Van Gogh Psychiatrisch Ziekenhuis
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Van Gogh Psychiatrisch Ziekenhuis
"Hôpital psychiatrique Van Gogh". Quand le cauchemar devient réalité. Nouvelle présentée dans un concours aux Pays-bas... L'horreur n'a pas sa place chez les expatriés ! crédit photo : unsplash.com Nathan Wright.
La journée était splendide.
Dirk Backer était sur le chemin de l’ancien hôpital psychiatrique de Voorschoten « le Van Gogh Psychiatrisch Ziekenhuis ».
Le ciel était d’un bleu profond et le soleil frappait sur les vitres de sa vieille voiture d’occasion. Les rayons du soleil se reflétaient sur le canal.
Le bloc de bâtiments datant du début du XXe siècle comme le grand magasin de La Haye « De Bijenkorf » se présentait à lui. Austère, abîmé, vitres cassées, il ne donnait pas envie d’y entrer.
Mais il le devait. Il était architecte et sa mission était de transformer ce vieux bâtiment en une nouvelle clinique psychiatrique avec tout le confort moderne.
Un chantier de plusieurs millions. Il était le plus heureux des architectes. Le travail s’offrait à
lui, à la chaîne.
Il prenait les clés de l’édifice dans sa voiture et commençait l’inspection. Tout était délabré à l’intérieur. Les rats grouillaient entre les infiltrations d’eau. « Tout est à changer », pensa-t-il.
Le sous-sol avait encore plus de vermine.
Il ouvrait les cellules miteuses une à une, prenant des mesures avec sa lampe torche entre ses dents. Il commençait à penser qu’il n’aurait jamais dû prendre ce chantier. Pour la première fois de sa vie, il avait sous-estimé l’ampleur des travaux. Cela n’avait rien à voir avec les maisons modernes qu’on lui demandait de créer. Principalement, des maisons sur l’eau.
« Vous entendez ce bruit ? »
« Ce n’est pas un bruit ordinaire, il y a quelqu’un qui crie »
Il essayait de suivre le son et pensait au pire à cet instant-là. Une femme avait sans doute des ennuis. Elle avait peut-être été enfermée par un psychopathe. Il fallait qu’il la retrouve tout en étant prudent.
Les cris se faisaient de plus en plus fort comme des sortes de plaintes. La femme demandait de l’aide.
Son cœur battait fort. Il avait peur. « Peur de quoi ? » « Et si elle était blessée » « Et si l’assassin se trouvait dans l’immeuble » « serait-il capable de l’affronter ? ».
Tant de terribles pensées lui passaient par la tête. Il fallait qu’il souffle et qu’il se reprenne en main. Arrêter de penser et agir. Il se trouvait devant la porte de la cellule 666. Il trouvait ça curieux, car le chiffre était écrit à la main.
La femme criait. Même s’il avait remis le générateur en route, les néons ne cessaient pas de s’allumer et de s’éteindre. Il prenait sa lampe torche et éclairait une fiche de papier, vieillie par le temps qui traînait sur la porte.
Il pouvait lire « Mme FRELUCI ». Quelques lignes supplémentaires le renseignaient sur la patiente qui avait élu domicile dans cette cellule. Il en lisait des fragments « tueuse en série »,
« a égorgé vingt-deux hommes », « fort sympathique, tout ça ! ».
Il tirait la porte rongée par la rouille avec difficulté. Le grincement se dispersait en écho dans tout l’édifice. Le sol était gorgé d’eau.
L’endroit était sombre alors, il y plongeait sa torche tout en prononçant le mot « madame ? » sous forme de questions à plusieurs reprises, comme pour la rassurer ou plutôt comme pour se rassurer lui.
