sûr que j’en ai eu peur. Au quotidien, je me rassurais sur le fait qu’elle est inscrite dans l’armoire de nos gênes, qu’elle arrive toujours, aboutissement inéluctable, parfois naturelle, souvent accidentelle, rarement provoquée, tel un désir ou un souhait… Le trépas est la fin d’un programme et le début d’une nouvelle aventure. Terminer, Black-out, trou noir, inutile de dire que le couloir de lumière n’existe pas. Une fausse idée provenant de l’eau de là, et qui se répand partout, telle une nappe de pétrole à la dérive flirtant à la surface de l’océan. Ce couloir, il trône dans le nerf collectif : l’inconscient. Seulement il ne s’agit que d’affabulations, dans le réel, ce serait plutôt cela – un pont dans l’éther, une œuvre presqu’ éternelle, un arc-en-ciel peint par Jackson Pollock. Quelques heures avant cette scène macabre, celle de me passer la corde au cou, je promenais mon amertume dans un parc. Des oiseaux volages rivalisaient d’audaces, et de coups de sifflets pour épater leurs belles, les élues du cortex. Le printemps arrivait à l’abordage, la goutte d’eau pour le naufrage. Les jupes courtes, les idées plates, les sourires de circonstances s’affichaient sur les faces, gaies béates, des personnes que je croisais. Un parfum d’insouciance se respirait dans cette nature totalement artificielle. Des rires, du jeu, et un vendredi en claire-obscure pour mon ego. L’aube avait levé son voile, les couleurs de ce soleil naissant aurait donné de la force, du courage d’avancer à n’importe qui. Pas à moi ! Mon esprit était parti en escapade sur mon côté sombre. Je luttais. Je cherchais une solution rationnelle à cette volonté d’arrêter de souffrir. J’envisageais le futur, et me noyais dans les contours de son visage. Elle mon obsession, de quoi devenir con pour un long moment, et d’aller faire un tour au bois de Vincennes. Quelques pas, presqu’un long voyage pour se poser sur un banc, et admirer les enfants… Ceux imaginaires, ceux qu’elle ne portera pas, enfin, pas ceux issus de ma semence étant, en l’occurrence, piètre jardinier. Dommage, je leur aurais bien lu candide, joué au chat et à la souris, apprivoisé un panda et deux trois dauphins nains, pour me donner de l’importance. Je m’égard, mais je conserve en l’esprit ce vague à l’âme, cette lame qui perce, ce bleu orage, cette chanson qui s’invite dans mes nuits. L’affreux cauchemar, la résurrection de l’appel, sa voix au téléphone. Insupportable ! Ma fée me quitte pourquoi ? Pour qui ? Jamais je n’arriverais à poser des mots sur la naissance de mes maux, et justement je les perds. Je me tais, encaisse, la laisse sans chaîne aller vers son choix. Cette femme ne m’appartient pas, pas plus que sa jeunesse, sa fantaisie, je n’ai pas su me battre, capturer sa libido, je n’avais pas de lasso, juste un avis « perso » n’ayant plus quiconque pour disserter sur le sujet. Il faut croire qu’être à la dérive n’attire pas les foules, ni l’écoute, ni la compassion. Seulement voilà, quand la passion s’en va, réflexe infidèle, elle met les voiles de son navire, ses rêves s’inscrivent dans le monde réel, alors vous, vous plongez dans la solitude, ascète, sept jour sur sept, de la seconde du levé jusqu’à l’heure du sommeil… Les murmures de la folie ne sont plus très loin. Sournoise, elle vous guette. Une perte de repère, comme j’ai perdu mon père (trop tôt ! ) pas connu mes grand-pères, oublié le goût des confitures à la vanille, rhubarbe, pistache, de mes deux mamies, le fil de mon destin s’est brisé. Je vois un nœud de vipères, des lianes, du vert, et des déchets, des ordures sur le sentier qui se crée devant mes yeux torves, à l’orbite révulsée. Mon corps devient céleste, il s’évade, un état translucide, et je reste avide, peu placide, de connaître la suite de l’histoire. Un ectoplasme trublions vient de naître. La glace du salon, ce miroir reste vide, plus de trace de ma personne, sauf ma chaire sur le plancher, je ne respire plus, or pourtant je pense, enfin je crois penser. Recevoir des informations, posséder encore une perception du monde, des choses, des idées abstraites, ou folles dans tous ses sens, celle commune ou l’autre synonyme de ces filets, servant à attraper du gros poisson, où je suis pris, coincé, paumé, dans ses mailles larges. Soudain devenu, ce gros gibier gris possédé par le démon de ce désir de revenir vous parler de l’après vie. Celle qui vous laisse encore une fois sans voix, les bras en croix, la bave affreuse, coulant à la commissure de mes lèvres, tel l’assurance d’une vie organique passée, ou trépassée. Mon cœur ne bât plus, mais en mon âme, je conserve l’espoir d’enfin comprendre, de mettre un nom, une raison, sur ce que je vois, pour ne pas dire ce que je vis. Où trouver des mots pour peindre les nuances, ordonner le ton des couleurs ? La palette de mes douleurs est mince, difficile à évoquer. Elle est la seule chose qui m’appartienne. Comment la partager, vous expliquer ?