Il y avait un cadavre en décomposition au fond de la cellule. Il eut un haut de cœur et se mit à jurer « merde » puis il se retourna. Il n’avait plus le choix, il fallait qu’il appelle la police. Il prit son portable et composa le numéro d’urgence. Le cadavre se levait lentement et s’approchait de lui, sans bruit, un bout de métal rouillé entre ses doigts dégoulinants de vers. Il posa une main sur son épaule et l’égorgea avec satisfaction en prononçant un seul nombre « 23 ». //
***
Je sens que je me rapproche. Ce type a été égorgé de la même façon qu’une autre victime il y a 5 ans. Et la solution est là, devant mes yeux, dans les archives de l’hôpital de Leiden. Aucune empreinte n’a été trouvée, ni sur les lieux ni sur le bout de métal qui a servi d’arme.
Mais la fiche retrouvée sur la porte est peut-être une piste.
— Mademoiselle, s’il vous plaît ?
— Oui ?
— Je cherche les archives de l’hôpital Van Gogh à Voorschoten. Vous pouvez me dire où elles se trouvent ?
L’archiviste avait une trentaine d’années et son doux parfum me titillait les narines. Elle ne m’était pas indifférente et elle s’en rendit compte. Sa gêne se lisait sur son visage.
— Je vais regarder sur l’ordinateur. Il ne doit pas rester grand-chose. Vous pouvez signer le registre, s’il vous plaît, inspecteur Van den Broek ?
— Oui bien sûr !, appelez-moi Jaap. Elle me sourit.
— Voilà ! boîte numéro quarante-deux. Allée six.
— Très bien, merci pour votre aide.
— Mais je vous en prie !
— Pardon, vous allez trouver ça curieux. Êtes-vous libre ce soir ? Pour boire un verre.
— Ce soir non, mais après-demain, c’est possible.
— Ça veut dire oui ?
— Oui, pour jeudi.
— Très bien ! Je passe vous prendre à quelle heure ?
— Je termine tous les jours à 18h00.
— Super !
— Vous voulez que je vous aide ?
— Avec plaisir.
Son corps se déhanchait pour attraper la boîte sur l’étagère et moi j’étais scotché, sans pouvoir l’aider. J’ouvrais la boîte et en sortais un dossier dans une pochette à rabat de couleur rouge. Il contenait à l’intérieur une série de documents, puis un plan d’occupation des sols qui datait d’il y a 50 ans. Visiblement, il y avait des bois à l’emplacement de l’hôpital.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une coupure de journal local !
— C’est vieux !
— Ouais ! 50 ans !
— Vous allez en tirer quelque chose ? Les mots sont effacés.
— Ouais, mais pas tous. C’est quoi votre prénom ? demandais-je, les yeux rivés sur le papier.
— Maartje !
— Joli prénom !
— Merci.
— J’arrive à lire « secte satanique démantelée. Quinze corps retrouvés calcinés ». Eh bien, c’est pas la joie.
— On dirait que quelqu’un veut que les meurtres continuent ?
— Ouais ! on dirait.
Maartje s’éloigne de moi pour aider une autre personne qui l’appelle. Mes pensées se bousculent. Je gribouille sur une feuille blanche, le nom inscrit sur cette vieille fiche, tout en réfléchissant. Je fouille les listes des patients « Elle n’a pas été patiente à Van Gogh ! elle n’est pas sur la liste. Alors qui était-elle ? »
Mes yeux restent figés sur le nom. Et je jure de nouveau « Putain ! » c’est pas vrai !
Un hasard. Je remets les lettres à l’endroit. C’est une anagramme FRELUCI… LUCIFER. C’est le diable en personne. Je dois stopper tous ces meurtres. Je dois retourner dans cet hôpital avec un exorciste pour arrêter ce monstre.
Elle est la personnification du mal. Je connais un prête. Je cherche son nom dans ma tête. Je l’ai sur le bout des lèvres… Jorgen Bruijn. Je me lève à toute vitesse et je fais signe à Maartje que je dois y aller. J’ai droit à un magnifique sourire qui va rester gravé dans ma mémoire toute la journée.
J’arrive devant l’Église protestante. J’entre et je demande à parler au père Bruijn. Je n’arrête pas de penser à ce que je vais lui dire. Comment vais-je aborder ce sujet ? Il arrive souriant et me serre la main.
— Inspecteur Van den Broek, comment allez-vous ?
— Bien, et vous ?
— La routine !
— En parlant de routine. Vous voulez en sortir. J’ai une affaire pour vous.
— Une affaire pour moi ?
— Que savez-vous des exorcismes ?
— Que ça ne se pratique plus de nos jours.
— Mon père, j’ai un gros problème, le diable est dans l’hôpital Van Gogh !
— Seigneur !
— Il faut que vous m’aidiez !
— Mais je ne sais pas faire.
— C’est pas comme dans les films ?
— Il faut une autorisation pour pratiquer ça et cela va prendre des jours.
— J’ai besoin de vous tout de suite. Je n’ai pas le temps d’attendre que cette chose tue encore et encore.
— Très bien. Je serai près demain matin. Venez me chercher à 7h00.
***
Ma nuit avait été agitée. Les mots griffonnés sur ma feuille blanche me hantaient. J’avais très
peur et mon sommeil avait été perturbé. 6h00 du matin, mon réveil me harcèle et je finis par me lever. Je suis fatigué. Je bois mon café et je prends un comprimé pour ce foutu mal de tête.
Je file sous la douche. L’eau chaude coule sur mon dos, car je reste appuyé sur la paroi de verre. Ça me fait un bien fou. Je souris bêtement en pensant à Maartje.
Nous sommes le mercredi 13 mars. J’enfile ma veste et je roule vers l’église chercher le père
Bruijn. Il attend au bord de la route pourtant, je ne suis pas en retard, c’est lui qui a pris de l’avance. Son visage est fermé. Il tient une bible entre ses mains, si serrées que je vois ses doigts blanchis par le manque de circulation sanguine. Je lui ouvre la portière et le silence s’installe entre nous deux.
Nous arrivons à présent devant le bâtiment qui nous regarde comme un spectre de briques et de verre. Le vent s’engouffre par les fenêtres cassées faisant un bruit fantomatique. Je regarde le père Bruijn et je lui dis de façon ironique avec le sourire aux lèvres que cela ne donne pas envie d’y rentrer. La porte grince. Tout fait du bruit là-dedans, les canalisations, le vent qui s’infiltre par les fenêtres et les toitures percées.
C'est humide et ça sent la rouille et le moisi. La sueur coule sur mon dos. Je n'ose même pas penser à ce que nous allons trouver ici. Le père Bruijn avance à pas lents dans les couloirs principaux puis nous prenons l’escalier qui descend au sous-sol. Je coupe le bandeau jaune posé par les agents de police avec des mains tremblantes. Le père Bruijn regarde mes mains puis son regard croise le mien.
— Tout va bien se passer, j’en suis sûr.
Je ne lui réponds pas, car je suis effrayé. J’arrive devant la cellule dont la porte est ouverte. Le corps de l’architecte est représenté sur le sol du couloir par un tracé blanc. Nous entendons des cris terrifiants, qui viennent de l'au-delà, formant un écho et cela nous fait sursauter.
— Seigneur, quelle horreur !
— Et ce n’est pas fini.
Ces cris entrent dans ma tête sans y être invités. J’arrive à comprendre certains mots. La voix tremble. Elle crache des obscénités, nous insulte. Elle est tantôt rieuse, puis elle nous nargue par des insultes. Le père Bruijn pose ses mains sur ses oreilles pour ne pas entendre ses propos.
Je décide de m’avancer dans le couloir sombre et je remarque une silhouette tout au fond. Une silhouette menaçante de femme. Elle est trop loin pour que je puisse distinguer dans l’obscurité son visage.
La silhouette reste statique, les bras le long de son corps comme une marionnette tenue par des fils. Nous devons nous en rapprocher.
Le père Bruijn me serre le bras. Mon cœur s'emballe sans cesse. Ma respiration devient difficile alors le prêtre commence l'exorcisme tout en continuant de me serrer le bras pour me donner du courage. Il lit des phrases répétitives, sans arrêt.
Je ferme les yeux et j'essaie de me calmer et de me concentrer sur la tâche. Simultanément, je fouille mes poches pour vérifier la présence de mon briquet. J’ouvre les yeux et je la vois débouler en notre direction à toute vitesse accrochée au plafond.