Petite pierre qui roule sa bosse, mon premier bagage je l’ai posé sur Terre, à Brest, ville grise et pleine de charme pour ceux qui aiment le ciel qui s’anime. Dans son cœur, j’ai vu sa vie, ses possibles, la possibilité d’ouvrir son esprit quand le vent vole dans ses voiles, vous prenez le large, un exil vers le point inconnu, l’horizon, et vous trouvez une raison de poser votre nom, votre héritage, le labeur des ancêtres sur ce vaisseau admirable, Ouessant. Une quête d’identité marquée au fer blanc, des orages qui brisent le silence, et puis cerise sur le navire l’eau de la haut qui caresse vos têtes, creuse ou pleine de vide. Parfois le soleil éclaire la mer, ses poissons sortent du fond de l’abysse, un rêve. Brest, vous livre sa peine, sa blessure, sa fissure, sans pudeur elle ouvre ses veines, le ciel cri, aigris, noir de bleu. Alors s’installe le désir d’aller de Siam à St Martin se laissant observé sur le chemin par les volatiles d’argile, au pied marin, les goélands et consorts.
Le soleil m’a dit quand j’allai vers mon chemin :
― Que veux-tu mon enfant ?
Ẻtang d’humeur vague, je ne voyais pas ma chance, regardant mes pieds, ma masse posé sur la balance. Je cherchai quoi, je savais qui et conservai l’envie de converser avec l’oiseau de nuit, la reine de mes silences…
Une pâquerette, nu moineau, en miroir super chouette, j’aurai aimé parfois ne pas être bête. Je vole, plane, me télé-porte vers nulle part ailleurs qu’ici sur Terre, la planète aux fruits de la passion, avec ou sans lunette, je tire la châsse et me soulage de mes jours blancs, la mascarade du camarade, de la frappe sur l’épaule, le filet mignon, et de celui qui rigole du kamasutra dans votre piolet, il ne connaît pas la force Douze du vent, l’apôtre du cyclone, le clown de l’aquarium...
— Vous voulez quoi ?
Petit moment de solitude, il ne faut pas faire d’erreur dans l’exhaussement d’un vœux de cette importance.
— Votre place !
l’entité change de couleur virant du bleu au vert, avant qu’il ne se fâche, je le rassure.
— Noon, je rigole !
— Ne perdons plus de temps, avant que je change d’avis et vous réoriente vers des lieux plus sordide.
Un peu gêné par le manque d’humeur et de patience de mon interlocuteur, je me lance, tant pis, je verrais bien, soyons fou.
— Je voudrais être un imbécile.
— Vraiment, vous m’étonnez, vous voulez reprendre le cours de votre vie ?
— Un peu, en mieux, je voudrais être un imbécile « heureux » !
— C’est votre dernier mot ?
Que répondre ? Oui ! Non ! Joker !
— Pouvez-vous expliquer ce choix ?
Pour la première fois, je sourie et me sentie prêt à décoller vers ma nouvelle vie.
— Sur Terre, nous avons une expression : « bien heureux les simples d’esprit » et comme il n’y a pas de fumée sans feu, je voudrais approfondir cet maxime. Qui sui-je se dit la première essence avant la naissance de la flamme ?