Cette image m’effraie. Mes yeux l’ont perdue de vue dans l’obscurité. J’agite ma lampe torche dans tous les sens. Et je la vois à un mètre au-dessus de ma tête. Elle pousse un cri profond que je n’arrive même pas à qualifier. Ses pieds restent suspendus dans l’air en lévitation et son visage se rapproche de moi. Je suis pétrifié.
Ses yeux se trouvent à présent face à mon regard. Je remarque ses yeux jaunis, son visage lacéré en décomposition. Quelques vers sortent d’une cavité de sa joue, comme une pomme pourrie, colonisée par des insectes. Des relents remontent dans mes narines. Cette odeur putride me donne envie de vomir.
Je suis terrifié par le visage de l'horreur qui me crache un liquide visqueux. Mes oreilles bourdonnent, mais j'entends le père Bruijn qui ne s'arrête pas de citer la bible en criant. Il la chasse de quelques mètres.
Nous n'y arriverons pas. Je commence à penser que nous allons y laisser nos vies et que je ne reverrai plus jamais Maartje. Cette chose me semble indestructible.
Je tiens dans ma main gauche une bouteille d’alcool que je dévisse doucement avec ma main droite. Pendant ce temps, la chose rit et me lèche le visage. Je n’en peux plus. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va s’arracher de ma poitrine.
Je tâte ma poche et j'en sors le briquet. Je tiens la solution. La faire griller, la renvoyer en enfer.
J’entends le prête lui dire d’aller brûler en enfer.
J'allume mon briquet et je la provoque. Elle me projette contre le mur humide et je glisse à moitié assommé le long. Ma bouteille perd la moitié de son contenu.
Elle se jette sur moi, s’accroupit sur mes jambes. Sa langue de vipère continue à me lécher le visage. J'ai du dégoût. Des asticots sortent de son visage cauchemardesque. Même en fermant les yeux, je la vois. Son odeur de pourri m’envahit.
Mes mains s’agitent seules en tremblant. Je lui renverse de l’alcool sur le visage et les vêtements, alors elle m’agrippe par la gorge. Mais mes mains continuent. J’allume la flamme de mon briquet et je mets le feu à son vêtement qui s'enflamme illico. Elle hurle et s'enfuit au milieu du couloir.
Le père Bruijn s’approche de moi rapidement et pose sa veste sur mon corps afin d’éteindre les quelques flammes qui avaient pris sur mes vêtements.
Le feu la consume de plus en plus. Sans savoir pourquoi, ma vision se brouille et je finis par m’évanouir.
***
Je me réveille dans une chambre d’hôpital. Le père Bruijn est endormi sur un fauteuil au pied de mon lit.
J’ai un bandage autour de mes bras et la douleur m’arrache un cri qui réveille le père Bruijn.
— Tout va bien, Jaap ?
— Où suis-je ? lui demandais-je d’une voix fluette.
— À l’hôpital de Leiden. Vous avez été brûlé aux bras.
— Elle ?
— Nous avons réussi. Il ne reste plus que des cendres. C’est fini, elle ne fera plus de mal.
— Maartje ?
— Qui est Maartje ?
— L’archiviste de l’hôpital !
— Cet hôpital ?
— Oui !
— Vous voulez que j’aille la chercher ?
— Je ne … dis-je en m’endormant.
Mes yeux s’ouvraient enfin pour croiser de merveilleux yeux bleus sur un visage souriant. Je sentais sa main tenir la mienne pendant que son autre main me caressait le visage avec douceur.
J’allais dire quelque chose, lorsqu’elle me posa le doigt sur mes lèvres pour me faire taire.
Avec sa présence à mes côtés, je me sentais tout de suite mieux. Mon corps était certes endolori, mais mon moral était meilleur.
Je pense que je tentais de lui expliquer l’enfer que j’avais vécu dans cet endroit pour me rassurer. Il m’était difficile d’oublier une telle expérience et il fallait que je la confie à quelqu’un.
Maartje me raccompagnait chez moi au bout de deux jours. Malgré sa beauté et la joie qu’elle exprimait. Malgré ses douces attentions envers moi, quelque chose avait changé. Mes cauchemars étaient incessants et me terrorisaient. Jamais je ne pourrais oublier le visage de l’horreur.
" Quand le cauchemar devient réalité. Nouvelle présentée à un concours aux Pays-Bas
La journée était splendide.
Dirk Backer était sur le chemin de l’ancien hôpital psychiatrique de Voorschoten « le Van Gogh Psychiatrisch Ziekenhuis ».
Le ciel était d’un bleu profond et le soleil frappait sur les vitres de sa vieille voiture d’occasion. Les rayons du soleil se reflétaient sur le canal.
Le bloc de bâtiments datant du début du XXe siècle comme le grand magasin de La Haye « De Bijenkorf » se présentait à lui. Austère, abîmé, vitres cassées, il ne donnait pas envie d’y entrer.
Mais il le devait. Il était architecte et sa mission était de transformer ce vieux bâtiment en une nouvelle clinique psychiatrique avec tout le confort moderne.
Un chantier de plusieurs millions. Il était le plus heureux des architectes. Le travail s’offrait à
lui, à la chaîne.
Il prenait les clés de l’édifice dans sa voiture et commençait l’inspection. Tout était délabré à l’intérieur. Les rats grouillaient entre les infiltrations d’eau. « Tout est à changer », pensa-t-il.
Le sous-sol avait encore plus de vermine.
Il ouvrait les cellules miteuses une à une, prenant des mesures avec sa lampe torche entre ses dents. Il commençait à penser qu’il n’aurait jamais dû prendre ce chantier. Pour la première fois de sa vie, il avait sous-estimé l’ampleur des travaux. Cela n’avait rien à voir avec les maisons modernes qu’on lui demandait de créer. Principalement, des maisons sur l’eau.
« Vous entendez ce bruit ? »
« Ce n’est pas un bruit ordinaire, il y a quelqu’un qui crie »
Il essayait de suivre le son et pensait au pire à cet instant-là. Une femme avait sans doute des ennuis. Elle avait peut-être été enfermée par un psychopathe. Il fallait qu’il la retrouve tout en étant prudent.
Les cris se faisaient de plus en plus fort comme des sortes de plaintes. La femme demandait de l’aide.
Son cœur battait fort. Il avait peur. « Peur de quoi ? » « Et si elle était blessée » « Et si l’assassin se trouvait dans l’immeuble » « serait-il capable de l’affronter ? ».
Tant de terribles pensées lui passaient par la tête. Il fallait qu’il souffle et qu’il se reprenne en main. Arrêter de penser et agir. Il se trouvait devant la porte de la cellule 666. Il trouvait ça curieux, car le chiffre était écrit à la main.
La femme criait. Même s’il avait remis le générateur en route, les néons ne cessaient pas de s’allumer et de s’éteindre. Il prenait sa lampe torche et éclairait une fiche de papier, vieillie par le temps qui traînait sur la porte.
Il pouvait lire « Mme FRELUCI ». Quelques lignes supplémentaires le renseignaient sur la patiente qui avait élu domicile dans cette cellule. Il en lisait des fragments « tueuse en série »,
« a égorgé vingt-deux hommes », « fort sympathique, tout ça ! ».
Il tirait la porte rongée par la rouille avec difficulté. Le grincement se dispersait en écho dans tout l’édifice. Le sol était gorgé d’eau.
L’endroit était sombre alors, il y plongeait sa torche tout en prononçant le mot « madame ? » sous forme de questions à plusieurs reprises, comme pour la rassurer ou plutôt comme pour se rassurer lui.
Il y avait un cadavre en décomposition au fond de la cellule. Il eut un haut de cœur et se mit à jurer « merde » puis il se retourna. Il n’avait plus le choix, il fallait qu’il appelle la police. Il prit son portable et composa le numéro d’urgence. Le cadavre se levait lentement et s’approchait de lui, sans bruit, un bout de métal rouillé entre ses doigts dégoulinants de vers. Il posa une main sur son épaule et l’égorgea avec satisfaction en prononçant un seul nombre « 23 ». //
***
Je sens que je me rapproche. Ce type a été égorgé de la même façon qu’une autre victime il y a 5 ans. Et la solution est là, devant mes yeux, dans les archives de l’hôpital de Leiden. Aucune empreinte n’a été trouvée, ni sur les lieux ni sur le bout de métal qui a servi d’arme.