Le vide n’avait pas de réponse, une taupe ou un mulet, elle se sentait muette, absorbé par le temps mutin, et plein de murmure, ce chagrin, de la pluie qui nourrit l’herbe, les fleurs, rose bonbon ou cornichons, et l’Hêtre, le pin, et les conifères… Puis le puits, la tête prise dans l’étau, l’établit de la dernière chance, le gland du jeu du hasard, celle que la patrie punie, la différence né par essence, timide au point zéro, héros solitaire, du jeu où l’on déplace les pions, à la recherche du temps, passé, présent et imparfait, jamais d’impératif pour rejoindre la carte majeure, l’impératrice de cœur. De corps, celle qui d’un regard doux se pose et recompose la ballade, tel une abeille sur le pôle haine, le pôle Nord, le poêle Sud, l’aimant sachant aimer le sachet de thé, la délivrance de l’estomac. Le canal plus en clair, et l'art de la riposte en vers et contre tout, le Slam de la larme, pour le charme d’une belle dame, la nage dans l’éther pour une ribambelle de questions avenir ; le cloché délice, les racines de la raison. Ma maison de granit, mon tonnerre de Brest, mes nerfs en compote de pomme, de gariguette et de moquette, oui je fume des alouettes, et des rorquals me guettent, ses gros monstres requin veulent absorber ma silhouette, et l’encre de chine qui coulera à coup sûr, de mes yeux bleu, vert, gris, au lyserai de jaune glissera à jamais sur la dérive des flots, de florence à Venise, seule Charlotte est ma devise, elle est mon ancre, la lame sœur… Mon tsunami… Nouveau départ… Chuuuut…
Je suis né à Balanec, petit coin de paradis non loin des côtes bretonnes. Et c'est sur ce rocher que l'idée de voyager prit corps au fond de mes sens. L'hiver, le vent froid violait notre île, elle était si petite que nous éprouvions tous des difficultés à trouver un refuge, un abri. Le poisson ne manquait pas, douce chair. Balanec est vraiment un petit îlot : une maison, un lac, et des lapins qui courent et copulent sans vergogne dans les prairies. Prairies, oui, ou plutôt de petits espaces verts où de l'herbe, plus teigneuse qu'un pou, arrive à résister au vertige des vents. Parfois, des phoques lourds, aux idées plates, viennent se prélasser sur la côte nord, profitant ainsi des dernières lueurs d'un soleil qui, ici, se cache souvent derrière le gris plafond des nuages. Sur ce petit bout de terre, le refrain de la mer est notre seule musique, douce, belle, quand elle brise sa course sur notre flanc. Je grandissais lentement dans ce vaste espace de nature, sans bien comprendre la chance unique de séjourner dans ce coin sauvage, hostile et protégé par les hommes. Si Dieu et le jardin d'Eden existent, Balanec doit être une des côtes du divin, tant sa beauté flatte notre regard. J'aimais croiser le sillage des bateaux, leur route les menait vers Molène, Ouessant ou Béniguet, les drisses claquaient, les voiles chantaient, et les marins semblaient heureux, secoués par les flots. Arrivait le printemps, les couleurs changeaient, des fleurs poussaient, donnant leurs cœurs aux champs, du jaune, du mauve, du violet et des pétales blancs. Des lapins couraient sur ce tapis épais, gais, jeunes et fauves ; leurs courses signaient la frénésie du bonheur, la joie simple de vivre de l'air vif du grand large. J'adorais cette vie sans d'autres contraintes que celles du temps et des intempéries ; or, tout au fond de moi, sommeillait cette envie de voir le monde. Le saisir, le sentir, sortir de ma tribu et rejoindre la civilisation, là où le cri des camions sauvages est roi ! Je m'envolai un lundi, le sourire triste. Mes ailes battaient, mon corps planait : je profitais des courants ascensionnels pour m'élever au-dessus des nuages, les vents puissants économisaient mes forces. Si haut, mon point de vue devenait unique. Ivre de vitesse, je volais vers la ville, bout de terre conquis par l'homme. Mon ignorance décuplait mon envie de découvrir ce monde. Un monde porté par les anciens, ceux qui avaient traversé, puis étaient revenus conter, apporter parole et savoir, puis mourir d'un dernier mot. L'innocence, l'inconscience, l'ignorance constituaient mon état d'esprit. Aussi, après quelques milles à bout d'aile, très loin d'être las de fatigue, une étrange odeur me poussa à arrêter mon vol. Derrière moi mon passé n'était plus qu'une vague de souvenir, et devant moi, je n'apercevais rien, ne voyais rien, tout était gris, puisque la toile de la malchance avait dessiné son filet. Je m'enfonçais dans la nuit, au-dessus du continent, aveuglé par les lumières, la pluie et un épais brouillard. Des feux avançaient, roulaient, la pluie était effacée par le bruit des moteurs, la ville se réveillait et l'aube me montrait la face cachée de l'humanité. Jamais je n'aurais pu imaginer ce monde, ses sons, tant d'hommes. Je venais d'arriver sur le port, attiré par le cri de congénères. Une meute de goélands vivait sur ce sol, se battant pour une poubelle vide et quelques débris d'un repas arrosé. Leur accent était différent, ma timidité et leur mode de vie firent le reste. Je décidai, dans un premier temps, de rester à l'écart, immobile, indifférent à la haine visuelle, évitant les coups de klaxons, fier d'être voyageur. Mais la peur me serrait le ventre. Ma vie ne tenait qu'à une patte, des ailes. La bruine avait remplacé la pluie. La rosée avait levé l'épaisse brume. L'odeur des gaz, des usines, me donnait la nausée. Comment pouvait-on si facilement transformer la terre ? Les rochers étaient des immeubles. Les plaines, des parcs. Les lacs, des piscines. Pas un seul lapin n'exprimait sa joie dans la cour. Au contraire, des chiens aux abois traînaient leur misère dans la rue. Cet espace supplantait les contes. L'imagination et les récits des oiseaux pèlerins ne pouvaient rejoindre le réel. Je sentais que la mort n'était pas loin si je restais dans cette rue, une roue mettrait un terme à mon aventure. Alors, penaud, je m'élevai, allant droit au ciel me battre contre les courants d'air. La cité s'étalait à perte de vue, des fumées sortaient de lourdes cheminées, des grues bleues dominaient le port, et le bruit si présent. L'absence de silence me troublait. Balanec mon berceau, si paisible dans ta campagne vide, aide-moi ! Les Goélands des villes se baladaient sur de nombreux toits, hurlant aux vents leur requête d'amour, de pain et de vin. J'évitais soigneusement de me poser près d'eux, de guerre lasse, les sentant hostiles, à mon accent, ma grâce, mes heures de vol. Tout en moi semblait les heurter. Aussi, le soir venant, je fus heureux de trouver la lumière d'un lampadaire. Une belle rencontre. Perché sur cet objet, un endroit où je devenais sentinelle, et je pouvais observer le temps, les gens, sans risquer d'être surpris, mis à terre. Posé sur mon piédestal, je me sentais fort, l'air caressait mes plumes, mon regard descendait au sol, sur les passants, leurs attitudes. De là-haut, l'horizon n'avait plus de limites. Jamais je n'avais été aussi seul, pourtant j'étais heureux. Du haut de ma solitude, je regardais le monde marcher sur les trottoirs. Les codes étaient pour moi incompréhensibles, les mots inaudibles, je me trouvais déraciné, aspect paradoxal, perdu, mais en quête d'absolu. Enfin je pouvais croire. Cela peut paraître stupide, idiot, mais le simple fait de poser mes fines pattes sur ce lieu lumineux éclairait ma conscience. Les contes, les discours de ces vieux goélands fatigués prenaient vie, j'arrivais mieux à comprendre leurs mises en garde. Je comprenais qu'ici la vie n'avait pas de valeur. La mort rôdait dans les âmes, dans les regards. Les goélands pleuraient, leurs cris longeaient la mer et partaient se noyer dans l'immensité universelle. Ces oiseaux un peu allumés, je les observais, de jour comme de nuit : ils ne ressemblaient pas à ma tribu des îles. Nous, nous vivons au cœur du temps, les tempêtes sont reines, elles rythment les saisons. Quand le vent se lève, siffle, nos cris sont des chants de joie, nos ailes nous portent sans effort, planant en altitude. La nature nous donne le nécessaire pour vivre, le temps passe en un vol, deux chants et la conquête d'une âme pour repeupler l'île de petits oisillons. En ville, la loi est simple, seul le plus fort gagne. Je revois encore ces deux animaux se battre jusqu'au sang, pour un bout d'os, jusqu'à ce que ce bolide sorti de nulle part les mette d'accord, deux boules de plumes qui valsent sur le pare-brise, puis cette flaque rouge qui se dégage sur le sol. Cela s'est passé sous mes yeux, éclairé par les mille volts de lumière. Les corps gisaient inertes dans la rue, les autres voitures ne déviaient pas d'un pouce leur trajectoire, négligeant la paix de leur âme. Agnostique, je rêvais du haut de mon abri, et je ne pouvais pas croire qu'un créateur ait pensé sciemment à tant d'ignominie. Pourtant, j'aimais vraiment le halo diffus de mon lampadaire, ce flot de particules qui jaillissait dès la tombée de la nuit, éclairant d'un trait toute l'histoire de ce petit bout de quartier. Personne ne me sortait de mon nid, les autres oiseaux avaient adopté mon choix et me laissaient le septième lampadaire, place Guérin. J'aimais rester droit, des heures et des heures à guetter la vie du dessous, comprendre ses voix, regarder les pas des hommes, rester digne, fier, sentinelle espionne pour la paix de mes frères. Je savais qu'un jour, mes ailes battraient à nouveau, me porteraient sans hasard vers ce lieu où je suis