Mais la fiche retrouvée sur la porte est peut-être une piste.
— Mademoiselle, s’il vous plaît ?
— Oui ?
— Je cherche les archives de l’hôpital Van Gogh à Voorschoten. Vous pouvez me dire où elles se trouvent ?
L’archiviste avait une trentaine d’années et son doux parfum me titillait les narines. Elle ne m’était pas indifférente et elle s’en rendit compte. Sa gêne se lisait sur son visage.
— Je vais regarder sur l’ordinateur. Il ne doit pas rester grand-chose. Vous pouvez signer le registre, s’il vous plaît, inspecteur Van den Broek ?
— Oui bien sûr !, appelez-moi Jaap. Elle me sourit.
— Voilà ! boîte numéro quarante-deux. Allée six.
— Très bien, merci pour votre aide.
— Mais je vous en prie !
— Pardon, vous allez trouver ça curieux. Êtes-vous libre ce soir ? Pour boire un verre.
— Ce soir non, mais après-demain, c’est possible.
— Ça veut dire oui ?
— Oui, pour jeudi.
— Très bien ! Je passe vous prendre à quelle heure ?
— Je termine tous les jours à 18h00.
— Super !
— Vous voulez que je vous aide ?
— Avec plaisir.
Son corps se déhanchait pour attraper la boîte sur l’étagère et moi j’étais scotché, sans pouvoir l’aider. J’ouvrais la boîte et en sortais un dossier dans une pochette à rabat de couleur rouge. Il contenait à l’intérieur une série de documents, puis un plan d’occupation des sols qui datait d’il y a 50 ans. Visiblement, il y avait des bois à l’emplacement de l’hôpital.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une coupure de journal local !
— C’est vieux !
— Ouais ! 50 ans !
— Vous allez en tirer quelque chose ? Les mots sont effacés.
— Ouais, mais pas tous. C’est quoi votre prénom ? demandais-je, les yeux rivés sur le papier.
— Maartje !
— Joli prénom !
— Merci.
— J’arrive à lire « secte satanique démantelée. Quinze corps retrouvés calcinés ». Eh bien, c’est pas la joie.
— On dirait que quelqu’un veut que les meurtres continuent ?
— Ouais ! on dirait.
Maartje s’éloigne de moi pour aider une autre personne qui l’appelle. Mes pensées se bousculent. Je gribouille sur une feuille blanche, le nom inscrit sur cette vieille fiche, tout en réfléchissant. Je fouille les listes des patients « Elle n’a pas été patiente à Van Gogh ! elle n’est pas sur la liste. Alors qui était-elle ? »
Mes yeux restent figés sur le nom. Et je jure de nouveau « Putain ! » c’est pas vrai !
Un hasard. Je remets les lettres à l’endroit. C’est une anagramme FRELUCI… LUCIFER. C’est le diable en personne. Je dois stopper tous ces meurtres. Je dois retourner dans cet hôpital avec un exorciste pour arrêter ce monstre.
Elle est la personnification du mal. Je connais un prête. Je cherche son nom dans ma tête. Je l’ai sur le bout des lèvres… Jorgen Bruijn. Je me lève à toute vitesse et je fais signe à Maartje que je dois y aller. J’ai droit à un magnifique sourire qui va rester gravé dans ma mémoire toute la journée.
J’arrive devant l’Église protestante. J’entre et je demande à parler au père Bruijn. Je n’arrête pas de penser à ce que je vais lui dire. Comment vais-je aborder ce sujet ? Il arrive souriant et me serre la main.
— Inspecteur Van den Broek, comment allez-vous ?
— Bien, et vous ?
— La routine !
— En parlant de routine. Vous voulez en sortir. J’ai une affaire pour vous.
— Une affaire pour moi ?
— Que savez-vous des exorcismes ?
— Que ça ne se pratique plus de nos jours.