né, cet îlot charmant qui m'a offert ses saveurs, la douceur d'être, de vivre. Or pour l'instant, j'apprenais à voir l'étendue de la mécanique humaine, les ravages en chaîne créés par le développement de ces champs de connaissance. Je sentais que l'iode, ici, n'était pas pur, et il m'était impossible de compter le nombre de pieds, de pattes, éclairés par nos lumières. Au bout de quelques temps, en tant que vigile en peine, je me mis à chanter des airs tristes. J'ignore d'où me venait l'inspiration, je sais simplement que ma voix s'élevait, elle s'égarait dans le dédale des arrière-cours. C'était ainsi que je comblais le vide du temps, porté par ma solitude, le lampadaire restant muet ; et comme tous les oiseaux, je n’avais pas besoin d'aide pour retrouver ce sentiment de liberté. Un battement de cils, deux battements d'ailes et mon vol devenait tout un symbole. J'aimais monter, monter, ne plus rien apercevoir de la ville cachée par les nuages, puis plonger, redescendre souffle coupé, vers cette mare grisâtre, rentrer de nouveau dans l'atmosphère, froide et sèche, des hommes. Mon ombre planait au-dessus de leurs vertus, délivrant ainsi mon noir désir de vivre. La neige vint à mon secours. D'abord blanche, elle tapissait l'ensemble des rues. Les flocons descendaient un à un du ciel, couvrant les caniveaux, les trottoirs, le macadam. Les enfants riaient, les boules sifflaient, heurtaient des têtes, des murs, des vitres. Je ne compris pas de suite que j'étais devenu la cible de ces garçons. Ces jeunes bêtes voulaient me déloger, leur désir était de me forcer à quitter ce lieu et à reprendre mon vol. J'entends encore leurs cris, je vois leurs visages, la neige mise en boule qui frôle mon corps, touche mon cœur. Je résiste encore un peu, au froid, à la peur, et le vent caresse mes plumes. Inutile de résister à l'appel d'un nouveau vol. Dans un éclair, je repars au loin, suivant la route des îles, retrouver mon chemin, ma route, ma famille. Je sais que sur Balanec je trouverai plus d'air, moins de trouble... La route fut longue. Je voulais retrouver la paix, jouer, flirter, admirer les couchers de soleil, la lune qui s'efface. Mon coeur battait, j'avais de la peine à comprendre que je ne retrouverais plus la grâce des silences d'avant, maintenant que j'avais perçu l'offense, sans complaisance, des hommes sur la terre. J'allais retrouver mes frères, la mer, la lumière des nuits d'octobre sur cet îlot qui porte tous nos désirs depuis l'enfance. Plus Balanec se dessinait, plus l'angoisse de revoir les miens m'étreignait, j'ignorais les mots qui allaient sortir de l'intérieur, lors de cette nouvelle rencontre. L'émotion dérivait dans mon corps, et j'avais peur d'être maladroit, de me terrer dans le silence. Pas de discours, juste cette étincelle dans le regard, la majesté de la pensée. J'étais resté un an en ville, sur ce lampadaire. Jamais je n'avais vu une telle concentration d’hommes, de tels moyens pour les satisfaire dans leur quotidien. Des portes qui s'ouvrent, des images qui défilent, des rues qui s'animent, des tonnes de textiles, de ferraille, d'aliments que l'on jette, que l'on brûle, des toits et des toits, des antennes, et tant de lumière. Là-bas, la nuit n'existe pas. Arrivé sur mon île, je ne reconnais plus personne. Ai-je tant changé ? Je ne sais pas pourquoi, la communication semble absente. Je reste des heures à planer loin des miens, je recherche l'isolement, la solitude. Ici, rien n'a évolué, les jeux sont les mêmes, les lois et les plaisirs aussi. Or, tout au fond de mes sens, je ressens une absence. Près du lac, la vie court lentement, les nénuphars se transforment en grenouilles, les lapins se cachent, et ma tribu me rejette. Je sens la puissance de leur regard, ma différence ; depuis que je me suis envolé sans mot dire, mes parents feignent l'indifférence. Moi, je sens en moi des larmes qui me brisent le cœur. Sans défense, sans armes, sans mots, je n'arrive pas à délivrer des "je t'aime". Je suis nu dans cette forêt de pattes, alors je vole dans le lointain silence. Je sais que là-bas, de l'autre côté, la lumière brille, les goélands crient, se battent, pleurent. Ici, je regarde la nature, ses couleurs, ses odeurs, tout ce vert. Des heures et des heures à sentir le poids du silence, je me plante sur un rocher, aux aguets devant le reflux d'une nouvelle vague. Partir, revenir, pour qui, pour quoi ? Pas une seule aile qui ne me flatte au sein de ma propre communauté, je me sens rejeté. Car contre vents et courants, mes désirs de liberté ont pris place, devenant d'un coup hostiles devant l'autorité que le temps a mise en place. Vilain petit canard, je me noie dans la torpeur d'un temps meilleur. Jadis !