— Mon père, j’ai un gros problème, le diable est dans l’hôpital Van Gogh !
— Seigneur !
— Il faut que vous m’aidiez !
— Mais je ne sais pas faire.
— C’est pas comme dans les films ?
— Il faut une autorisation pour pratiquer ça et cela va prendre des jours.
— J’ai besoin de vous tout de suite. Je n’ai pas le temps d’attendre que cette chose tue encore et encore.
— Très bien. Je serai près demain matin. Venez me chercher à 7h00.
***
Ma nuit avait été agitée. Les mots griffonnés sur ma feuille blanche me hantaient. J’avais très
peur et mon sommeil avait été perturbé. 6h00 du matin, mon réveil me harcèle et je finis par me lever. Je suis fatigué. Je bois mon café et je prends un comprimé pour ce foutu mal de tête.
Je file sous la douche. L’eau chaude coule sur mon dos, car je reste appuyé sur la paroi de verre. Ça me fait un bien fou. Je souris bêtement en pensant à Maartje.
Nous sommes le mercredi 13 mars. J’enfile ma veste et je roule vers l’église chercher le père
Bruijn. Il attend au bord de la route pourtant, je ne suis pas en retard, c’est lui qui a pris de l’avance. Son visage est fermé. Il tient une bible entre ses mains, si serrées que je vois ses doigts blanchis par le manque de circulation sanguine. Je lui ouvre la portière et le silence s’installe entre nous deux.
Nous arrivons à présent devant le bâtiment qui nous regarde comme un spectre de briques et de verre. Le vent s’engouffre par les fenêtres cassées faisant un bruit fantomatique. Je regarde le père Bruijn et je lui dis de façon ironique avec le sourire aux lèvres que cela ne donne pas envie d’y rentrer. La porte grince. Tout fait du bruit là-dedans, les canalisations, le vent qui s’infiltre par les fenêtres et les toitures percées.
C'est humide et ça sent la rouille et le moisi. La sueur coule sur mon dos. Je n'ose même pas penser à ce que nous allons trouver ici. Le père Bruijn avance à pas lents dans les couloirs principaux puis nous prenons l’escalier qui descend au sous-sol. Je coupe le bandeau jaune posé par les agents de police avec des mains tremblantes. Le père Bruijn regarde mes mains puis son regard croise le mien.
— Tout va bien se passer, j’en suis sûr.
Je ne lui réponds pas, car je suis effrayé. J’arrive devant la cellule dont la porte est ouverte. Le corps de l’architecte est représenté sur le sol du couloir par un tracé blanc. Nous entendons des cris terrifiants, qui viennent de l'au-delà, formant un écho et cela nous fait sursauter.
— Seigneur, quelle horreur !
— Et ce n’est pas fini.
Ces cris entrent dans ma tête sans y être invités. J’arrive à comprendre certains mots. La voix tremble. Elle crache des obscénités, nous insulte. Elle est tantôt rieuse, puis elle nous nargue par des insultes. Le père Bruijn pose ses mains sur ses oreilles pour ne pas entendre ses propos.
Je décide de m’avancer dans le couloir sombre et je remarque une silhouette tout au fond. Une silhouette menaçante de femme. Elle est trop loin pour que je puisse distinguer dans l’obscurité son visage.
La silhouette reste statique, les bras le long de son corps comme une marionnette tenue par des fils. Nous devons nous en rapprocher.
Le père Bruijn me serre le bras. Mon cœur s'emballe sans cesse. Ma respiration devient difficile alors le prêtre commence l'exorcisme tout en continuant de me serrer le bras pour me donner du courage. Il lit des phrases répétitives, sans arrêt.
Je ferme les yeux et j'essaie de me calmer et de me concentrer sur la tâche. Simultanément, je fouille mes poches pour vérifier la présence de mon briquet. J’ouvre les yeux et je la vois débouler en notre direction à toute vitesse accrochée au plafond.