Avant, nous allions tous au combat, nous suivions les chalutiers, pour récupérer de la godaille et des entrailles. Nous plongions d'une falaise, avides de déguster une sardine ou un maquereau. La vie était aussi simple que le flux d'une rivière qui s'écoule, de saison en saison, toujours à suivre le même sens. Sans conscience, nous avalions des milles, et le souffle d'Éole comblait tous nos sens. Un présent des dieux, eux qui ont pensé aux oiseaux marins. Que le ciel soit bleu ou gris, nous peuplerons l'horizon de nos cris, nos ailes battront, et notre vol prendra vie. Sans notre présence, l'Océan serait bien vide ! Derrière moi, j'avais laissé les images de la ville allumée, celles de la peur aussi. Il m'était devenu impossible de communiquer, d'expliquer aux miens les grandeurs et décadences de la civilisation. Je voyais encore ces lots de poubelles où on allait pêcher notre plat du jour puis, rassasiés, le regard immobile sous le halo de lumière de ces grands lampadaires, nous observions les hommes et leurs curieuses machines. Perdue dans ses habitudes, Balanec devenait trop petite : je n'arrivais plus à trouver ma place, dans cet étroit désert ; l'agitation, la folie de l'agglomération me manquait. Le silence commençait à me blesser, l'automne ne passait toujours pas, et je me languissais dans la plaine. Depuis mon départ, malgré ce retour sur les terres de ma naissance, un vide persistant tenait dans mon âme. Inutile de croire qu'ici je reprendrais pied, qu'ici, je reprendrais place. Je sentais ma différence dans leurs gestes, dans leurs yeux. Je recommençais à voler, pas très loin de rejoindre la terre, et de me poser à nouveau place Guérin. Je voyais les feux de la mer, les artifices jaune mystère, ma route me menait au dessus des flots, vers le vice des villes, maintenant que j'avais perdu le délice de l'île. Cette balade dans le monde de la connaissance, la découverte de vie, moins simple que celle qui domine Balanec, hantaient tout mon être. Pas séduit, mais saisi par l'étendue de la technologie, troublé devant les lois et les mœurs en cours, je n'arrivais plus à me poser détendu sur une branche, pour profiter de la nature spectacle. J'ignore encore comment certains voyageurs, après des années d'absence reviennent, se posent, racontent puis conservent le fruit de leur expérience. Dans mon cas, ma conscience en dérive, je ne me permettais plus de me plaire dans l'univers pur de ce lieu qui portait mes souvenirs. Mes désirs avaient traversé la mer d'Iroise. Inutile de dire que la quiétude de l'île devenait un poids, une misère. J'avais perdu mes repères, mes ailes battaient, mon cœur souffrait de sa retenue. Une nouvelle vague de cette envie de fuir m'assaillait, cette nécessité d'aller chercher au fond du voyage un quotidien, un lieu où les graines du temps filent en source, naissait en moi. Voir, utiliser le paysage en toute conscience pour tenter de définir l'image de la terre, puis se complaire à rencontrer des peuples, trahir leurs secrets, percer le fond de leurs songes, explorer, vivre. Le goémon couvrait toute la roche, il suait au soleil. Le printemps venait d'apparaître. Les fleurs mâles et femelles s'emplissaient de sève, les couleurs s'affirmaient sur la rive, les oiseaux sifflaient leur joie d'exister. Tout, autour de moi, semblait fabriqué pour mener au sourire : les souris, les hommes et les chiens. Parfois, je rejoignais le groupe pour m'amuser à leurs côtés des courants de marée. Nous trouvions un endroit, où un passage étroit augmentait le flux et reflux, l'eau entrait dans ce tube, s'accélérait, nous n'avions plus qu'à nous laisser porter, glisser, dans un sens, puis dans l'autre. Chaque fois que la houle s'approchait de la côte, elle nous emportait dans son élan, sans aucun mouvement ; la mer nous baladait sur son dos, et ce jeu nous enchantait. Nous devions calculer les risques, battre des ailes, nous envoler au plus vite, pour ne pas nous écraser sur les roches alentour. Notre troupe jouissait du plaisir de dévaler sans peine ces murs liquides. La glisse dans la peau, nous profitions du soleil, de la mer si belle sous son éclat. Seul ce jeu d'enfant me rapprochait des autres. Après quelques frayeurs, j'allais lutter contre les vents, sentir leur fraîcheur, m'élever dans un ciel clairvoyant, voyager dans ma solitude, et retrouver ce besoin de lumière, ce besoin d'éclairer ma conscience, ce désir de repartir pour un tour, loin, dans un dernier voyage derrière l'horizon. Dans l'univers sans partage de mes secrets, je trouvais refuge, je pensais à mon retour vers la ville, revoir, et sentir l'énorme présence des hommes. Je ne pouvais plus rester en place dans cet espace sauvage, à contempler la nature, ses fruits et ses farces. Les lapins pouvaient courir, se reproduire, laisser des traces dans tous les champs, je ne m'amusais plus à les poursuivre du regard. Le poisson n'avait pas de goût, il m'était devenu impossible d'être satisfait du simple fait d'exister, maintenant que j'avais croisé la folie des hommes. Impossible de comprendre pourquoi, au fond de mon être, j'avais besoin d'artifices, de lumière. Je pensais à ces nuits où je pansais mes plaies, après m'être battu pour survivre, manger. Je ne pouvais pas oublier ce voile de lumière qui arrosait le sol, ces voix qui montaient, le bruit sourd des véhicules qui circulaient. Je n'arrivais plus à me moquer des mouettes, de leur taille, de leurs cris. Je voulais repartir, entrer dans un autre monde, vivre chaque heure comme une seconde. Là-bas, perché sur mon lampadaire, je me sentais sentinelle devant l'éternel. Presque utile... Partir pour ne plus revenir, quitter son nid, son île. Aujourd'hui, le ciel est clair, la marée basse, je sens l'iode, l'amas d'algues qui sèchent sous les rayons du soleil. La tribu se tient au complet, proche de l'eau, ils attendent que la journée s'efface. Une dernière fois, je les regarde : ils sont mon univers, ma vie, et cette évidence m'apparaît être l'unique raison de les quitter. La puissance de l'évasion renaît, j'aperçois l'ombre de la côte, sa silhouette noire qui bouche l'horizon, puis je me tourne. Devant moi, il ne reste que le vide vague de la mer, un océan de désir à parcourir. J'ignore où s'arrête cette masse bleue, car si je pense au loin, je ne vois que l'eau et le ciel qui se rapprochent tellement qu'ils finissent par se confondre. C'est là-bas que je veux voler, aller plus loin que mon regard, chercher les dernières forces, puiser dans son monde d'énergie la volonté d'avancer, pour de nouveau être saisi par la surprise, ce cadeau de l'enfance, ce temps où chaque pas, chaque battement d'ailes, chaque souffle est un cadeau, une merveille. J'ai envie de retrouver ma naïveté, de m'enfoncer dans la nuit et de croire aux histoires de fantômes et aux fées, aux sirènes et aux sorcières. Alors, je quitte sans regrets ce rocher qui m'héberge depuis si longtemps. Je sais que la berge va s'en aller, au fur et à mesure que ma quête d'une image va avancer. Mon cœur bat, mes paupières sont closes, je ne veux pas plonger dans ces vieux souvenirs. Me voilà parti vers nulle part, simplement nu. Je vole vers le fond des nuages, ceux qui définissent l'horizon. Sur ma droite, Ouessant, et sa beauté sauvage, sont les derniers vestiges de la civilisation. J'abandonne toute envie de m'arrêter sur ce site, et de parcourir sa côte en une dernière visite. Je vole. L'air est doux, printanier ; le granit dessine des animaux d'un autre temps : sphinx, dinosaures, poissons volants ou baleine à pattes, et leurs faux airs d'éléphants. Les fleurs sont blanches, bleues, elles transpercent le jaune vert des champs, et devant, plus rien, rien d'autre que l'aventure d'aller au bout de mes forces. Les vents de mer sont contre moi. Le premier jour, je ne mesurais pas la force à employer, battre continuellement des ailes, lutter, ne jamais s'arrêter de peur de retracer son chemin vers l'arrière. La nuit fut belle, la lune rousse soulignait mes pensées, j'allais plein Ouest vers un lointain regard. Inutile de dire que la terre s'absentait sur mon chemin, je ne croisais que mon ombre et d'autres oiseaux marins, solitaires dans l'espace. À présent, je croise des bancs de sardines, ce qui aiguise mon appétit. Sans trop de difficulté, j'affole