Cette image m’effraie. Mes yeux l’ont perdue de vue dans l’obscurité. J’agite ma lampe torche dans tous les sens. Et je la vois à un mètre au-dessus de ma tête. Elle pousse un cri profond que je n’arrive même pas à qualifier. Ses pieds restent suspendus dans l’air en lévitation et son visage se rapproche de moi. Je suis pétrifié.
Ses yeux se trouvent à présent face à mon regard. Je remarque ses yeux jaunis, son visage lacéré en décomposition. Quelques vers sortent d’une cavité de sa joue, comme une pomme pourrie, colonisée par des insectes. Des relents remontent dans mes narines. Cette odeur putride me donne envie de vomir.
Je suis terrifié par le visage de l'horreur qui me crache un liquide visqueux. Mes oreilles bourdonnent, mais j'entends le père Bruijn qui ne s'arrête pas de citer la bible en criant. Il la chasse de quelques mètres.
Nous n'y arriverons pas. Je commence à penser que nous allons y laisser nos vies et que je ne reverrai plus jamais Maartje. Cette chose me semble indestructible.
Je tiens dans ma main gauche une bouteille d’alcool que je dévisse doucement avec ma main droite. Pendant ce temps, la chose rit et me lèche le visage. Je n’en peux plus. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va s’arracher de ma poitrine.
Je tâte ma poche et j'en sors le briquet. Je tiens la solution. La faire griller, la renvoyer en enfer.
J’entends le prête lui dire d’aller brûler en enfer.
J'allume mon briquet et je la provoque. Elle me projette contre le mur humide et je glisse à moitié assommé le long. Ma bouteille perd la moitié de son contenu.
Elle se jette sur moi, s’accroupit sur mes jambes. Sa langue de vipère continue à me lécher le visage. J'ai du dégoût. Des asticots sortent de son visage cauchemardesque. Même en fermant les yeux, je la vois. Son odeur de pourri m’envahit.
Mes mains s’agitent seules en tremblant. Je lui renverse de l’alcool sur le visage et les vêtements, alors elle m’agrippe par la gorge. Mais mes mains continuent. J’allume la flamme de mon briquet et je mets le feu à son vêtement qui s'enflamme illico. Elle hurle et s'enfuit au milieu du couloir.
Le père Bruijn s’approche de moi rapidement et pose sa veste sur mon corps afin d’éteindre les quelques flammes qui avaient pris sur mes vêtements.
Le feu la consume de plus en plus. Sans savoir pourquoi, ma vision se brouille et je finis par m’évanouir.
***
Je me réveille dans une chambre d’hôpital. Le père Bruijn est endormi sur un fauteuil au pied de mon lit.
J’ai un bandage autour de mes bras et la douleur m’arrache un cri qui réveille le père Bruijn.
— Tout va bien, Jaap ?
— Où suis-je ? lui demandais-je d’une voix fluette.
— À l’hôpital de Leiden. Vous avez été brûlé aux bras.
— Elle ?
— Nous avons réussi. Il ne reste plus que des cendres. C’est fini, elle ne fera plus de mal.
— Maartje ?
— Qui est Maartje ?
— L’archiviste de l’hôpital !
— Cet hôpital ?
— Oui !
— Vous voulez que j’aille la chercher ?
— Je ne … dis-je en m’endormant.
Mes yeux s’ouvraient enfin pour croiser de merveilleux yeux bleus sur un visage souriant. Je sentais sa main tenir la mienne pendant que son autre main me caressait le visage avec douceur.
J’allais dire quelque chose, lorsqu’elle me posa le doigt sur mes lèvres pour me faire taire.
Avec sa présence à mes côtés, je me sentais tout de suite mieux. Mon corps était certes endolori, mais mon moral était meilleur.
Je pense que je tentais de lui expliquer l’enfer que j’avais vécu dans cet endroit pour me rassurer. Il m’était difficile d’oublier une telle expérience et il fallait que je la confie à quelqu’un.
Maartje me raccompagnait chez moi au bout de deux jours. Malgré sa beauté et la joie qu’elle exprimait. Malgré ses douces attentions envers moi, quelque chose avait changé. Mes cauchemars étaient incessants et me terrorisaient. Jamais je ne pourrais oublier le visage de l’horreur.