le groupe et je me nourris du reste. Apparemment l'océan est plein de surprises, plein de richesses, alors j'oublie qu'il ne me reste plus que cette sombre flaque d'eau aux airs immenses pour me reposer. Derrière des murs de vagues, je m'installe, ferme les yeux et dérive. Je viens de quitter mon monde d'habitudes pour une longue traversée et, peut-être qu'au fond, je n'y trouverai que la mort... Le réveil est doux, je nage un peu, puis mes ailes me portent à nouveau vers mon désir de vivre. Cette fois-ci, le vent me soutient, chatouille mes plumes. Les quelques bateaux de plaisance que je croise, traînant derrière leur franc-bord des leurres pour une quelconque pêche, sont les dernières marques de l'étendue de la civilisation humaine. Je passe au-dessus de leurs idées reçues, puis mon vol me mène sur le cœur de la terre : l'Océan. Cette longue place vide ! Je devais lutter pour ma survie, penser aux derniers jours, me contentant d'apprécier, juste, la nature et l'espace qu'elle nous offre. J'étais fatigué de cette lutte insistante, entre moi et mes émois, toujours à la poursuite du paradoxe de mon monde intérieur. Ma nature volontaire, ce goût nouveau de l'exploration, me poussait, dans un dernier vol au dessus de l'inconnu, fier de m'être abandonné à mes étranges pensées. Pourtant, je cache en mon sein d'exquises faiblesses, un cœur de caramel et des idées sucre d'orge, des sentiments qui ne mentent pas. Oui, j'aimais le lieu, l'endroit où je suis né, et les êtres aussi... Immobile ou volage, le temps nous tuait tous à petit feu, réflexion au long court de ce voyage. Plus je m'approchais du verdict final, plus je m'éloignais de la peine des visages que j'avais pu croiser dans le sillon de ma vie. Je poursuivais ma route, innocent dans ce silence, accablé de doutes cependant. Mon vol devenait aveugle face à mon destin, je pensais à la vie, au partage. Il est inutile d'entasser des richesses intérieures, si on ne peut en partager les fruits. Devant cette évidence, je poursuivais mon chemin de solitude, certain d'y trouver une tombe. Je continuais à survoler les galets ronds, sans trop vouloir bouger mes ailes. Je gardais mon cap, m'interdisant de retraverser, de repartir vers mes colonies, et d'y fonder un foyer. Je passais au-dessus de cette plage, et je pensais sans cesse à ceux que j'avais quittés, mais pas oubliés. Balanec, petit paradis non loin des côtes bretonnes, un soir je me suis réveillé et mon rêve s'est envolé. Balanec, mon berceau, ma fuite dans le temps. En te conservant en mémoire, je reste au seuil de l'adolescence pour l'éternité. Ma vie conserve, par ces images passées, un soupçon d'innocence. Derrière moi, l'Océan se défend, devient blanc, les vagues se veulent rondes et fondent sur le sable. J'entends le son de sa voix, je regarde ce désir bleu qui transperce le regard de ceux qui l'aiment, puis je replonge dans mes souvenirs. Je reviens à la vie, au delà de la fatigue, je recherche un lieu pour me poser, reposer mon esprit avant de laisser le temps vivre. La nuit n'a plus de sens, car j'ai trouvé ma vérité. Je suis triste dans mon chant de solitude, mais je fonce vers le fond de ma mémoire, là où se cachent les plaisirs et péchés de jeunesse. J'avance sur le rail de ma vie, et mes ailes battent, paisibles sur leur fond de destin. Devant moi, la lumière d'une ville prend place. Une nuit si claire, sous la lumière artificielle est effrayante. Or elle me guide, m'attire en son centre. Je ne pense plus à rien, je me laisse porter par les courants aériens, vers cette source sans fin, ce visage éclairé, ce lieu qui vivait dans mon songe. Je pars le conquérir, devenir sentinelle. Jamais plus, je ne verrai de lapin copuler dans les champs sans vergogne. Je le sais, dans cette traversée j'ai acquis un chemin de connaissance. J'ai cherché un miroir, survolé la terre, frôlé des mystères. Tout cela pour ça, retrouver un flot de lumière, là. Perché sur un lampadaire. Trente-sixième rue, deuxième sous-sol, je viens de trouver mon horizon. Je me pose sur mon île, elle est ronde et éclaire. Ainsi, nous deviendrons complices jusqu'à ce que mes cris s'éteignent.